[SERIE D'ETE] A l'occasion de la sortie du film [1] qui clôt la saga du jeune sorcier, libertepolitique.com propose à ses lecteurs une réflexion sur l'imaginaire et les valeurs véhiculées par ce phénomène culturel au cœur du quotidien de nombreux adolescents et jeunes adultes. Cette réflexion qui fera l'objet de plusieurs articles d'été s'inscrit fondamentalement dans le domaine politique (au sens philosophique) : elle se propose d'apporter un éclairage objectif sur les valeurs et l'imagination qui façonnent aujourd'hui, à travers la fiction, le sens moral et politique des adultes de demain, et pourquoi pas les futurs décideurs.
Si les raisons d'un tel succès, tant littéraire que cinématographique, sont nombreuses, nous ne nous attacherons pas pour autant à les décrypter ici. Au contraire, il semble plus intéressant, pour comprendre la portée et les principes de l'œuvre de J.K. Rowling, de s'interroger sur les objections que la saga a rencontrées, et tout particulièrement celles d'ordre spirituel.
La critique des catholiques
Harry Potter a créé un véritable débat au sein des membres de l'Eglise catholique. Même Benoît XVI, alors Cardinal et préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait donné son avis sur la question. Dans une lettre adressée à Gabriele Kuby, auteur allemand d'un ouvrage critique [2] sur la saga, il lui écrit qu'il est bon que vous éclairiez les gens sur Harry Potter, parce qu'il s'agit là de séductions subtiles qui pourraient passer inaperçues et par là même pervertir profondément le christianisme dans l'âme avant qu'il puisse y croître correctement [3].
Au Vatican, un exorciste de renom, Gabriel Amorth, s'est également élevé contre la saga et les risques d'ordre spirituel auxquels elle expose, dénonçant principalement la présentation potterienne d'une distinction entre magie blanche et magie noire alors même que, dans la réalité, la distinction n'existe pas parce que la magie est toujours une manifestation du diable [4].
Le jugement de l'Eglise n'est cependant pas arrêté. L'Osservatore Romano, organe de presse du Vatican, a parfaitement illustré ce débat ouvert qui anime les membres de l'Eglise sur la question de la saga des Harry Potter en publiant dans son édition du 15 janvier 2008 deux articles diamétralement opposés. D'une part, Paolo Gulisanoy y parle des leçons essentielles d'amour et de don de soi de la série des Harry Potter [5]. De l'autre, le Professeur Edoardo Rialti y décrit le jeune sorcier comme le mauvais genre de héros ajoutant que malgré quelques valeurs positives qui peuvent être trouvées dans l'histoire, la base de ce récit traduit l'idée que la sorcellerie est positive, que la manipulation violente des choses et des êtres, grâce à la connaissance de l'occultisme, est le privilège de quelques élus, que la fin justifie les moyens, parce que les élus, les intellectuels savent contrôler les forces obscures et en faire quelque chose de bien... C'est un mensonge grave et profond, parce qu'on retrouve là l'ancienne tentation gnostique qui confond le salut et la vérité avec une connaissance secrète [6]. Aujourd'hui, le débat continue et si l'Osservatore Romano relève régulièrement les sorties des derniers films de la saga avec de bonnes critiques, chacun est libre de discerner et invité à comprendre les fondements de ce débat pour se faire sa propre opinion sur la saga.
Les raisons de la prudence
Dans un tel contexte, il est très important d'entendre justement les appels à la prudence qu'impliquent ces déclarations. Il est évident qu'en toutes choses qui touchent à l'imaginaire – et particulièrement dans les œuvres de fiction qui mettent en place des univers irréels en lien avec la magie – il faut être attentif aux valeurs véhiculées et aux influences que ces livres peuvent avoir sur les jeunes lecteurs. La saga Harry Potter n'est pas exempte de cet impératif, bien au contraire. L'intrigue étant celle d'un jeune sorcier confronté aux pouvoirs d'un sorcier qui incarne le mal dans toute son horreur et sous toutes ses formes, il convient d'être très attentif.
C'est d'ailleurs sans doute en ce sens là qu'il convient d'entendre l'encouragement que Benoît XVI adresse à Mme Kuby après qu'elle a entrepris une réflexion critique sur le sujet. Nul ne saurait nier les séductions d'un monde magique quelqu'il soit. Qui n'a pas rêvé un jour de pouvoir ranger une maison aussi vite que Merlin l'enchanteur ou Marie Popins dans les films des studios Disney ? Il convient donc de faire preuve de prudence et de ne pas mettre ces livres ou ces films dans les mains de tous ; l'essentiel étant de s'assurer de la maturité du discernement du lecteur comme le souligne le cardinal Ratzinger : il ne faut surtout pas que ces subtiles séductions puissent pervertir profondément le christianisme dans l'âme avant qu'il puisse y croître correctement . A ce titre, la solution la plus adéquate semble être celle qu'a connu la première génération des lecteurs. Ceux-ci étaient soumis chaque année à l'attente de la sortie du prochain tome. Ils ont ainsi eu l'opportunité de grandir en même temps que le héros. Chaque livre était donc proportionné à leur âge et à leur maturité. Cette solution est-elle viable aujourd'hui alors que la saga est disponible dans son intégralité pour les nouveaux lecteurs ? C'est une autre question que doivent certainement se poser les parents des jeunes lecteurs et à laquelle il n'existe pas de réponse toute faite.
La magie et l'ésotérisme
Au delà des simples – mais subtiles – séductions évoquées par Benoît XVI, les critiques du Professeur Edoardo Rialti et du Père Gabriel Amorth sont plus ciblées et plus préoccupantes. En effet, si comme ils en jugent, ces lectures ou les films qui en sont tirés conduisent à des pratiques et des croyances fausses qui mettent l'âme en péril et font courir des risques au corps, il est évident qu'elles présentent le plus grand danger possible. Elle ne doivent alors en aucun cas être conseillées ; elles doivent même être fermement combattues !
Cependant, la prudence est de mise face à de telles affirmations. L'exégèse d'œuvres de fiction est un exercice extrêmement difficile. On oscille en permanence entre l'intention de l'auteur (qu'on connaît rarement, particulièrement dans le cas de la très discrète J.K. Rowling) et l'objectivité des écrits publiés qui deviennent par le fait même immuables. Le livre, une fois publié, devient en effet une œuvre à part entière sur lequel l'auteur même n'a plus aucun pouvoir. Seul le lecteur exerce encore sur lui une influence par l'interprétation personnelle qu'il fait de sa lecture.
Cela dit, penchons-nous sur cette magie qui semble régner en maîtresse dans les livres comme dans les films de la saga Harry Potter. En préambule, rappelons qu'à aucun moment il ne nous viendrait à l'idée de remettre en cause la déclaration d'un des exorcistes en chef de la cité du Vatican et de l'archidiocèse de Rome. Si le père Amorth déclare que toute magie vient de Satan, il sait de quoi il parle, et les théologiens sont unanimes à ce sujet. Cependant, il faut convenir que le domaine dans lequel s'inscrit Harry Potter est celui de la fiction. Contrairement à ce qui peut être lu sur certains blogs mal informés, la magie décrite dans ces livres n'a rien de réelle. Par exemple, tous les sorts sont inventés excepté celui d' Avada Kedavra , qui vient de l'araméen ( que cette chose soit détruite ) et a donné Abracadabra. Or ce sort est systématiquement décrit comme la pire chose qui soit, et à aucun moment les héros ne le lancent ou le lecteur n'y est encouragé ; bien au contraire !
Certes il faut concéder que toute œuvre de fiction a pour objet la vraisemblance se fondant sur une expérience commune et que, par conséquent, cette magie a vocation à faire rêver les enfants qui s'identifieront aux héros et transposeront par leur imagination, voire par leurs jeux, cette magie dans le monde réel. Pour autant, faut-il y voir une marque d'ésoterisme ? Une exhortation à pratiquer réellement la magie ? A l'heure actuelle, rien ne permet de penser que les lecteurs d'Harry Potter sont plus enclins à pratiquer des rites magiques que d'autres personnes. On peut même farouchement s'opposer aux pratiques réellement magiques et apprécier ces lectures sans contradiction aucune.
Clive Staples Lewis, le célèbre auteur des Chroniques de Narnia, transpose lui aussi la magie dans ses romans sans que quiconque n'ait songé à accuser cet apologète du christianisme de tenter de détourner la jeunesse du christianisme. Au contraire, nombreux sont ceux qui voient dans ses romans une annonce explicite du Christ. J.K. Rowling, elle, n'annonce pas le Christ ! Est-ce pour autant que sa magie fictive est plus nocive ? Il semble au contraire que la magie dans Harry Potter soit un lieu éminent d'humour et de dérision. Les savants noms latin des sorts cachent souvent quelques savoureux jeux de mot et jamais la magie en elle-même ne sera montrée dans l'œuvre comme une vertu. C'est un don naturel, et ceux qui en disposent doivent en assumer la responsabilité et faire les choix qui s'imposent en leur âme et conscience. Certains choisissent le mal comme dans la réalité (et si ces romans étaient une allégorie réussie de la réalité ? On aurait peut-être là une clef pour en expliquer le succès) mais tous ont besoin d'être éduqués dans leur discernement comme dans leur pratique. C'est pourquoi existe Poudlard et c'est pourquoi existent les œuvres de fiction. Le but est le même : apprendre (pourquoi pas en se distrayant) à travers l'expérience d'un autre et discerner ce qui est bon et s'applique à nous. Selon sa personnalité et selon sa maturité, le lecteur tirera des œuvres de J.K. Rowling plus ou moins d'enseignements. A défaut de s'enrichir, il passera un agréable moment. On ne peut cependant pas nier que cette saga contient en elle-même un certain nombre d'enseignements souvent sages et réalistes que nous nous appliquerons à décrypter pour vous cet été.
A lire également :
- Les dangers spirituels de la magie (1/6)
- Voldemort : une allégorie du mal dans Harry Potter ? (2/6)
- Dumbledore, l'homme sage dans Harry Potter ? (3/6)
- Poudlard, une école de vie ? (4/6)
- Le jugement moral dans Harry Potter (5/6)
- Ron et Hermione, les leçons sur l'amitié (6/6)
- Harry Potter : ange ou démon ? (conclusion)
Cette série d'articles est réalisée avec l'aimable collaboration d'Antoine Gazeaud, enseignant en philosophie à la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Toulouse.
[1] Harry Potter et les reliques de la mort – partie 2
[2] Harry Potter - gut oder böse ? (Harry Potter – bon ou mauvais ?)
[3] Une version pdf de la lettre originale en allemand est disponible ici : téléchargement
[4] Devil in the detail: Vatican exorcises Harry Potter (The Sydney Morning Herald)
[5] Writers in Vatican newspaper debate lessons of Harry Potter novels (Catholic News Service)
[6] Vatican slams Harry Potter as "wrong kind of hero" (Christian today)
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