[SERIE D'ETE] A l'origine de l'action se trouvent le jugement et la délibération morale. Dans la fiction comme dans le réel, ces actes ne sont pas innés mais sont le fruit d'une construction – ou d'une éducation – qui se nourrie de l'expérience et s'affine à mesure que l'on atteint une certaine maturité. Harry Potter, au fil des sept ans qui sont racontés dans la saga, grandit et explore de bonnes et moins bonnes pistes... A l'aune de ces expériences, le cinquième volet de la série d'été de libertepolitique.com propose de parcourir ce qui constitue un jugement moral droit avec des exemples tirés des romans.
La liberté
A y regarder de près, c'est un des axes majeurs de l'apprentissage de Harry Potter à Poudlard. Au fil des ans, il découvre de manière de plus en plus forte que l'homme n'est pas déterminé. Même ceux qui sont les sujets d'une prophétie – comme lui – ont le choix. Rien n'est écrit d'avance. Rien ne doit arriver dans la vie des hommes car ces derniers sont toujours au principe de leurs actions.
Une illustration récurrente de cette réalité de la condition humaine se trouve dans la caricature, souvent acide, de l'astrologie, de la divination et des prédictions en tout genre [1]. Le statut d'une de ces prédictions fait école dans ces romans. Au centre de l'intrigue se trouve une prophétie faite par le Professeur Trelawney quelques temps après la naissance de Harry. Cette prophétie a conduit Voldemort à assassiner les parents de Harry Potter. Quand le héros prend conscience de cela, il se trouve auprès de Dumbledore. Ce qui pouvait être alors un simple ressort de l'intrigue devient une leçon de vie. Harry n'a pas à s'inquiéter parce que ce que dit la prophétie n'a de sens que parce que Voldemort lui en a donné un (Le prince de sang mêlé, p. 585).
Le héros se retrouve alors face à un dilemme : doit-il agir selon la prophétie ou selon ce que lui dicte sa conscience ? Il pose la question en termes de devoir, vocable toujours ambigu dans la mesure où l'on ignore souvent la source de l'impératif : Tout ça revient à la même chose, non ? Je dois essayer de le tuer, sinon... (Le prince de sang mêlé, p. 588). La réponse de Dumbledore est à la fois juste et partielle : Tu dois ? dit Dumbledore. Bien sûr que tu le dois! Mais pas à cause de la prophétie. Tu le dois parce que toi, toi-même, tu ne pourras vivre en paix tant que tu n'auras pas essayé. La prophétie, comme toute prédiction, n'a aucune valeur. Ce n'est pas à ce genre de choses qu'il faut se fier pour savoir comment agir. Au contraire, la finalité de nos actions morales doit être le bien (qui, par définition, est ce qui nous attire) et non pas la paix (si l'on entend par là le confort ou le bien être psychologique).
L'impératif est alors avant tout moral et exige de la part d'Harry qu'il discerne son vrai bien pour ensuite pouvoir le choisir. D'une certaine façon, Dumbledore en est conscient puisqu'il dit à Harry Potter : Vois-tu, la prophétie ne signifie pas que tu doives faire quelque chose. Mais c'est elle qui a amené Lord Voldemort à te marquer comme son égal... Autrement dit, tu es libre de choisir ta voie, libre de tourner le dos à la prophétie! Mais Voldemort, lui, continuera à s'y tenir. Il continuera à te traquer... . Dumbledore livre ainsi deux éléments essentiels sur le jugement moral à Harry et au lecteur. D'une part, il indique la finalité des actions de l'homme : le bien. D'autre part, il en indique la condition et conséquence évidente : la liberté. L'homme est moral car il a le choix ! Il est fondamentalement libre : libre de faire ce qu'il veut, et non pas ce qu'on lui dicte. Dans le cas de Harry Potter, ce qu'il veut en profondeur peut tout à fait aller dans le sens de la prophétie. Non pas comme une concession, mais comme une prise en compte des circonstances dans lesquelles il se trouve : malgré lui, il est lié à Voldemort qui suit la prophétie (étrange paradoxe de celui qui se veut le maître absolu et qui abdique sa liberté au fatum, alors qu'un enfant va faire le bien, non seulement pour contrer le mal, mais surtout parce que c'est le bien).
Le bien contre le mal
Si les actes de Harry Potter dans la saga sont un indicateur intéressant pour notre étude, ceux de Voldemort le sont tout autant. Tout comme Harry, il est libre de ses actes. Tout comme le bien, le mal résulte d'un libre choix : Voldemort choisit le mal, c'est un mystère... Mais c'est déjà la prise en compte du paradoxe de la liberté de l'homme qui peut aller jusqu'à se nier elle-même, elle qui est faite pour le bien ! Malgré leurs ressemblances, les décisions que prennent Harry et Voldemort les distinguent radicalement l'un de l'autre. L'une des grandes leçons que Dumbledore adresse à Harry demeure Ce sont nos choix, Harry, qui montrent ce que nous sommes vraiment, beaucoup plus que nos aptitudes (La chambre des secrets, p. 347). Autrement dit, nous sommes ce que nous choisissons d'être. Nous ne sommes donc mauvais que si nous optons pour le mal ! David et Catherine Deavel dans Harry Potter et la philosophie (éditions Michel Lafon, p. 196) ont vu ici un parallèle flagrant avec les pensées de saint Augustin et saint Thomas d'Aquin [2] pour qui le mal résulterait d'un choix délibéré qui consiste à préférer des biens moindres à des biens supérieurs. Ils expliquent : C'est précisément parce que le mal consiste à choisir un bien moindre qu'il est plus facile d'opter pour lui. C'est pourquoi les êtres humains, selon Dumbledore, "ont un don pour désirer ce qui leur fait le plus mal" (L'école des sorciers, p. 290) .
Comme de nombreuses fictions pour enfants (à commencer par les contes et les mythes), la saga des Harry Potter fait de cet affrontement entre le bien et le mal son thème principal. Harry incarne le bien tandis que Voldemort est une véritable allégorie du mal. Cependant, bénéficiant de plus d'espace qu'une historiette, cette saga en sept volumes se permet de développer une progression dans le jugement moral du héros et donc dans l'affrontement des deux figures emblématiques du bien et du mal. Alors que dans le premier tome, la vision du monde est celle, manichéenne, de l'enfance – les bons d'un côté et les mauvais de l'autre – au fil des tomes, elle évolue pour finalement être celle d'un monde tout en nuance de gris. A cet égard, le personnage de Rogue, torturé par des alliances contradictoires est exemplaire. De manière sous-jacente dans la saga, il apparaît finalement que le discernement entre le bien et le mal est théoriquement une chose assez aisée – aucun homme de bien ne veut être du côté de Voldemort – mais que, dans le concret, les choses se compliquent, parce que l'ordre des actions humaines est un ordre de réalités contingentes. Certes il existe une nécessité en morale, mais quand on se situe au niveau de l'action, dans la pratique, et qu'il faut poser un jugement (qui demande la prise en compte des circonstances), c'est beaucoup moins évident et surtout beaucoup plus compliqué.
Le bien et le mal, l'acte et la personne
On constate ainsi que les leçons que reçoit Harry Potter en matière morale vont dans le sens d'un grand réalisme. C'est ce réalisme qui nourrit l'imagination du lecteur, qui explique sans doute pour une part le succès de la saga, et permet aujourd'hui de lancer des pistes de réflexions pour les lecteurs sur la base des romans.
Dans Harry Potter comme dans le monde réel, la lutte contre le mal est absolument nécessaire parce que seul le bien est aimable. Néanmoins, il serait utopique de prétendre éradiquer totalement le mal. Le mystère de l'homme est celui d'un être libre qui peut choisir de ne pas faire le bien : chaque victoire contre le mal est indispensable, elle n'est pas pour autant définitive. Il était important, disait-il [Dumbledore], de se battre, de se battre encore et toujours, car c'était seulement ainsi qu'on pouvait tenir le mal à distance, sans jamais l'éradiquer complètement... (Le prince de sang mêlé, p. 738). Ce propos peut sans exagération être appliqué à chacun : en nous, nous devons tenir le mal à distance, de toutes nos forces, tout en sachant qu'il est impossible de l'éradiquer totalement : même le juste pèche sept fois par jour !
Une autre leçon toute en nuance et capitale pour aujourd'hui, est la distinction entre la personne qui agit et l'acte qu'elle pose, avec son corollaire : on peut juger un acte, mais pas une personne. Ainsi, alors que Harry, Ron et Hermione n'ont pas de mots trop durs contre Dolores Ombrage, et qu'ils sont à deux doigts d'en faire un mangemort en raison de ses actes, Sirius répond : le monde ne se divise pas entre braves gens et mangemorts (L'ordre du Phénix, p. 361). On peut également penser au parcours de Petitgrew dans la saga qui illustre parfaitement ce propos : d'abord membre de l'Ordre, il trahit les Potter, devient vassal de Voldemort et finit par sauver Harry (voir Le prisonnier d'Azkaban, p. 452-453, et Les reliques de la mort, chap. 23).
Bien apparent et bien réel
Une autre leçon morale des romans, l'une des plus difficiles à acquérir pour Harry, est très certainement la distinction entre les biens apparents et les biens réels. Il confond fréquemment les deux. Sans doute à cause de son tempérament impulsif, mais aussi parce que c'est objectivement difficile. Cette distinction est pourtant essentielle dans l'ordre du jugement moral pour ne pas se satisfaire d'un bien moindre et choisir de faire le mal par facilité. Rappelons à toute fin utile que Voldemort, qui incarne le mal à de nombreux points de vue dans la saga, poursuit des biens apparents (cf. Voldemort, une allégorie du mal ?).
Trois actions distinctes parmi d'autres montrent cette difficulté à distinguer le bien apparent du bien réel :
- Dans L'ordre du Phénix, la générosité débordante d'Harry laisse parler les passions et lui font ignorer les conseils avisés : il vole au secoure de son parrain, Sirius. Certes, sauver Sirius est en soi une bonne chose, à condition que Sirius soit vraiment en danger et que l'on ne crée pas un mal plus grand en agissant. L'épisode se finit, ironiquement, par la mort de Sirius.
- Harry découvre dans Le prince de sang mêlé qu'avoir un manuel rempli d'indications efficaces ne suffit pas pour conclure qu'on peut le suivre en toutes choses, si on en ignore les origines. Malfoy sera la victime d'un sortilège maléfique trouvé dans ce livre et lancé par Harry par réaction et ignorance (Le prince de sang mêlé, p. 600). Harry s'était alors laissé gagner par le plaisir de briller pour la première fois dans une matière qu'il exécrait jusqu'alors.
- Enfin, dans Les reliques de la mort, on découvre que Dumbledore avait un temps été séduit par l'idée que des actes mauvais pouvaient être tolérés pour un plus grand bien : Dumbledore et Grindelwald voulaient asservir les moldus et prendre le pouvoir pour le plus grand bien disaient-ils (Voir chap. 18 et chap. 35). C'est bien entendu une utopie irréaliste dans l'ordre de la moralité et un dangereux moyen de justifier les pires atrocités.
L'acte du choix
Enfin, si le bien et le mal et leur juste et droite identification sont essentiels pour la rectitude morale de l'homme, tout ceci n'a de sens que par rapport à l'acte lui-même du choix qui donne une réalité à l'orientation morale de l'homme. Cet acte répond à une mécanique qu'il est possible de retrouver dans les choix que pose le héros notamment dans le cadre de son orientation à Poudlard.
Dans L'ordre du Phénix (p. 742-743), les conseils du professeur McGonagall à Harry sont motivés par la réponse de celui-ci à la première question, la plus importante : Avez-vous déjà pensé à ce que vous aimeriez faire lorsque vous aurez quitté Poudlard ? Il y a plus qu'une simple question d'orientation. C'est peut-être la première fois que Harry se trouve confronté à une réflexion sur la finalité de ses actes. Dans L'école des sorciers, La chambre des secrets et même dans Le prisonnier d'Azkaban et La coupe de feu, Harry agit pour le bien mais bien souvent plus par réflexe ou par spontanéité que par un véritable discernement. On distingue évidemment la fameuse évolution du héros dont nous avons déjà parlé. De manière toute simple, McGonagall lui indique qu'il s'agit de savoir en premier lieu ce qu'il aimerait faire, c'est-à-dire le bien qu'il poursuit, pour pouvoir discerner en vérité et donc pour s'orienter. C'est en fonction de cette finalité que les moyens pourront être discernés puis composés. Un discernement demande en effet toujours de prendre en compte les objectifs. C'est le premier critère du choix : quels sont mes désirs les plus profonds ? ou, cela revient au même, quelle est la finalité que je poursuis pour moi-même ? La prise en compte des dons personnels est nécessaire, mais elle ne vient qu'en second lieu : Suis-je capable d'atteindre le but que je vise ? Un hiatus entre désirs et dons met évidemment en cause la réalisation des premiers.
Le dernier critère du choix est la prise en compte des circonstances. Là encore, l'apprentissage n'est pas inné, ni pour Harry, ni pour Ron, ni pour aucun de nous. On le voit à plusieurs reprises à propos de sujets graves, mais aussi dans des contextes moins graves. Un exemple parlant se trouve au début de La chambre des secrets (p. 76-78). Ne pouvant accéder au Poudlard Express, Harry et Ron paniquent à l'idée de n'être pas à l'heure à l'école et d'être pour cela renvoyés. Cette panique les pousse à réagir plutôt qu'à agir avec prudence. Ils ne réfléchissent pas et vont donc faire quelque chose de stupide qui leur paraît sur le moment être une bonne idée : ils partent en voiture volante. Ils ont négligé de considérer qu'ils étaient des enfants, qu'ils étaient mineurs et donc interdits de pratiquer la magie hors de l'école, qu'ils pouvaient prévenir l'école par un courrier (un hibou, comme le leur dira le professeur McGonagall dans son bilan sur leurs actions, p. 88-89), que les parents de Ron allaient revenir, etc... On voit ici que négliger les circonstances de l'acte, et la première d'entre elles, la personne qui agit, revient à mal agir.
En sens contraire, on voit dans La coupe de feu (p. 762) que Dumbledore choisit de dire la vérité aux élèves sur la mort de Cedric, en raison des circonstances de sa mort, bien sûr mais également de son auditorat et des temps sombres qui s'annoncent. De même, à la fin du dernier tome, Les reliques de la mort (p.841-842), Harry décide en conscience d'affronter Voldemort poussé par les circonstances : Voldemort possède une baguette très puissante et Harry est peut-être le seul à pouvoir l'empêcher de faire davantage de mal qu'il n'en a déjà fait.
S'il est donc impossible de dire que les romans de J.K. Rowling sont des romans moraux – ce sont avant tout des divertissements pour les adolescents – il faut cependant retenir que la construction des péripéties et particulièrement la mécanique des choix du héros intègrent bien celle du jugement moral tel qu'il est définit en éthique ainsi que l'identification du bien, du mal et des bien apparents. Une nouvelle occasion de réflexion avec les adolescents qui ont lu Harry Potter sur les grands principes directeurs de leurs vies.
A lire également :
- Les dangers spirituels de la magie (1/6)
- Voldemort, une allégorie du mal dans Harry Potter ? (2/6)
- Dumbledore, l'homme sage ? (3/6)
- Poudlard, une école de vie ? (4/6)
- Ron et Hermione, les leçons sur l'amitié (6/6)
- Harry Potter : ange ou démon ?
Cette série d'articles est réalisée avec l'aimable collaboration d'Antoine Gazeaud, enseignant en philosophie à la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Toulouse.
[1] Même le centaure qui est chargé d'enseigner aux élèves comment avoir un aperçu de l'avenir en observant le ciel estime que l'on perd son temps à pratiquer cette complaisante absurdité qui consiste à dire la bonne aventure (L'ordre du Phénix, p. 675-676). Et quand bien même cela serait possible, il serait idiot d'accorder trop de foi à ces choses-là (L'ordre du Phénix, p. 676). La conséquence est simple : nos actions dépendent de nous, et non pas d'un destin aveugle.
[2] Saint Augustin, Confessions, livre 7, iii, vii et xvi. Bien que saint Augustin et saint Thomas d'Aquin divergent légèrement dans leur explication précise de l'origine du mal (comparez celle du premier dans La Cité de Dieu, livre 12, vi et vii, à celle du second dans De Malo, I, 3), tous deux insistent sur l'importance du libre arbitre dans sa genèse.
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