Le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique-du-Sud — les BRICS — viennent de porter sur les fonts baptismaux une banque de développement et une réserve de change commune, lors du sommet de Fortaleza au Brésil, après cinq années de gestation.
Comment mesurer la portée de l’événement ? D’abord par ses intentions : il s’agit de faire émerger progressivement des institutions concurrentes de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ensuite par le poids des cinq pays associés : ces grandes puissances démographiques et économiques représentent plus de 40 % de la population du globe et près de 20 % du PIB mondial. Bref, nous ne parlons pas ici d’une affaire de nains.
Concrètement, voici le monopole de Bretton Woods potentiellement menacé. Bretton Woods, c’est cet accord international qui permet au dollar de régner sur le monde depuis 1944. Et après la suspension par les américains en 1971 de la convertibilité du dollar en or, l’étalon-dollar a en quelque sorte remplacé l’étalon-or.
Le dollar contourné
Voilà qui fait des USA une formidable machine à cash : les Américains impriment du billet vert comme s’ils imprimaient de l’or. Bretton Woods a également créé la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, institutions à la main du capitalisme anglo-saxon, qui règnent aujourd’hui sans partage.
L’initiative des BRICS contrarie fortement les Américains, pour qui le leadership financier et monétaire est vital. L’une des conditions pour que ce leadership se maintienne, c’est que le dollar continue à être la valeur de référence et la monnaie d’usage majeure des échanges internationaux, notamment sur les marchés d’extraction des ressources naturelles. Or il se murmure déjà que les transactions entre BRICS pourraient, à terme, contourner le dollar.
Bien évidemment, les BRICS ne sont pas près de provoquer la ruine du dollar et donc des États-Unis. La Chine possède par exemple près du quart de la dette américaine : son interdépendance avec Washington est significative. Prudence donc…
Vers un monde multipolaire
L’enjeu, pour les BRICS, est à la fois de réduire leur dépendance au grand casino mondial, incarné par le capitalisme anglo-saxon ; et de contrarier les appétits de Washington en proposant à des pays émergents de bénéficier de leur soutien sans subir la terrible férule du FMI.
C’est un coup d’autant plus dur pour les Américains que la perspective pourrait être alléchante pour de nombreux pays d’Amérique latine, zone d’influence traditionnelle des États-Unis. En marge du sommet de Fortaleza, le Russe Poutine et le Chinois Xi Jinping n’ont pas manqué de draguer leurs homologues du continent.
Si l’on cumule les zones d’influence économiques et géopolitiques des BRICS, si l’on considère leur poids actuel et leur potentiel à moyen terme, on se rend compte qu’un monde multipolaire pourrait émerger progressivement. Les États-Unis sont un colosse aux pieds d’argile et ils le savent. C’est pour défendre leur leadership qu’ils cherchent à accentuer leurs points forts, à commencer par l’axe euro-atlantique et la zone Pétrodollar.
Une guerre géostratégique
Rien d’étonnant donc à ce que la tension monte toujours davantage au Moyen-Orient, où le Jihad sunnite menace les ennemis des émirs pétrolifères alliés de Washington. Rien d’étonnant non plus à ce que la tension monte en Europe avec la Russie.
Ce qui se joue sur l’échiquier mondial est une guerre économique et géostratégique. À côté de cela, le pseudo choc des civilisations Occident-islam est bien peu de chose, tout au plus un instrument fédérateur autour de Washington, au nom de la lutte contre le terrorisme.
Guillaume de Prémare, chronique prononcée sur Radio Espérance du 25 juillet 2014.
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