“Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie” (Presses de la renaissance) : c’est le titre d’un livre de Corinne Van Oost, qui fait actuellement couler beaucoup d’encre. Le témoignage d'une compassion irrationnelle, purement subjectiviste, à la dialectique habile.
DE NOMBREUX commentaires jugent ce titre racoleur, provocateur et commercial. Au contraire, il dit crûment le contenu de l’ouvrage : Corinne Van Oost est médecin, catholique, et elle explique pourquoi elle pratique en effet l’euthanasie, c’est-à-dire l’injection volontaire d’une substance mortelle.
Ce livre repose sur un témoignage de la pratique compassionnelle de Corinne Van Oost, sur le récit d’un parcours qui l’a menée des soins palliatifs à l’euthanasie. Et elle tire de son expérience personnelle des conclusions d’ordre général : 1/ « Une société qui admet l’euthanasie est une société qui a gagné en humanité », écrit-elle. 2/ L’acte euthanasique est justifiable en conscience, y compris pour une conscience catholique. 3/ On ne peut vraiment pratiquer les soins palliatifs au principal qu’en acceptant l’euthanasie à la marge, comme ultime recours.
Piège dialectique
L’articulation de l’acte euthanasique avec les soins palliatifs constitue le principal piège dialectique de ce livre. C’est pourquoi, à mon avis, concentrer trop largement l’argumentation anti-euthanasique sur l’alternative offerte par les soins palliatifs offre une prise à ce piège. Cela revient en quelque sorte à entrer en « concurrence compassionnelle », en « concurrence d’expériences » : ma compassion (les soins palliatifs) est supérieure à la tienne (l’euthanasie).
Et l’argumentaire euthanasique de Corinne Van Oost a beau jeu de retourner la perspective : « Vous avez raison, les soins palliatifs sont merveilleux, ils sont même supérieurs à l’euthanasie, mais l’euthanasie arrive derrière, comme palliatif à l’échec du palliatif. D’une certaine manière, nous avons raison tous les deux. » C’est imparable, c’est le "Ippon rhétorique" parfait : tout en douceur, Corinne Van Oost absorbe la force de l’argumentation adverse, la retourne et l’envoie au tapis.
« Ici gît la raison »
C’est ainsi que la compassion, essentialisée à partir de l’absolu du « moi » et de l’expérience personnelle, construit le grand cimetière universel de la raison. « Ici gît la raison qui n’a pas su justifier ses justes raisons », pourrions-nous écrire comme épitaphe sur le marbre froid. Oh il ne s’agit pas de s’interdire de parler de compassion et de soins palliatifs, il s’agit de les mettre à leur juste place dans l’ordre de la raison.
En effet, compassion contre compassion, expérience contre expérience, tout est relatif. C’est pourquoi la dialectique de Corinne Van Oost est nettement plus insidieuse que celle du « droit à choisir sa mort », développée par les militants de l’euthanasie.
À ce stade, que faire ? S’opposer à la sacralisation des droits individuels, certes. C’est ce que fait Mgr Pontier avec audace dans La Croix : « Renforcer le droit individuel à choisir sa mort constitue une dérive dangereuse », écrit-il. Mais nous ne pouvons faire l’impasse sur le rappel de la fonction morale, sociale et culturelle de l’interdit. Notre société veut "faire tomber les tabous". Il convient de relever le défi et de refonder la fonction structurante et protectrice du tabou, de l’interdit. C’est peut-être un peu froid, mais c’est nécessaire, indispensable.
Guillaume de Prémare
Chronique prononcée sur Radio Espérance le 3 octobre 2014
Corine Van Oost
Préface de Véronique Margron
Médecin catholique, je pratique l'euthanasie
Presses de la renaissance
230 pages, 17 €
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Cet article est tout-à-fait intéressant. Le renvoi à l'interview de Mgr Pontier me pousse à réagir plus particulièrement à ses propos dans "La Croix" (qui ne prend pas de commentaires).
Voir le commentaire en entierDevant ces réalités tellement graves et si infiniment complexes et délicates, qui vont puiser dans le tréfonds de l'âme humaine, au-delà de la raison effectivement moribonde, devant ces abimes, les mots de Mgr Pontier me semblent tragiquement insuffisants. Tant du point de vue du mystère de la souffrance et du désarroi humain devant la mort qui crie avant tout un besoin absolu de communion, que des conséquences d'encouragement implicite au passage à l'acte de mort qu'aurait une telle "dérive" sur la société toute entière. Au point, en le lisant, de laisser un sentiment de trouble et de perplexité véritablement douloureux. Ce que j'entends là de ce Père évêque sonne comme une énième mise en garde emplie de circonspection, mais loin de la parole forte (et courageusement évangélique celle-là) qui devient parole de vie, dont nous avons besoin face à ce qui n'est rien d'autre que la violation de l'interdit biblique de tuer et de se tuer, dont il est question dans l'article de G. de Prémare.
Est-il choquant de parler de "points non négociables" ? Trouvons alors une autre formule. Mais, dans cette confusion et cette compétition de compassions, parler là de miséricorde ne présente-t-il pas un autre risque de confusion avec la tolérance et l'humanisme, ses ennemis parés de moderne lumière, que le monde n'a de cesse de voir adoptés par l’Église ? Qui en a vu d'autres ?
Sans doute, mais l'heure est grave et les sentiments ou l'optimisme ne sont pas la Miséricorde, qui parfois n'hésite pas à remettre le monde à sa place : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Je relisais JP II : "Le drame de l'euthanasie" dans Evangelium Vitae. Je voudrais, le plus humblement du monde, demander à nos frères évêques de revenir toujours à ce texte.
Merci à eux, quoiqu'il en soit.