L’unité de l’armée française en danger

L’interdiction du syndicalisme dans l’armée française n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en a décidé ainsi dans l’affaire Matelly du 2 octobre 2014.

SELON LA COUR européenne, l’exercice de la liberté d’association des militaires peut faire l’objet de restrictions légitimes. Mais l’interdiction pure et simple, comme c’est le cas au sein de l’armée française, de constituer un syndicat ou d’y adhérer, porte atteinte à la liberté d’association, une atteinte prohibée par la Convention européenne des droits de l’homme.

Si l’arrêt de la CEDH est appliqué, les militaires pourront se regrouper au sein de syndicats ou de groupements professionnels en vue d’actions collectives.

L’interdiction semblait pourtant prendre racine dans une conception de l’armée et de la démocratie solidement établie en France. Le rôle des militaires est d’assurer la défense de la nation par la force des armes. Ils peuvent être amenés à contraindre ou détruire l’ennemi, à donner la mort ou à la recevoir, sans se trouver en état de légitime défense.

La primauté de la toge sur les armes

L’usage des armes étant en soi contraire à une exigence de morale fondamentale — le respect de la vie humaine — ils ne sauraient agir que par délégation de la nation. Le pouvoir politique qui décide, au nom de la nation, de l’emploi des armées, doit avoir la certitude que les ordres seront respectés et que la mission sera accomplie avec fidélité. Formulée en d’autres termes, cette idée est celle de la primauté de la toge sur les armes : en démocratie, l’autorité militaire est subordonnée au pouvoir civil. D’où une organisation particulière au sein de laquelle tout converge vers l’unité et la cohésion de l’armée. Rien ne doit venir troubler la cohésion qui soude les militaires entre eux.

Cette unité de l’armée se fait notamment autour d’un élément visible, signe d’une réalité tangible : le salut. Lorsque deux militaires se rencontrent, quel que soit leur grade, tous deux ont à cœur de se faire souvenir l’un et l’autre de l’obligation commune qu’ils ont envers le drapeau, en levant la main droite vers le ciel. Le salut devient une preuve de confiance mutuelle, un signe de cohésion, le témoignage de la certitude que l’officier, le sous-officier et le soldat peuvent compter l’un sur l’autre.

Cette recherche constante d’unité et de cohésion explique notamment que la hiérarchie fasse l’objet d’une certaine sacralisation. La discipline étant la force principale des armées, cette hiérarchie se matérialise par une stricte subordination de grade à grade. Tous les militaires sont ainsi rassemblés autour d’une conception identique du service de l’État, le loyalisme de ceux qui servent sous les drapeaux étant ainsi assuré.

Atteintes à la démocratie

La CEDH en a décidé autrement. La règle qui a pour objet d’assurer l’unité, la neutralité et la loyauté des militaires doit être abolie. En cas de conflit entre les droits de l’homme et la démocratie, ce sont les droits de l’homme qui doivent l’emporter. Au nom des droits de l’homme, une double atteinte à la démocratie est réalisée par la CEDH.

La première est l’affaiblissement de la défense de la France. Car le pluralisme syndical recèle un danger potentiel : celui de la division de l’armée en une multitude de courants qui viendraient rompre son unité.

Ce danger ne peut être écarté, la liberté syndicale supposant une liberté de choix du syndicat. Laisser des courants d’opinions variés s’affirmer au sein de l’armée, c’est cultiver des ferments de division. C’est aussi compromettre la neutralité dont elle tire, en définitive, sa force et son autorité morale. S’il y a syndicat, il peut encore y avoir atténuation de la subordination hiérarchique. Tout groupement quel qu’il soit, constitue une force corporative qui vient doubler les forces individuelles des militaires et augmenter sensiblement le pouvoir de résistance contre l’autorité hiérarchique. Un pouvoir concurrent apparaît qui, inévitablement s’interpose, à un moment ou un autre, entre les différents échelons de l’autorité hiérarchique.

La seconde atteinte à la démocratie est constituée par la manière dont cette décision a été prise. Le gouvernement et le législateur, dans la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, en continuité avec les précédents statuts, ont rappelé que le service des armes était incompatible avec le syndicalisme. Si le peuple français souhaite être défendu par une armée au sein de laquelle les syndicats sont autorisés, c’est à lui d’en décider. Il dispose pour cela de représentants qui siègent au parlement.

La Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision impériale, a préféré montrer qu’elle dispose de tout, y compris de l’armée de la France. En s’en prenant à l’essence même de l’État, elle manifeste son mépris pour la démocratie et sa préférence pour une certaine idée des droits de l’homme.

 

Ramu de Bellescize est maître de conférences à l'Université de Rouen, membre du conseil de rédaction de Liberté politique, a servi dans l’armée française en Afghanistan et en Yougoslavie.

 

 

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