Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, rendu public le 17 juin 2008, constitue, à quatre jours d'intervalle, comme l'écho renversé du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne du 13 juin 2008.
Alors que le référendum marque le rejet de nouvelles atteintes aux souverainetés nationales, le livre blanc milite en faveur d'une armée utilisée quasi- exclusivement au sein d'organismes supranationaux. Sauf exception, dispose le livre blanc, toute nos opérations militaires se dérouleront dans un cadre multinational. Celui-ci peut-être préétabli, dans le cas de l'Alliance Atlantique ou de l'Union européenne, ou ad hoc, dans le cas de coalitions de circonstance (p. 201).
Cette idée d'une défense nécessairement intégrée paraît constituer pour les rédacteurs du livre blanc le présupposé absolu en matière de pensée militaire. Cela les conduit, sans doute par enthousiasme excessif, à une erreur. La ratification du traité de Lisbonne est en effet considérée comme un acquis.
Selon le livre blanc, le traité de Lisbonne comporte ainsi des dispositions qui devraient permettre à la politique étrangère de sécurité et de défense de l'Union de franchir un nouveau cap (p. 84). Il s'agit d'une clause de solidarité et d'une clause d'assistance mutuelle. Cette erreur signifie que le livre blanc comporte des passages qui sont déjà obsolètes au moment même de sa publication. C'est ennuyeux pour un ouvrage qui est censé jeter les bases de la politique de défense pour les quinze prochaines années.
Si cette faute pouvait être isolée, elle serait sans importance. Mais elle constitue hélas, un révélateur de la tonalité générale du document : une armée toujours plus intégrée dont l'emploi échappe de manière croissante à la nation.
À l'intégration toujours plus poussée de la défense dans l'Union européenne, vient s'ajouter le retour dans l'OTAN. Les auteurs du Livre blanc, pour justifier cet éventuel retour, se livrent à un véritable exercice d'équilibriste. Le but étant d'accréditer l'idée selon laquelle le retour ne nuit pas à la défense européenne.
Cette décision, outre qu'elle porte inévitablement atteinte à l'indépendance militaire de la France, paraît d'autant plus contestable que les armées vont subir une diminution sans précédent. Le retour dans l'OTAN se fait ainsi avec une capacité affaiblie. Sur les 320 000 postes civils et militaires de la défense, 54 000 seront supprimés. Les effectifs des seules armées seront ramenés de 271 000 à 224 000 hommes. Les réductions atteindront 17 % pour l'armée de terre, 24 % pour l'armée de l'air et 11 % pour la marine. Alors que les crises dans le monde se multiplient, que les dépenses militaires mondiales ont progressé de 40 % en dix ans, la France diminue son budget.
Le livre blanc de l'intégration
Le chemin parcouru depuis quelques années en matière d'indépendance militaire ressort tant des livres blancs que des lois de programmation militaire.
Le livre blanc de 1972 était celui de la dissuasion, celui de 1994 de la projection. Au motif qu'une nouvelle fonction stratégique s'ajouterait aux quatre fonctions traditionnelles (protection, prévention, dissuasion et projection), le livre blanc de 2008 a été présenté par ses auteurs comme étant celui de la connaissance et l'anticipation . En réalité, il n'y là rien de très nouveau. La nouvelle fonction connaissance et anticipation recouvre essentiellement le renseignement, seul secteur de l'armée qui ne fait pas l'objet d'une diminution. D'où finalement, trois livres blancs : celui de la dissuasion (1972), de la projection (1994) et de l'intégration (2008).
Si l'on compare le livre blanc de 2008 aux lois de programmation militaire passées, le contraste est encore plus impressionnant. L'indépendance militaire de la France est la condition de sa sécurité ; tel est le postulat de la première loi de programmation militaire : La politique de défense de la République est fondée sur la volonté d'assurer l'indépendance nationale et de renforcer l'efficacité des alliances qui garantissent la sécurité du monde libre , dispose l'article 1 de la loi de 1960.
La loi de 1976 offre une première explication à cette association si étroite entre l'indépendance et la sécurité, que l'une semble se confondre avec l'autre : Pour un peuple libre, en effet, la sécurité se confond avec la sauvegarde de cette liberté fondamentale qui est la première de toutes les autres et qui s'appelle l'indépendance de la nation.
C'est à partir de cette conception que la France définit dans la loi de 1976 les conditions de sa sécurité, justifie les grandes options de sa politique de défense et détermine les objectifs assignés à ses forces armées. Une nation ne peut prétendre à une véritable défense, dispose la loi, si elle ne possède pas la volonté collective de rester maîtresse de son destin, c'est-à-dire si elle n'est pas en mesure d'apprécier elle-même la situation et de décider souverainement des actions à entreprendre. Cette forme d'indépendance exclut tout alignement systématique sur les positions d'États tiers ; elle s'impose plus directement encore dès lors qu'il s'agit de décider de l'opportunité, du moment et des modalités d'un éventuel engagement des forces armées en cas de crise ou de conflit.
Ce postulat d'indépendance, aussi révélateur soit-il, est encore insuffisant pour rendre compte de la signification de ce qui pourrait passer aujourd'hui pour une volonté prométhéenne d'indépendance. Pour que le tableau soit plus complet, il faut interroger la loi de 1983 qui comporte un paragraphe riche d'enseignements : Notre identité en tant que peuple, notre indépendance en tant que nation, notre espace de liberté dans le monde ne font qu'un. La sauvegarde de la paix et la défense de notre sécurité sont pour nous indissociable.
Au premier élément de sécurité, vient s'en adjoindre un second : l'identité. L'identité d'un peuple procède de son indépendance, dispose la loi. La même assimilation apparaît dans la loi de 1990, au terme de laquelle la France, seule puissance nucléaire d'Europe occidentale avec la Grande-Bretagne, présente sur cinq océans et quatre continents, a choisi d'assurer elle-même sa défense pour garantir son indépendance et maintenir son identité . Cette dernière affirmation ne manque pas de soulever la question de la situation d'un pays qui, au contraire, choisirait comme le suggère le livre blanc ainsi que la décision de Nicolas Sarkozy de réintégrer l'OTAN de renoncer à assurer lui-même sa défense. Il perd son indépendance, c'est certain, mais perd-il également son identité comme paraissent le suggérer les lois de 1983 et de 1990 ?
Ramu de Bellescize est docteur en droit, a publié Les Services publics constitutionnels (LGDJ, 2005), Comme rétrécir la France en plus grand (Ed. F.-X. de Guibert, 2000), Le Piège de l'armée professionnelle (Ed. F.-X. de Guibert, 1998).
Pour en savoir plus ■ Le site officiel du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale
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