Et si le projet de Constitution européenne n'était que le dernier reflet d'une communauté qui n'existe plus ? Les concepteurs du projet semblent en effet avoir raisonné comme si leur Constitution devait régir la Communauté européenne et non l'Union européenne.

 

Une communauté se caractérise par le fait de vivre ensemble, par des règles communes dont la finalité est la réalisation d'un projet collectif. L'emploi de ce mot communauté prend d'autant plus de relief s'il est replacé dans le contexte de l'après-guerre. Le terme communauté, renvoyant à la " communion ", avait une connotation démocrate-chrétienne très marquée. Il reflétait l'idée centrale de ceux que l'on a appelés, par un abus de langage, comme s'il s'agissait d'une nouvelle scolastique, les Pères de l'Europe, selon laquelle l'existence d'un patrimoine commun entre les pays de l'Europe des six devait permettre de transcender les différences. La communauté était le préalable à la fusion des peuples en une même entité. Toute l'originalité de l'idée d'Europe de Robert Schuman et de Jean Monnet apparaît ici : l'Europe devait être plus qu'une union.

L'expression " union ", désigne au contraire les relations qui résultent d'un processus. L'union se crée le plus souvent contre quelqu'un ou contre quelque chose, elle est par conséquent largement déterminée par des éléments extérieurs à ceux qui la font, à la différence de la communauté qui procède de caractéristiques intrinsèques. L'union implique l'existence distincte des êtres entre lesquels elle a lieu. De ce fait, elle se rapproche beaucoup plus de la coalition, dont la caractéristique essentielle est d'être momentanée.

L'union l'a emportée car le projet d'unification européenne sous forme de communauté, pour des raisons aussi bien anthropologiques qu'historiques, était vouée à l'échec. L'Europe est en effet trop hétérogène pour se prêter à un projet aussi ambitieux que celui d'une communauté au sens strict du terme. L'élargissement de 6 à 27 États membres rend encore plus illusoire la naissance d'une Communauté européenne.

Or le projet de Constitution ne tient pas compte des changements rendus nécessaires par ce passage d'une communauté à une union. Les velléités de l'Union européenne de compenser par l'harmonisation l'hétérogénéité des nouveaux arrivants n'étant plus possible, la diversification devrait s'imposer à mesure que l'Union s'agrandit. Concrètement, cela signifie que l'Union européenne devrait se faire plus modeste. Le projet de Constitution prend l'exact contre-pied de cette solution. En constitutionnalisant la primauté absolue du droit communautaire sur le droit national, le projet de Constitution réduit encore un peu plus la marge de manœuvre laissée aux États dans leur organisation interne et dans le choix de leurs services publics.

Le passage d'une communauté à une union est passé relativement inaperçu, il sonnait pourtant le glas de la première Europe. C'est malencontreusement sur cette Europe là que se base le projet de Constitution : une Europe qui, dans les faits, a cessé d'exister. D'où l'impression désagréable que le projet de constitution pourrait être comparé à une supernova. Il s'agit du nom donné à l'état évolutif final de jeunes étoiles massives qui achèvent leur existence par une énorme explosion. Après l'explosion, il ne reste qu'un nuage gazeux en rapide expansion entourant suivant le cas, une étoile compacte ou un trou noir, lorsqu'il s'agit de l'explosion d'une étoile supermassive.

C'est ce nuage gazeux qu'il va bientôt falloir s'apprêter à gérer. Car quel que soit le résultat du référendum, il faut bien admettre que, de quel côté qu'on se place, tout diagnostic de l'Union européenne prend des allures d'autopsie. Le projet de Constitution proposé aux Français n'est qu'un symptôme, parmi bien d'autres, de l'étiolement du projet européen.

* Ramu de Bellescize est l'auteur de Comment rétrécir la France en plus grand (éd. F.-X. de Guibert, 1999).

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