L’Europe à l’épreuve des faits

A quoi sert la construction européenne ? La déclaration Schuman du 9 mai 1950 avançait la paix comme justification principale. Nous l’avons eue. Mais cette paix — ou plutôt cette absence de guerre — a été obtenue par l’équilibre de la terreur nucléaire, laquelle n’a rien à voir avec la construction européenne. Quant à la paix entre la France et l’Allemagne, elle était faite en 1950. Ce n’est pas la construction européenne qui a permis cette paix, c’est cette paix qui a rendu possible la construction européenne, laquelle l’a renforcée bien sûr.

En réalité, les motivations de la construction européenne sont fondamentalement économiques.

Dans le préambule du Traité de Rome, les Etats membres assignent « pour but essentiel à leurs efforts l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi de leurs peuples ». L’article 2 de la version consolidée du traité fixe les grands objectifs : 

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« Un développement harmonieux et équilibré des activités économiques […], une croissance durable et non inflationniste respectant l’environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres. »

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Un échec économique

J’invite chacun à apprécier les résultats par rapport aux objectifs. Où sont les emplois de nos enfants ? Cette seule question suffirait à caractériser le bilan. Sauf à considérer que la maîtrise de l’inflation soit principale et l’emploi accessoire, la construction européenne a échoué dans ses missions essentielles : « Les performances économiques de la zone euro sont dramatiques en termes de chômage et de croissance », souligne Jean-Claude Guillebaud dans son bloc-notes de l’hebdomadaire La Vie.

L’union économique et monétaire devait pourtant nous donner la taille critique pour "peser" dans l’économie mondiale, pour "gagner la compétition" : « On est plus fort à plusieurs ; chacun de nos pays est trop petit pour exister dans la mondialisation ; on ne peut vivre isolé, » etc. Ceux qui ont contesté ce discours ont été maintenus à l’écart de la crédibilité publique. Parlant des "dissidents" de l’Europe, Guillebaud écrit : « On traitait alors volontiers ces impertinents d’oiseaux de mauvais augure ou d’ignorants. Ce n’est plus possible. 

Revenir aux faits

Ce n’est plus possible, en effet, d’écarter les faits. Ce n’est plus possible de faire croire que nous n’aurions le choix qu’entre toujours plus d’intégration européenne et l’isolationnisme, le repli sur soi ; qu’entre l’euro et la banqueroute. Les faits : l’Union européenne est seule en son genre ; et les pays qui ne disposent pas d’un tel modèle ne vivent pas isolés en autarcie économique.

Un autre fait : il y a, dans le vaste monde, et même en Europe, des pays qui n’appartiennent pas à une union économique et monétaire, qui pèsent d’un poids marginal dans l’économie mondiale, et qui vivent cependant une relative prospérité et fournissent des emplois à leurs enfants.

Bonne conscience

Ce n’est plus possible, non plus, de se réfugier dans la justification morale et les bons sentiments, fussent-ils chrétiens, avec d’un côté la générosité communautaire et de l’autre l’égoïsme national. Coralie Delaume souligne dans le blog de La Croix consacré au débat européen « l’étonnante capacité de l’idée européenne à fournir à qui les lui demande les moyens d’une bonne conscience à peu de frais ».

Dire « L’Europe c’est la paix, la solidarité et la fraternité contre les égoïsmes qui mènent à la guerre », c’est très court, en effet. C’était le discours de Schuman. Et sa vision était la construction par étapes d’une fédération européenne, dont la Communauté européenne du charbon et de l’acier était la première étape. Cette vision est aujourd’hui en échec. 

 

Chronique prononcée sur "Radio Espérance" le 9 mai 2014.

 

 

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