On ne saurait minimiser l'importance des débats qui viennent d'avoir lieu autour des initiatives romaines en direction des traditionalistes . Il ne s'agit pas tant de savoir si on est pour ou contre la messe en latin , comme l'ont traduit les médias, il s'agit de percevoir ce que l'Église a vraiment voulu avec le concile Vatican II et ce qu'elle en gardera.
Pendant des années, la réponse à cette question semblait relativement claire : l'Église catholique, au plus haut niveau, avait décidé un certain nombre de changements, non pas certes dans le dogme, mais dans sa pratique liturgique et pastorale, elle avait apporté de nouveaux accents dans son enseignement sans en modifier le contenu essentiel, et tout catholique devait donc suivre sans se poser de questions. Restait à veiller à ce que l'application de ces données nouvelles n'entraîne pas de distorsion du dépôt de la foi, ni de déperdition dans la piété des fidèles. Encore une fois, la tâche, même si elle n'était pas toujours facile, pouvait paraître assez évidente.
Or les choses ne sont plus si simples. D'abord la persistance, voire l'extension, de la contestation traditionaliste, semble prouver une insatisfaction durable, qui n'est pas seulement une question de sensibilité , ni une nostalgie du passé (que beaucoup n'ont pas connu). D'autre part, les tentatives de recentrage opérées surtout dans la seconde moitié du pontificat de Jean Paul II, sont loin d'avoir porté les fruits qu'on pouvait espérer : l'enseignement de la théologie reste affranchi de toute soumission effective au Magistère de l'Église, la liturgie offre, après la fin des folies d'après 68, le spectacle d'une terne médiocrité où les mauvaises habitudes semblent impossibles à déraciner.
Depuis le pontificat de Benoît XVI, il semblerait que l'optimisme officiel ne soit plus autant de mise. Certains, à Rome même, semblent douter de la possibilité pour les livres liturgiques de l'après-concile d'assurer la transmission de l'héritage spirituel du rite romain. Devant l'échec patent des tentatives de remise en ordre de la liturgie rénovée , il semble que l'on n'ait plus d'autre possibilité que de la laisser subsister dans son incohérence pour le public qui y est habitué et, par ailleurs, de préparer une relève autour du missel de 1962.
S'il en était ainsi, on pourrait s'interroger sur ce que l'Église a voulu faire, en réformant de manière explicite la liturgie, en prétendant y apporter un nouveau souffle. Comme l'écrit l'abbé Claude Barthes, le soupçon jeté sur la lex orandi du concile rejaillit quelque part sur sa lex credendi et laisse planer un doute sur la possibilité d'intégrer l'enseignement conciliaire dans la tradition multiséculaire de l'Église. Bien sûr, il existe une interprétation favorable de l'un et de l'autre qui s'efforce de les garder dans la tradition, mais elle n'est ni la seule, ni la plus en vogue. Va-t-on, avec certains, dire de l'ordo missæ de Paul VI et bientôt des textes de Vatican II, que le seul mérite qu'on est prêt à leur reconnaître est d'avoir sauvé les meubles ? Piètre résultat, pour un évènement qui voulait introduire dans l'Église une nouvelle Pentecôte !
Le moment est probablement venu, pour ceux qui font confiance à l'Église, et pensent qu'elle ne peut se déjuger, de relire le concile Vatican II avec des yeux neufs, et de l'affranchir des préjugés pour ou contre qui en ont masqué le sens. Il faut bien savoir, à la fin, si Vatican II, et la réforme liturgique qui a suivi, sont une parenthèse qu'il faudra clore tôt ou tard, ou au contraire un défi salutaire, un acte de confiance en l'Esprit-Saint, une réorientation féconde, qui porteront leurs fruits, peut-être bien au-delà de la génération actuelle, une fois retombées les querelles microscopiques d'hier et d'aujourd'hui ?
La clef de la grande aventure
Ce qui reste sans doute la clef de la grande aventure du second concile du Vatican, c'est son ouverture missionnaire. Il s'agissait de prendre acte de la fin de l'expérience de chrétienté, qui avait marqué quinze siècles de l'histoire de l'Église, qui avait eu ses heures de gloire, mais qui, de toute façon, était maintenant révolue, et il fallait en conséquence préparer les catholiques à vivre hardiment dans une situation de concurrence avec d'autres groupes idéologiques et religieux, sans rêver d'un régime protectionniste qu'ils n'avaient plus. Il fallait les aider à régler les contentieux du passé et à retrouver un rapport sain avec la société qui les entourait. Il fallait donc équiper les croyants d'un bagage suffisant pour leur permettre d'affronter un monde moderne qui ne leur ferait pas de cadeau, mais qui n'était pas non plus damné. Il fallait les aider à se recentrer sur l'essentiel, à mieux connaître les sources de leur foi et à vivre une vie de prière à la hauteur du défi qui leur était adressé. La réforme de la liturgie apparaît dans ce contexte, qui est celui de toutes les déclarations, constitutions, etc., de Vatican II.
Ramenées à l'essentiel, les orientations de la Constitution Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie, se résument probablement à deux : 1/ faciliter la lisibilité des rites et des prières pour permettre aux fidèles d'en profiter pleinement dans leur assimilation personnelle, 2/ rendre possible l'intégration de nouvelles richesses (bibliques et patristiques) dans le patrimoine liturgique de l'Église. Tout cela supposait sans doute de remettre en cause une certaine intangibilité des formules liturgiques qui avaient eu cours jusque là, mais n'impliquait aucune révolution.
Or ce n'est pas ce qui est arrivé. C'est un jeu facile de relever tous les points où le concile a abouti à des résultats exactement inverses de ceux qui étaient cherchés. C'est assez clair pour l'orientation missionnaire dont on a vu les suites : la promotion exclusive du dialogue, le refus de chercher la conversion des incroyants et des croyants d'autres religions, les catholiques affaiblis devant le prosélytisme des sectes et de l'islam. Et, quant à la réforme liturgique, loin de faciliter l'assimilation des richesses de la tradition, elle a le plus souvent provoqué une agitation brouillonne, une expérimentation perpétuelle, une vulgarisation des rites et des prières, une perte du sens même du culte, tourné par essence vers Dieu.
Tout cela n'est que trop vrai. Mais qu'en déduire ? Qu'il faut juger l'arbre à ses fruits et rejeter tout en bloc ? Ce ne serait pas sérieux. Sans doute les hommes qui ont appliqué le concile Vatican II, et qui étaient souvent des hommes d'appareil, n'ont pas mesuré tout de suite quel renouveau en profondeur, quelle réforme au sens vrai du mot, quel passage au feu étaient demandés à l'Église, et ils ont trop cru à des solutions toutes faites qui étaient encore des solutions mondaines (moderniser, démocratiser,...). La réforme liturgique s'en est ressentie. Pour rendre le christianisme tout de suite apte à être partagé par toutes les cultures, on a cru, par exemple, qu'il fallait le décaper de ce qui était sa forme particulière, héritière de son histoire. Ce qui en est resté après ce décapage n'était plus qu'un message passablement abstrait et moralisant, qui n'intéressait plus personne.
Mais c'est là sans doute que l'on va pouvoir retrouver la vérité de Vatican II. Et peut-être commencer à le mettre en œuvre...
*Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.
Analyse à paraître également dans France catholique n° 30-52 du 22 déc. 2006.
Pour en savoir plus :
■ Benoît XVI, "Bien comprendre le concile", vœux à la Curie, 22 décembre 2005.
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