Voilà plus d'un mois que la première encyclique du pape Benoît XVI a paru. Autant qu'on peut voir, elle n'a pas suscité de polémiques et, si elle a été remarquée par son ton mesuré, par sa relative brièveté, par sa hauteur de vues, elle n'a peut-être pas révélé toute la charge d'audace dont elle était porteuse.

Le sujet, c'est évident, en est l'amour, ce qui n'a pas vraiment de quoi étonner dans la perspective du christianisme, mais a-t-on assez remarqué le plan : deux parties, l'une sur l'unité de l'amour qu'il soit humain ou divin, l'autre sur la place de la charité dans l'activité de l'Église ? Quelle idée tient ensemble ces deux sujets qui pourraient être traités chacun pour soi-même ? N'est-ce pas la conviction que l'Église " maîtresse en humanité " a quelque chose à dire sur l'amour qui tire son origine de la Révélation divine et qui éclaire aussi bien l'amour conjugal que le service des pauvres ? Qu'elle y trouve non seulement une inspiration lointaine, mais un modèle, une forme, des normes ?

Les chrétiens ne sont donc pas au service d'une vision séculière de l'amour, qui les obligerait à accepter le diktat des mœurs d'aujourd'hui (première partie), et à couler leur générosité dans les contours de l'aide humanitaire (seconde partie). L'amour tel que Dieu nous le montre à l'œuvre suppose un respect de l'autre qui va jusqu'à le considérer dans toutes ses dimensions et pas seulement dans ses besoins immédiats.

Quand on se rappelle que des dispensaires fondés et animés par des religieuses se sont crus obligés d'orchestrer des campagnes sur le préservatif, que des organisations caritatives ont financé des projets de "conscientisation" qui incluaient des séances d'endoctrinement marxiste, non sans doute par conviction, mais parce que leurs dirigeants pensaient que c'était le prix à payer pour être présents sur le terrain, pour obtenir des subventions, pour avoir une action efficace...

Deus caritas est marque un coup d'arrêt à cette dérive, où les chrétiens risquent de perdre leur âme. La charité, l'amour, c'est notre bien propre, c'est nous qui l'avons révélé au monde et, même si nous ne sommes certainement pas les seuls à le vivre, nous savons d'où il tire sa source et son visage, et donc ce qui peut l'empêcher de dégénérer en charity business ou en exploitation du désir.

L'inspiration religieuse de la charité ne peut se séparer de son exercice concret, et cela dans les deux sens. Il ne s'agit pas de bouder les efforts valables que les sociétés essaient de déployer pour organiser la bienfaisance, il ne s'agit pas non plus de négliger l'élan très beau et très noble qui est à l'origine de tout véritable amour humain, mais il faut, autant qu'il est en notre pouvoir, garder à l'Église sa puissance d'intervention pour qu'elle puisse garder vivante la figure de l'Amour total, corrigeant et purifiant les tentatives humaines, relançant la générosité de tous et d'abord des chrétiens.

Il serait très intéressant dans cette perspective de lire les interventions, relativement nombreuses, du Saint-Père face aux divers malheurs qui frappent des populations du globe en ce moment. Ce que l'on pourrait croire un genre convenu, des condoléances de pure forme, se révèle une manière courageuse et prophétique d'indiquer le chemin d'une compassion authentiquement chrétienne face au malheur de l'homme, répondant d'abord à sa question angoissée sur le silence de Dieu et le sens de l'épreuve, mais en y joignant toute suite l'aide empressée et le secours concret des chrétiens. Très important aussi dans cette direction est le message du Pape aux journées mondiales de la Paix de 2006, où l'aspiration pour la paix est fort judicieusement associée à l'exigence de la vérité.

À suivre.

*Le Père Michel Gitton est le recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.

Sur ce sujet :

> L'encyclique Deus caritas est

> Message pour le carême 2006

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