Nos coups de coeur
Liberté d’inexpression – nouvelles formes de la censure contemporaine
Pour toute personne à la conscience politique un minimum aiguisée, il est devenu absolument indubitable que notre expression, notre pensée, notre existence même est aujourd’hui enserrée dans un filet inextricable d’interdictions qui finit par être une atteinte à la vie même, et pourrait-on dire in fine, à la vie intérieure. Sa destruction, nous rappelle Bernanos, n’est-elle pas l’objectif ultime de la civilisation moderne ?
Dans cet essai brillant, Anne-Sophie Chazaud, journaliste et chroniqueuse notamment pour Le Figaro et Marianne, démonte le caractère systémique des censures dont nous faisons l’objet. Des censures institutionnalisées, relayées bien sûr par le pouvoir, mais qui se démultiplient à l’échelle infinie des individualités, transformées en autant de relais sournois et diffus d’une police de la pensée d’un nouveau genre. Ce n’est plus l’Etat totalitaire tout-puissant qui préside à la censure, mais bien la société elle-même dans son ensemble, où chacun surveille tout le monde et réciproquement. La conséquence de cet état de fait est dramatique : à la censure succède bientôt l’auto-censure, qui devient une seconde nature, un habitus profondément intériorisé. La conflictualité, frappée du sceau de l’infâmie, est systématiquement repoussée et condamnée car elle viendrait mettre un mal le consensus apaisé qui doit tenir lieu de projet et d’identité collectifs. En conséquence, c’est la possibilité même d’un affinage, d’un raffinage de la pensée par la confrontation, de la quête de la vérité qui disparaît, conduisant à la mort, à petit feu, de la conscience intérieure. Avoir conscience des mécanismes qui nous mènent dans cette impasse doit permettre d’aiguiser notre vigilance, et de nous encourager, plus que jamais, à la combattivité. Leçon retenue !
On retrouvera dans cet ouvrage des thèmes connus, mais habilement renouvelés. Anne-Sophie Chazaud est un esprit aussi délié et fin que libre, ce qui par les temps qui courent, se fait furieusement rare ! Avec une plume énergique, ce qui, évidemment, ne gâte rien, même si on peut regretter parfois – format de l’œuvre oblige – de ne pas retrouver avec autant d’efficacité exploité ici le sens redoutable de la formule dont elle use dans ses chroniques pour la presse.
