Nos coups de coeur
La gauche progressiste, victime d’une étroitesse d’esprit qu’elle serait bien en peine d’admettre, s’obstine à attaquer un ennemi idéal et commode : le conservateur étriqué, réactionnaire, sans lumières, embourbé si profond dans la glaise qu’il est foncièrement incapable de suivre la grande marche du temps. L’immobilité le caractérise, une grise inadéquation à la vie qui le rend passablement patibulaire. C’est exactement le contre-pied de ce triste portrait que Laurent Dandrieu, rédacteur en chef des pages « Culture » pour Valeurs actuelles, a choisi de prendre dans son dernier essai, La Confrérie des intranquilles.
Choisissant un panel de 21 personnalités plutôt « conservatrices » (quoique pour certaines, il faille manier le concept avec quelques pincettes), il met à l’honneur pour elles le charmant et rare vocable de l’intranquillité, c’est-à-dire un état d’esprit de mouvement perpétuel, non pas agitation stérile et activisme forcené, mais bien plutôt une sorte d’insatisfaction magnifique qui pousse à aller chercher le sens partout où il peut se cacher, et bien souvent de l’autre côté du miroir. Et en effet, ils sont là où on ne les attend pas, ces auteurs rassemblés le temps d’un livre alors que peu de choses, a priori, pouvaient amener Fitzgerald à côtoyer Anouilh ou Raspail.
Rencontre fortuite entre gens de bien ? Il y a beaucoup de subjectivité et de hasards dans cette sélection. Le lecteur trouvera pour lui-même du plaisir à dresser des parallèles entre ces auteurs. Un amour bonhomme de la vie, comme chez Sempé ou Perret, alliant une profonde sagesse du quotidien à la conscience de ce qu’un infiniment grand joue à cache-cache au-dessus de nos têtes. Une passion du passé, une soif d’aller chercher l’idéal dans un âge d’or douloureusement révolu, chez Chateaubriand ou Raspail. Une fièvre de la vie, dans un monde incandescent qui menace de disparaître, chez Drieu ou Morand. Un enracinement nourri au plus profond de la terre de France, donnant une sagesse humble et grandiose chez Bernard ou Chardonne. Il y a de tout dans cet opuscule : de brèves promenades, parfois trop brèves, et des chapitres plus fouillés. Des choses connues, et des découvertes plus inattendues. Il ne reste plus qu’à se (re)plonger dans les pages de ces vénérables auteurs « qui portent en eux tous les rêves du monde » (Pessoa), merci à Laurent Dandrieu de nous en avoir donné le goût.