Durant la campagne des présidentielles, nous avons ouvert un dossier sur les questions d’écologie et d’environnement. Des membres du groupe des chrétiens indignés y ont participé et nous les en remercions. Leurs analyses et leurs prises de positions ont suscité des réactions et des commentaires d’experts partageant les mêmes valeurs fondamentales mais en désaccord sur certaines de leurs options notamment techniques. Dans cet article, Stanislas de Larminat poursuit sa controverse avec nos amis « indignés ».
Après avoir réagi au débat engagé par les chrétiens indignés sur l’écologie, comment ne pas se réjouir d’un nouvel article, plus mesuré que les précédents ?
Toutefois, pourquoi avoir proposé au lecteur un titre parlant d’« hérésie » ? Le débat entre l’agro-écologie et l’agro-industrie ne mérite-t-il pas mieux que l’utilisation de vocabulaires religieux. La question n’est pas de savoir si l’une est hérétique par rapport à l’autre. Le débat est ailleurs. C’est pourquoi, quelques commentaires peuvent être apportés, avec bienveillance.
« Avertissement » ou « abus »
1 – La citation de Benoît XVI évoquant les « les menaces engendrées par le manque d’attention – voire même par les abus – vis-à-vis de la terre et des biens naturels » [1] a été sortie de son contexte. L’auteur de l’article considère cette phrase comme un « avertissement » de Benoît XVI. Un avertissement serait l’expression d’une conviction de Benoît XVI qu’il y a des abus. Or, dans le texte original, on lit que le Saint-Père ne fait part que d’une « préoccupation ». La question reste donc, me semble-t-il, ouverte… même si elle peut paraître « préoccupante », pour reprendre le mot exact du message pontifical.
On dira que c’est jouer sur les mots, mais la question est sérieuse. Elle concerne la manière d’en appeler à des citations du magistère. C’est un art délicat : on ne peut les exploiter qu’après avoir pris deux précautions :
- utiliser les mots exacts… ce qui n’est pas tout à fait le cas ici, mais aussi :
- ne pas se limiter à un seul extrait, et faire appel à une forme d’« herméneutique » c'est-à-dire la recherche du sens des textes, de tous les textes, en portant une grande attention à l’ensemble de leur contenu, de leur unité et de leur cohérence.
Un second exemple peut illustrer ce propos.
« On le sait »
2 – Il est toujours frappant de voir les courants chrétiens sensibles à l’écologie se focaliser sur cette citation, reprise dans l’article sur l’agro-écologie, dans laquelle Jean-Paul II écrit : « (…) les gaz produits par la combustion des carburants fossiles, (…) on le sait, nui(sen)t à l'atmosphère et à l'environnement (…) Il en résulte de multiples altérations météorologiques… » [2]. Jean-Paul II semble insister : « on le sait », écrit-il.
Or, il ne faut pas lire un texte pontifical à caractère pastoral en espérant en tirer une expertise scientifique. Le Saint-Père s’appuie sur les « préoccupations » des communautés humaines et essaie d’en discerner des « signes des temps ». C’était d’ailleurs l’articulation du discours de Benoît XVI devant le Bundestag en septembre 2011. Il introduisait le débat écologique en parlant des craintes de ce temps qui prennent la forme d’« un cri qui aspire à l’air frais ». Aussitôt, il mettait en garde contre les risques de la réflexion dans laquelle il y a un risque de « glisser dans l’irrationnel ». Dès lors, il fit une recommandation : il faut écouter le langage de la nature « et y répondre avec cohérence ». Comme dans la plupart de ses interventions, il recentre alors le débat pour « aborder avec force un point qui, aujourd’hui comme hier, est largement négligé ». Il pose alors le principe fondamental : « il existe aussi une écologie de l’homme », ce qui lui permet de conclure : « L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté ».
Une saine herméneutique conduit à voir que presque tous les discours et messages pontificaux ou du magistère sont articulés de cette manière : prise en compte des craintes de ce temps, risques de dérives, recentrage du problème, énoncé des principes et conclusion.
Si, donc, nous nous limitons à un seul extrait, tiré d’une des étapes du raisonnement, nous courrons des risques. Or, en matière climatique, l’analyse de la cohérence et du contenu de tous les textes montre que tant Jean-Paul II que Benoît XVI ont multiplié les appels aux nations pour qu’elles s’occupent des conséquences du réchauffement climatique, et non pour confirmer des thèses scientifiques selon lesquelles l’homme en serait la cause. D’ailleurs, Benoît XVI, vingt-ans après Jean-Paul II parle de « problématiques qui découlent de phénomènes tels que les changements climatiques » [3]. Il semble que le propos soit moins affirmatif : Benoît XVI ne dit plus, comme son prédécesseur « on le sait », mais parle d’une « problématique ».
Vouloir en appeler au magistère sur les questions scientifiques relève toujours d’une récupération abusive. Que dira-t-on, dans 50 ans, si la science démontre que cette cause humaine du réchauffement climatique n’a été qu’une hypothèse ? Ne commence-t-on pas à voir une quarantaine de laboratoires mondiaux, qui se sont investis dans le projet « Cloud » du CERN, dire qu’il faut revoir tous nos modèles climatiques ?
On a déjà vu ce genre de retournement sur des sujets scientifiques complexes : Pie XII avait, dans son encyclique « Humani Generis », considéré « la doctrine de l' « évolutionnisme » comme une hypothèse », mais Jean-Paul II commenta cette encyclique en disant en 1996 : « Aujourd'hui, près d'un demi-siècle après la parution de l'encyclique, de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l'évolution plus qu'une hypothèse » [4]. Comme quoi la science peut évoluer et éclairer nos souverains pontifes.
« Conservateur » ou « gardien »
3 – L’auteur de l’article sur l’agro-écologie parle de « Dieu qui nous a confié sa Création ». En un sens c’est évident. Soulignons simplement, pour être complet, que les théologiens de la création développent ce thème en s’appuyant sur ce que Dieu dit à Adam : « Dieu le plaça dans le jardin d'Éden pour le cultiver et pour le garder » (Gn 2, 15). Cela étant, n’oublions pas un autre sens du mot « garder » qui correspond à ce qu’on demande à un gardien, à celui qui assure la sécurité contre un intrus. Or un intrus rôde : c’est le serpent. Ce qui sera aussi reproché à Adam, c’est de ne pas avoir assuré cette mission de gardiennage. Il a laissé le mal entrer dans le paradis. Alors on dira que l’abus d’exploitation des biens naturels est un « mal ». Oui ! Cela peut l’être. Mais attention à ce que notre siècle ne s’imagine pas que le péché « originel » est celui de la révolte contre la nature, comme le XIX° a pu, à tort, voir dans le péché de la chair, le mal absolu.
Autrement dit, en nous « confiant » la Création, Dieu ne nous demande pas de la « conserver », un peu comme le ferait le « conservateur » d’un écomusée, mais plutôt de préserver la création du mal. Et c’est tout l’esprit de la doctrine sociale de l’Église qui ne sépare jamais l’écologie de l’environnement des concepts d’écologie de l’homme et d’écologie sociale. Le vrai péché, c’est le mal que l’homme fait à l’homme, en oubliant le sens de la famille, celui du travail et de la solidarité. C’est en ce sens que Jean-Paul II parlait de « crise écologique ».
Science et prudence
4 – L’auteur de l’article sur l’agro-écologie a raison de souligner combien « le génie des chrétiens engagés au service de la cité était souvent des plus remarquables ». Il évoque les questions de bioéthique et des « alternatives audacieuses » comme les cellules iPS. Mais l’auteur se demande pourquoi « les techniques agricoles devraient, moins que les techniques médicales, être remises en question ». Les techniques agricoles, comme les autres, ne sont ni bonnes ni mauvaises. C’est l’usage qui est fait d’une technique qui revêt un caractère moral. En tout état de cause, il y a une différence majeure entre les techniques agricoles et les techniques médicales, c’est qu’en matière médicale, il faut respecter les principes d’autonomie, de bienveillance, de dignité, d’indisponibilité du corps, et de tant d’autres qui sont dus à l’homme. La problématique ne se pose pas dans les mêmes termes en matière agricole. Ces principes propres à la dignité de l’homme ne s’appliquent pas adéquatement au monde minéral, végétal ou animal.
Autonomie des agriculteurs et marché
5 – D’ailleurs, en quoi « l’autonomie des agriculteurs » en matière de semence serait-elle un principe fondamental, comme « l’autonomie d’un malade » peut en être un en matière médicale ? Les agriculteurs, comme tous les acteurs économiques, ont le droit à participer aux « échanges ». L’échange n’a pas été condamné par l’Église, à condition qu’il soit librement consenti. Or, si les agriculteurs achètent 100 % de leurs semences de maïs sous des formes hybrides, c’est qu’ils y voient leur intérêt. S’il y avait un « marché » pour des semences non hybrides, les sélectionneurs en proposeraient. Même les producteurs de maïs « bio » savent qu’ils perdraient 40 à 50 % de rendements dans cette affaire, et, eux aussi, préfèrent participer à « l’échange » à travers le marché.
Le rôle des experts
6 – Il est tout à fait exact qu’il nous appartient d’entendre « comme légitimes les données et les faits qui tendraient à prouver que les pratiques agricoles industrielles remplissent plus parfaitement la fonction de nourrir tous les hommes » et que ce débat pour être légitime « doit conserver sa neutralité scientifique… sans préjugés idéologiques ». Là est toute la difficulté. Il ne suffit pas qu’un camp, celui de « l’agro-écologie », en appelle à ses experts comme Lydia et Claude Bourguignon, Jean-Pierre Berlan… et fassent valoir leurs titres d’ingénieurs agronomiques de l’INRA. Étant un de leurs camarades d’école, il m’est facile de dire combien un tel titre n’apporte rien : ce qui compte c’est le débat sur les faits. Or le camp de l’agro-industrie a, lui aussi, ses experts soucieux d’agriculture intensivement écologique. Citons Michel Griffon, Bernard Chevassus-au-Louis, Léon Guéguen, etc. On pourrait s’amuser à dire qu’eux aussi sont minoritaires face à des chercheurs de l’INRA qui sont majoritairement favorables à l’agriculture biologique. Mais, on court toujours le risque de tomber dans l’idéologie du complot en disant que les uns ou les autres sont des chercheurs « muselés ».
Du bon usage des surfaces agricoles
7 – Concernant les biocarburants, l’auteur de l’article a raison de souligner qu’ils bénéficient « d’un avantage fiscal évalué par la Cour des comptes cette année à 1,8 milliard d’euros aux frais du contribuable français ». Il est exact que, à ce prix, le développement des biocarburants ferait exploser les budgets de nos pays. Mais le sujet mériterait mieux que d’en faire une affaire de personne. Pourquoi, une fois encore, imaginer un complot ourdi par Xavier Beulin ? Pourquoi se défendre de « désigner un bouc émissaire » et en même temps le désigner expressément comme tel au nom de sa double présidence de la FNSEA et de Sofiprotéol ? À quoi sert-il de citer des chiffres en valeur absolue « 5,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010 », alors que personne n’est capable de mesurer la faiblesse - oui, la faiblesse - de niveau puisque ces chiffres de biocarburants ne représentent pas 5 % des surfaces agricoles de la planète. C’est moins que la simple variation de récolte pour des questions climatiques d’une année sur l’autre. Même au Moyen Âge, l’agriculture et la sylviculture ont toujours consacré une partie de leurs surfaces à la production d’énergie. N’oublions pas non plus que l’agriculture consacrait, avant la dernière guerre, 17 % de sa surface à la culture d’aliments pour la traction animale [5]. Une forme de biocarburant avant l’heure !
[1] Extrait de Lettre de Benoîit XVI pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix, le 1er janvier 2010.
[2] Lettre de Jean-Paul II pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix, le 1er janvier 1990.
[3] Lettre de Benoîit XVI pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix, le 1er janvier 2010.
[4] Intervention du Pape Jean-Paul II devant l'Académie Pontificale des Sciences, le 22 octobre 1996.
[5] Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, (CGAAER), Cahier thématique - Vol. XIV – tome 1 – octobre 2011 (page 18).
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