Agroécologie

Le débat sur l’agriculture et sur l’exercice de cet art sous contrainte environnementale est relancé par l’article d’un des membres de la « fraternité des chrétiens indignés », intitulé « L’agro-écologie : pour nourrir 12 milliards d’êtres humains ». Dès le second paragraphe de son article méritoire, l’auteur affiche la couleur: « l’agro-écologie est une réponse à la culture de mort présente dans le modèle d’agriculture mis en place depuis un demi-siècle »… et en conclusion : « C’est là toute la caractéristique d’une structure de péché ».

Voilà donc mis dos à dos, l’agriculture moderne, incarnant la « culture de mort », et l’agro-écologie qui incarnerait la « culture de vie ». L’auteur fait allusion ici à Jean-Paul II qui, dans « Evangelium Vitae », décrivait ce qu’il appelle la « culture de mort » en utilisant cette expression à neuf reprises.

Accuser un système de pensée de « culture de mort » a le mérite d’être une expression forte qui permet à celui qui l’utilise de jeter l’anathème de façon définitive. Mais est-ce suffisant pour convaincre ?

Nous voudrions ici reprendre le concept de « culture de mort » que nous avons développé dans notre ouvrage « les contrevérités de l’écologisme »[1] et voir si la « fraternité des chrétiens indignés » a raison ou non de prétendre ce qu’elle écrit. Il ne s’agit pas, bien sûr, ici de polémiquer avec un auteur. Si nous le citons, c’est simplement à titre d’exemple d’une approche typique d’un courant de pensée agro-écologiste.

La vision de Jean-Paul II

Jean-Paul II a voulu qu’ « Evangelium Vitae » soit une instruction « sur la valeur et l'inviolabilité de la vie humaine ». Pour lui la « culture de mort » est une structure de péché, caractérisée par une culture contraire à la solidarité[2]. Il faudra se poser la question : l’Agro écologie est-elle certaine de favoriser la solidarité. Si elle ne permet pas de nourrir la planète, il y aura des questions à se poser. Il ne suffit pas d’affirmer « qu’elle est l’unique solution pour nourrir 12 milliards d’êtres humains » pour que ce soit exact. Le DG de la FAO, Jacques Diouf, avait fait le point[3] sur le risque de confusion entretenue  par une Conférence internationale sur l’agriculture biologique tenue à la FAO en mai 2007. M. Diouf n’avait pas nié que l'agriculture biologique puisse contribuer à la lutte contre l’insécurité alimentaire. Comment pourrait-on dire le contraire? Chaque tonne produite contribue à l’objectif ! Mais il avait ajouté que seule l'utilisation de produits phytosanitaires chimiques ou de synthèse, de manière judicieuse, est à même de combattre la faim dans le monde.

Revenons à Jean Paul II. Il poursuit, dans « Evangelium Vitae », que cette structure de péché prend ses racines dans « l'éclipse du sens de Dieu et du sens de l'homme … au plus intime de la conscience morale »[4] de chacun de nous[5]. Autrement dit, la frontière du péché ne passe pas entre l’agro écologie et l’agriculture moderne : elle passe au milieu de notre propre personne. Depuis « Evangelium Vitae », l’expression « culture de mort » est utilisée, dans une multitude de contextes, à tort et à travers, pour qualifier, en particulier, des politiques économiques ou sociales. L’auteur tombe dans ce piège en disant : « L’agriculture moderne est l’exemple type d’un capitalisme irresponsable ».  Jean-Paul II rappelle d’ailleurs qu’il ne faut pas se contenter d’accuser la « société ». En effet,  écrit-il encore, « c'est avant tout la conscience de chaque personne qui est en cause » [6].

La vision d’un philosophe

Une analyse, non publiée, du philosophe Fabrice Hadjadj, auteur de l’ouvrage « Réussir sa mort »[7], va servir de base à la poursuite de notre réflexion sur la « culture de mort ».

L’écrivain s’appuie sur l’expression « fin de vie » dont il voit un double sens : d’un côté, le but ou la finalité de toute vie, et, de l’autre, l’issue ou le terme d’une vie.

  • Le premier concept de « fin de vie » est celui qu’avait déjà posé Aristote en disant que chaque choix humain a pour « fin » ultime son bonheur, ce qu’il appelle le désir d’un « souverain bien », celui qui comble l’homme au point de ne plus rien laisser à désirer, sauf le débordement d’un bien toujours plus grand.
  • Le second concept de « fin de vie » est celui de l’issue ou du terme de la vie. Il concerne l’expérience de la séparation de l’âme et du corps, avec la souffrance, la peur et l’angoisse, qui accompagnent la mort. Il s’agit de la fin dernière qui est déchirure.

Pour Fabrice Hadjadj, ce qui procède de la « culture de mort », c’est tout ce qui essaie de nous faire oublier la mort. A cette fin, l’homme développe toutes sortes de stratégies d’esquive devant le drame de cette déchirure entre deux réalités, le désir de bonheur d’une part, et la conscience que la vie a un terme, d’autre part.

Fabrice Hadjadj fait la typologie des artifices mis en place par notre société pour réduire cette fracture et ce drame en minimisant le poids de chacun des deux concepts de la mort :

  • soit par un obscurcissement de la conscience de la mort,
  • soit par un affaiblissement des désirs de bonheur.

Comment se déclinent, chez Fabrice Hadjadj, ces deux stratégies d’évitement ? Pour chacune, nous nous poserons la question : L’agro-écologie ne procéderait-elle pas,  elle aussi,  de cette « culture de mort » ?

Les stratégies d’obscurcissement de la conscience de la mort. 

Fabrice Hadjadj distingue trois stratégies d’obscurcissement de la conscience de la mort : le « divertissement consumériste », le « divertissement spirituel » et le « divertissement technocratique ».

Le divertissement consumériste

Commençons par le « divertissement consumériste ». Il  consiste à profiter de la vie pour ne pas voir la mort. Il y a une forme d’excès de recherche de confort qui peut être la traduction d’une forme de fuite devant la mort. Il s’agit de « profiter de la vie ». Le rêve de chacun de la « bonne mort » ou de la « mort douce » serait de mourir dans son sommeil, ou, encore mieux, devant sa télévision ! Le « divertissement consumériste » revient à profiter de la vie pour ne plus voir ce qu’est la mort. Pendant que je « consomme », j’oublie, je me divertis.

Qu’en est-il de l’agro-écologie, par rapport à ce « divertissement consumériste » ? En un certain sens, le développement d’un marketing « bio » peut devenir malsain. Prenons un exemple : l’association de Recherche sur le cancer répond à la question, « manger Bio protège-t-il du cancer. Sa réponse est formelle : « faux ». « Aucune étude scientifique convaincante, dit l’ARC, n’a pour l’instant montré que les produits issus de l’agriculture biologique présentent un intérêt nutritionnel ou un effet protecteur supérieur aux autres aliments » [8].

Prenons un autre exemple : on assiste à un mélange de concepts, celui  de « produit biologique » et celui de solidarité avec le « produit équitable ». Il s’agit souvent d’une forme de déculpabilisation pour le consommateur. Un rapport de l’« Institut de Recherche des Nations Unies pour le Développement Social » (UNRISD) [9] reprend un sondage de l’ONG Alter Eco selon lequel les consommateurs reconnaissent, pour une grande part, qu’ils achètent un produit équitable, croyant sa qualité meilleure. Le rapport ajoute que « le fait que les consommateurs aient tendance à faire passer le critère de la qualité avant celui de l’acte citoyen soulève un problème important, qui concerne le risque élevé de la dilution du message de solidarité que le commerce équitable essaie de faire passer dans un acte d’achat purement économique, renvoyant au simple rapport qualité-prix ».

Posons-nous donc la question : pendant que je consomme « bio », ne suis-je pas en train d’oublier le vrai problème, celui du renforcement de mécanismes de dépendances à des pratiques mortifères pour les plus pauvres. Cette dépendance est parfaitement analysée par la même UNRISD, agence de l’ONU : « il existe une contradiction entre la conception du développement du commerce équitable, celle qui défend l’idée d’un accroissement des capacités d’autonomie, et l’intégration des produits équitables dans le circuit économique traditionnel qui tend vers un renforcement des mécanismes de dépendance. Comment rester fidèle à cette conception qui est chère au commerce équitable alors que certaines pratiques vont … vers une consolidation des liens de dépendance? ».

Nous voudrions donc mettre en garde le mouvement des « indignés » quand il fait l’éloge d’une agro-écologie qui devrait, écrit-il, « se passer des engrais et pesticides chimiques ». Le label « bio » n’est peut-être pas aussi clair qu’il n’y parait.

Le divertissement spirituel

Après ce premier « divertissement consumériste », Fabrice Hadjadj propose d’en décrire un second, le « divertissement spirituel ».

Ce « divertissement spirituel » est très différent du précédent et considère que la mort n’aurait ni importance, ni valeur, mais ne serait que le simple passage d’une porte et que cette étape se « passerait bien ». Cette stratégie, pour éloigner la mort, afin de mieux profiter de la vie, pousse à se réfugier dans une pseudo-béatitude spirituelle, « une confiture spirituelle » qui attire même certains chrétiens tentés par une piété facile.

On retrouve cette « spiritualité » dans certaines philosophies hindouistes importées en occident. Elles prônent le refus du drame de la mort qui ne serait que libération finale de l’âme individuelle dans le cycle des renaissances. C’est la « Moksha » que l’on atteindrait en s’identifiant à une des nombreuses divinités proposées. C’est un « divertissement extatique » qui nous emmènerait dans le meilleur des mondes.

Qu’en est-il de l’agro-écologie, par rapport à ce « divertissement spirituel » ?

Dans une certaine mesure, les cultes de la déesse Gaïa relèvent de cette stratégie d’obscurcissement. On la retrouve dans le discours final de Boutros Ghali au sommet de la Terre à Rio plaidant pour un retour aux civilisations préchrétiennes[10].

Relève également d’une forme de « divertissement spirituel », la nostalgie de certains de nos contemporains pour une nature conforme au vécu de leur jeunesse. Fortement ancrée, elle permet d’adhérer facilement à toute sorte de théories écologistes.

On a le droit d’être gêné par les propos de notre auteur « indigné » qui condamne l’usage des pesticides dans un grand élan poétique : « Disparues, les centaines de variétés de fleurs sauvages qu’on voyait dans nos champs ! » Ah ! Les beaux coquelicots de mon enfance dans les champs de blé ! C’est vrai, nous sommes toute une génération à avoir aimé cela[11]. Mais n’est-ce pas oublier un peu vite ce que, même l’ONU lance ce slogan : « Les mauvaises herbes, ennemi naturel numéro un des agriculteurs ». Ricardo Labrada-Romero, expert de l’ONU, explique qu’« elles causent des ravages sans faire de bruit, année après année … Les mauvaises herbes sont à l'origine de quelque 95 milliards de dollars de pertes ». Cela représente l’équivalent de la moitié de la production mondiale de blé. Quel gaspillage !

Le divertissement technocratique

Après le « divertissement consumériste »  et le « divertissement spirituel », Fabrice Hadjadj parle du « divertissement technocratique » comme troisième stratégie d’obscurcissement de la conscience de mort.

Le « divertissement technocratique » consiste à considérer que l’homme maitrisera tout, y compris la mort. Il s’agit d’une véritable tentation biurgique.

En quoi l’agro-écologie est-elle concernée par le « divertissement technocratique » ?

L’agro-écologie nous promet une forme de salut ici-bas. Elle voudrait un peu nous faire croire que l’homme pourra se sauver tout seul. A lui tout seul, ses actions seraient sources du salut. Il y a là une forme de déni de l’acte créateur divin. Par son agir, l’homme pourrait faire aussi bien que Dieu en sauvant la planète de la destruction et deviendrait, ainsi, créateur au même rang que Dieu !

N’est-il pas paradoxal de voir la fraternité des « chrétiens indignés », à la fois condamner la technologie de l’agriculture moderne et faire l’éloge de l’agro-écologie avec ses « techniques … testées et approuvées. Rationnellement, intelligemment ». Certes, il  ne s’agit pas de remettre en cause le devoir de l’homme de faire l’exercice de sa raison et de développer sa technicité. Mais, l’agro-écologie n’échappe pas à cette grande tentation de l’homme d’être, comme le dit Mgr Crepaldi, « tellement  préoccupé par la technique, mais surtout par le fait de ne plus rien apercevoir derrière elle et de déboucher sur le néant… C’est ce que j'entends en utilisant l'expression "nudité" de la technique »[12]. L’agro-écologie, comme toutes les « recettes messianiques », risque d’oublier qu’elle n’échappera pas à la nature humaine : l’écologie chrétienne ne trouvera sa source et sa finalité que dans le Christ. Mgr Crepaldi le dit, à sa manière, dans son ouvrage sur l’écologie: «  la venue de Christ, par laquelle Dieu a assumé la nature humaine, se présente comme le début d'un processus de récapitulation et de réconciliation de toutes les choses avec Lui[13], ainsi que des personnes, en guérissant définitivement les carences et imperfections humaines »[14]. Nos « carences et nos imperfections » ne seront pas guéries par l’agro-écologie mais par le Christ lui-même.

Les stratégies d’affaiblissement des désirs de bonheur

L’obscurcissement de la conscience de la mort est donc le premier artifice pour réduire le drame et le poids de la mort et participe ainsi à la culture de mort de nos sociétés. Le second  consiste en des « stratégies d’affaiblissement des désirs de bonheur ». Elles sont à l’opposé des stratégies de divertissement. Fabrice Hadjadj les décline en trois types de « discours ».

Bien entendu ces stratégies sont archétypales et on peut passer insidieusement de l’une à l’autre. Quelles sont-elles ? Le philosophe en distingue trois : le « discours cynique », le « discours réducteur » et le « discours terroriste ».

Le discours cynique

Le « discours cynique », d’abord, consiste à dire que la vie ne mérite pas d’être vécue.

C’est la posture négative, le discours blasé du « beau ténébreux ». Le « cynique » prétend qu’il n’y a pas de bonheur possible : car la vie n’aurait pas de but, et la fin de vie n’aurait pas de sens.

Ce type de discours est une forme d’imposture dans la mesure où il y a une certaine jouissance à se dire pessimiste et une sorte de jubilation à être dans le discours du pire.

On retrouve cette forme d’ « endurcissement douillet », comme le qualifie Fabrice Hadjadj, dans le suicide de Montherlant : « Adieu, je vous méprise ! ». C’est le dernier acte du mépris et de l’apparente souveraineté.

En quoi l’agro-écologie est-elle concernée par ce  « discours cynique » ?

Il y a dans un certain écologisme, une dérive consistant à considérer que l’homme n’est qu’un prédateur, et qu’il ne mérite pas plus de dignité qu’un animal. Cela rejoint le discours cynique.

Certes, on ne retrouve pas vraiment cela dans l’agro-écologie, mais on devine cette idée sous-jacente quand l’article, que nous analysons ici, parle de « ces petits acariens, vers, cloportes ou autres myriapodes …, massacrés à coup de pesticides ». Le mot « massacre » laisse un peu trop à penser que les animaux sont au même rang que l’homme. Il est des vocabulaires qui devraient être évités. Certes le chrétien sait qu’il n’a pas vocation à faire souffrir l’animal. Mais il n’oublie pas que Dieu a qualifié son acte créateur des animaux de « bon », mais celui de l’homme de « très bon ». Le rang n’est pas le même. 

Le discours réducteur

Après le « discours cynique », Fabrice Hadjadj propose le « discours réducteur ».

Il consiste à éteindre le maximum de désirs en partant de l’idée que la racine des souffrances, est le désir. Réduire ses désirs, c’est éviter de souffrir. C’est le discours du « blasé mondain ».

On retrouve cette tentation dans le succès, en occident, des cultures bouddhistes athées pour qui la rencontre de la mort est une violence qu’on peut éviter en pratiquant la vacuité. Pourtant, même pour un bouddhiste religieux, l’espoir de la réincarnation est un désir qui relève du cauchemar. Il y a là une forme de libération de l’insatisfaction : ce n’est que lorsqu’il sera libéré de tous ses désirs que l’homme atteindra le « nirvana », l’illumination, et échappera ainsi à la souffrance lors d’une mort définitive, libérée des cycles des renaissances et des morts.

En quoi l’agro-écologie est-elle concernée par ce « discours réducteur » ?

Lorsque la décroissance économique est présentée comme un objectif, nous sommes dans ce discours. Les besoins satisfaits par la technique et la modernité seraient inutiles à côté de l’absolue nécessité de sauver la planète. Or toutes ces thèses ne sont que théories et les modèles économiques ne sont montés que pour prouver ce qu’ils veulent démontrer.

Il est assez gênant de voir l’agro-écologie devenir un modèle de bonheur imposé. Les phrases de notre défenseur de l’agro-écologie n’ont de cesse de vouloir nous imposer ces modèles : « l’agro-écologie est… une vision globale pour le développement de l’homme ». Elle nous garantirait « les fruits d’un retour à une sobriété joyeuse ». Le site internet des chrétiens indignés va jusqu’à paraphraser, de manière syncrétiste, une parole du Christ: « bienheureux les sobres ». A ce sujet, il est bon de relire l’homélie récente de Benoit XVI sur la sobriété. Lors de l’angelus du 4 décembre 2011, il commenta l’évangile dans lequel Saint-Jean-Baptiste est décrit « comme une figure très ascétique : vêtu d’une peau de chameau, il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage qu’il trouve dans le désert de Judée » (Mc 1,6). Dans un premier temps, Benoit XVI dit que « le style de Jean-Baptiste devrait rappeler à tous les chrétiens de choisir, comme style de vie, la sobriété ». Mais, Benoit XVI montre, aussitôt, que « l’appel de Jean va au-delà de la sobriété du style de vie, et plus en profondeur : il appelle à un changement intérieur, à partir de la reconnaissance et de la confession du péché personnel ». L’appel à la sobriété est donc un chemin spirituel qu’il appartient à chacun de choisir à titre personnel si cela peut l’aider à se reconnaître pécheur et à se convertir. Il y a quelque chose d’insupportable à voir l’agro-écologie vouloir nous présenter la « sobriété joyeuse » comme un but. « Suivez mon programme », semble-t-elle dire, « je m’occupe de votre bonheur » ! Il y a dans ce discours cynique agro-écologique, une forme de messianisme, comme on en retrouve chez les Gourous qui condamnent le progrès et sa conséquence immédiate qu’est la croissance, chez ceux qui « dissipent les ténèbres » en aidant leurs disciples à passer de l’obscurité « Gu » à la lumière « Ru » !

Le discours terroriste

Après le « discours cynique » et le « discours réducteur », Fabrice Hadjadj propose une troisième stratégie d’affaiblissement des désirs de bonheur avec le « discours terroriste ».

Il appelle à une société parfaite, et pour ce faire, méprise les désirs d’autrui pour atteindre la perfection choisie. Le désir de l’autre ne sert à rien ! Ce discours prône alors l’élimination du « non parfait », l’élimination de ceux qui souffrent. C’est une culture de mort, un véritable terrorisme.

Retrouve-t-on un « discours terroriste » dans celui de l’agro-écologie ?

Le terrorisme a changé de forme. On ne coupe plus les têtes. La révolution est finie, quoiqu’on puisse se demander si on n’en rêve pas encore en souhaitant qu’on procède à des redistributions de terres « volontaire ou forcée ». En revanche les dialecticiens politiquement corrects aiment à couper les micros de ceux qui s’opposent à eux. La dialectique relève bien d’une forme de terrorisme intellectuel. Il faut dénoncer les manipulations du type de celle de notre défenseur de l’agro-écologie consistant à balancer un raisonnement ainsi : 

  • Thèse: l’agriculture moderne ferait « le choix de « nourrir » le parc automobile mondial »
  • Antithèse: « chaque enfant qui meurt de faim est un enfant qu’on assassine »
  • Conclusion médiane: il faudrait donc suivre le programme agro-écologique.

Ce genre de dialectique est appauvrissant. L’opposition d’hypothèses contradictoires et non fondées font le jeu des idéologues qui veulent dissimuler leurs solutions derrière des images médianes. Les philosophes ne sont pas dupes : « La problématique classique de la dialectique, de Platon à Hegel, est d'apporter une solution particulière à un problème plus général qu’elle sert à dissimuler»[15]

D’une manière générale, il y a une forme de terroriste intellectuel à :

  • Utiliser des phrases particulièrement violentes pour émouvoir sans fondement : « nos sols sont morts ». Il est en effet faux de dire que « les agronomes, géologues et microbiologistes sont unanimes » à ce sujet. Les réalités sont plus complexes que les slogans.
  • Entretenir des confusions sémantiques en faisant à la fois l’éloge d’une agro-écologie qui devrait « se passer des engrais et pesticides chimiques » et celle d’une agriculture raisonnée « celle qui met en jeu l’intelligence et la volonté », et qui pourtant n’a jamais remis en cause l’usage raisonné des dits pesticides et engrais !
  • Jouer de concepts illusoires comme celui de la « croissance verte ». L’article l’évoque : l’agro-écologie « vise à …créer de l’emploi ». Malheureusement, une  croissance qui ne créé pas de « valeur », tombe dans l’activisme, voire dans l’idéologie. Cet activisme a un coût qui est inéluctablement financé par d’autres secteurs de l’économie. Si ce coût handicape à ce point ladite économie, il génère des délocalisations ; il est, de façon induite, destructeur d’emplois[16].
  • Tordre les chiffres pour convaincre : « l’agro-écologie a prouvé …en Afrique, qu’elle permet d’accroître la productivité au niveau local, de réduire la pauvreté rurale ». Ce n’est pas faux, mais c’est relatif, car on oublie que nos rendements atteignent couramment les 10 tonnes/ha, alors qu’en Afrique, il n’est couramment de seulement 1 tonne par hectare. On pourrait certes doubler, mais on sait que dans les meilleures conditions de mise en œuvre sur des sols fertiles européens, l’agriculture biologique permet difficilement des rendements du blé supérieurs à 3,5 tonnes par hectare[17].

En conclusion,

Demandons-nous si Fabrice Hadjadj n’a pas raison de nous mettre en garde contre toutes les formes de messianismes qui cherchent à détruire tout ce qui est "autre". Au final, il s’agit d’une forme d’autodestruction collective. Fabrice Hadjhadj n’est pas dupe des illusions vendues par les messianiques: « On se met à prendre des vessies pour des lanternes et des lanternes pour des messies… Ainsi s’explique la facilité pour tout un peuple de se ruer après… l’utopie à la mode... Mais le pauvre peuple… est si abattu qu’il se précipite sur le prochain faux messie, la prochaine planification de la cité idéale » [18].

L’approche écologiste qui, après avoir entretenu la peur d’une apocalypse planétaire, consiste à s’approprier un discours politique du type : « n’ayez pas peur, je m’occupe de vous, je m’occupe de votre bonheur » relève un peu de cette stratégie d’affaiblissement des désirs de bonheur. L’agro-écologie ambiante, en faisant la promotion d’indices de « Bonheur National Brut » ou de  « Produit Intérieur Doux » pour justifier des politiques de « décroissance », cache mal qu’il cherche à réduire le bonheur d’autrui à ses propres critères, celui d’une éducation basée sur des formats qui  lui appartiennent ou celui du bien être sous une forme imposée.

 

Retrouvez tous les articles sur l'agriculture dans notre dossier :

 

[1] « Les contrevérités de l’écologisme » de Stanislas de Larminat (Editions Salvator 2011- pages 283 à 295)

[2] Evangelium Vitae §12

[3] Source : FAO Salle de presse du 10.12.2007 à Rome http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2007/1000726/index.html

[4] Evangelium Vitae, § 21

[5]  « Aux premières heures du vendredi saint après-midi, « le soleil s'éclipsant, l'obscurité se fit sur la terre entière... Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu » (Lc 23, 44. 45). C'est le symbole d'un grand bouleversement cosmique et d'une lutte effroyable entre les forces du bien et les forces du mal, entre la vie et la mort. Nous aussi, aujourd'hui, nous nous trouvons au milieu d'une lutte dramatique entre la « culture de mort » et la « culture de vie ». Mais la splendeur de la Croix n'est pas voilée par cette obscurité; la Croix se détache même encore plus nettement et plus clairement, et elle apparaît comme le centre, le sens et la fin de toute l'histoire et de toute vie humaine ». [Evangelium Vitae § 50]

[6] Evangelium Vitae, § 24

[7] Presses de la Renaissance, oct. 2005

[8] ARC http://www.arc-cancer.net/Cancer-vrai-ou-faux-/article/Manger-bio-protege-du-cancer-du-sein.html

[9] Rapport du 20 décembre 2005 « Société civile et mouvements sociaux –Commerce équitable » de Murat Yilmaz

[10] Boutros Boutros-Ghali avait dit en cloture du sommet de Rio: « Pour les anciens, le Nil était un Dieu qu'on vénère, de même le Rhin, source infinie de mythes européens, ou la forêt amazonienne, la mère des forêts. Pour les anciens, le pain  est étranger, de même le vin. Partout dans le monde, la nature était la demeure des divinités. Celles-ci ont conféré à la forêt, au désert, à la montagne, une personnalité qui imposait adoration et respect. La Terre avait une âme : la retrouver, la ressusciter, telle est l'essence de Rio. » (Version française : A/CONF.151/26, vol. IV )

[11] Même l’ONU, dont la connivence avec les ONG environnementalistes  n’est plus à démontrer,  a bien été obligée de faire le constat du caractère indispensable des pesticides.  « Les mauvaises herbes, ennemi naturel numéro un des agriculteurs ». C’est ce que dit l'expert de l’ONU en mauvaises herbes, Ricardo Labrada-Romero. « Elles causent des ravages sans faire de bruit, année après année ». Les mauvaises herbes sont à l'origine de quelque 95 milliards de dollars de pertes de production vivrière à l'échelle mondiale, contre :
 -85 milliards de dollars pour les agents pathogènes,
 -46 milliards de dollars pour les insectes
 -et 2,4 milliards pour les vertébrés (à l'exclusion de l'homme).
 Cela correspond à environ 380 millions de tonnes de blé, soit plus de la moitié de la production mondiale escomptée pour 2009. Les pertes économiques peuvent être encore plus colossales si l'on considère que plus de la moitié du temps que les agriculteurs passent dans les champs est consacrée à la lutte contre les adventices, souligne M. Labrada-Romero.
 Il s'ensuit que si les fermes veulent accroître leur productivité, une des premières choses à faire est d'améliorer la lutte contre les mauvaises herbes. Et nulle part ailleurs ce n’est plus vrai qu'en Afrique, où les adventices sont une cause principale de stagnation des rendements et de la production. On pourrait bien proposer à nos écologistes urbains qui plaident pour l’interdiction des phytosanitaires d’aller aider, ne serait ce qu’une journée, « les petits exploitants africains qui, dit M. Labrada-Romero, ne pouvant compter que sur leurs propres forces, doivent désherber tous les jours, ce qui veut dire qu'une famille ne peut physiquement pas traiter plus d'un à 1,5 hectare".

[12] Mgr Giampaolo Crepaldi (ancien secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix), dans «  Ecologie environnementale et écologie de l’homme »  (éditions Cantagalli – 2007,  page 54)

[13] Col 1, 19-20 ; Eph 1, 9-10

[14] Mgr Giampaolo Crepaldi (ancien secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix), dans «  Ecologie environnementale et écologie de l’homme »  (éditions Cantagalli – 2007, Page 57)

[15] Vocabulaire technique et Critique de la philo (André Lalande) (PUF 1976), Père Humbert Cornélis, doct. en théologie à l’université de Nimègue, et Père Augustin Léonard, dominicain, dans « la Gnose éternelle » 1959 p. 17

[16] Il n’est pas difficile de distinguer l’ « activité » de la « croissance ». Sans vouloir être caricatural, rappelons-nous cette aventure savoureuse du « sapeur Camember », héros d’une des premières bandes dessinées par Marie-Louis-Georges Colomb, dit Christophe (1856-1945) :« Sergent! interroge Camember, et la terre du trou ? - Que vous êtes donc plus hermétiquement bouché qu’une bouteille de limonade, sapeur ! Creusez un autre trou ! C’est alimentaire [sic] - C’est vrai! » approuve Camember ». 
 En creusant un trou pour mettre la terre du trou qu’il venait de creuser, le sergent assure l'emploi « alimentaire » [sic] de son sapeur, mais il ne crée pas de croissance.

[17] Sources : Léon Guéguen, chercheur à l’INRA

[18] « Réussir sa mort » Fabrice Hadjadj, Presses de la Renaissance, 2005, p. 77