Quelles sont les minorités qui contrôlent de plus en plus la vie de leurs concitoyens ?

Source [Atlantico] Les élections européennes ont mis en lumière l'importance croissante du pouvoir de minorités sur les majorités. Mais cette vérité dépasse la sphère politique et se retrouve dans le domaine économique et culturel.

Atlantico :  Alors que la crise que traverse la France a accouché d'un statu quo comme le montre l'échec des listes d'opposition lors de cette élection européenne, n'aboutit-on pas aujourd'hui à une situation de blocage, par une certaine minorité d'élites, lesquelles semblent en mesure d'avancer leur programme, tant au niveau politique avec LREM, qu’économique avec les GAFAM ou culturel (écologie, mœurs...) ?

Pierre Vermeren : Les résultats des européennes ont à la fois confirmé et dénaturé ceux de la présidentielle. La confirmation, c’est la victoire masquée du parti présidentiel, que les commentateurs appellent pudiquement le « bloc élitaire », mais qui signifie en clair la bourgeoisie libérale. La dénaturation, ou du moins la nouveauté, c’est que ce bloc a perdu son aile gauche -les fameux bobos-, qui est rentrée au bercail (chez les Verts par exemple), laissant place à la bourgeoisie traditionnelle (de l’ouest parisien), et à la frange aisée et âgée de la bourgeoisie catholique : toutes les régions catholiques qui votent à droite depuis le XIXe siècle (même si la Bretagne a viré à gauche depuis 30 ans) ont placé la liste macroniste en tête : Savoie, Bas-Rhin, Auvergne, Pays Basque, Vendée, grand Ouest. C’est une captation d’héritage.

La bourgeoisie aisée a en outre permis au président de conserver les grandes métropoles, hormis la populaire Marseille. Ce vote est la traduction électorale et arithmétique de phénomènes électoraux anciens, et de la sociologie de l’habitat qui s’est recomposée depuis trente ans. Les bobos ont été remplacés par les cathos aisés, mais cela donne toujours 10 ou 11% de l’électorat. Si l’on fait la somme de ceux qui sont partis (chez les verts) et des nouveaux venus (les cathos âgés), cela constitue une base électorale de 20% pour le camp présidentiel (le président ayant perdu cette fois le vote des minorités ethniques, à en juger par la participation en Guyane ou en Seine Saint-Denis).

Le reste de la population, non comptée la fraction des moyens cadres ou fonctionnaires (comme les profs), se compose de la France périphérique, géographique et sociale. Cette base sociologique de deux Français sur trois, qui a soutenu les gilets jaunes en décembre, est l’addition des classes populaires (50%) et de la classe moyenne paupérisée (20%). Elle s’est aux deux tiers abstenue de voter, et pour un tiers, s’est partagée entre le Rassemblement national et la gauche.

Le groupe élitaire » peut donc gouverner en paix, continuer à « réformer », à internationaliser l’économie et à faire des lois sociétales. Mais ce qui était aisé avec le vote censitaire sous la Restauration (1815-1848) sera périlleux le jour où l’électorat populaire se mobilisera. Ce ne peut être qu’à la présidentielle comme on l’a vu aux Etats-Unis.

Edouard Husson : La France ne représente pas le cas général. Alors que, dans beaucoup d’autres pays occidentaux, le pouvoir des partis centristes est contesté, nous avons un président qui gouverne depuis le centre et qui réussit, jusqu’à maintenant, à contenir la poussée des partis qui s’affichent clairement à droite ou à gauche. En Allemagne on retrouve une situation assez similaire, les chrétiens-démocrates jouant le rôle de La République en Marche. Mais le cas de l’Allemagne est particulier dans la mesure où le passé nazi dissuade les partis allemands de porter le débat aux extrêmes. L’AfD, parti ultra-conservateur, semble ne pas pouvoir dépasser 12/13% en moyenne nationale.

Ailleurs, le débat est mené dans d’autres termes: la Grande-Bretagne montre une très claire polarisation entre pro- et anti-Brexit et le parti conservateur comprend un certain nombre d’individus qui ne jouent pas le jeu des élites dont vous parlez. En Italie, en Hongrie ou aux Etats-Unis, vous avez carrément une partie des élites qui a pris le parti des classes populaires et revient à une politique d’intérêt national. Il faut donc s’interroger sur la cas français, très spécifique. La prédominance des représentations idéologiques est un facteur: nous sommes un pays où le président peut faire d’une vision totalement abstraite de l’Europe le moteur son action; et où une partie de la droite continue, vingt-cinq ans après la mort de Mitterrand, à faire sien le portrait qu’il avait tracé du Rassemblement National en peste brune. Il y a aussi la centralisation du pouvoir et la concentration des élites à Paris. Nos élites rejouent en permanence la Révolution française. 

Retrouvez l'intégralité de l'article en cliquant ici