[Lettre d'Amérique n. 11] — Il est extrêmement intéressant d'observer une campagne électorale, dans un pays dont vous n'êtes pas citoyen. Vous n'avez pas à vous soucier de voter, vous n'avez pas l'esprit troublé par des passions partisanes, vous n'avez qu'à essayer de comprendre.
La difficulté, ce n'est pas de rassembler les faits. Au siècle de l'Internet, ce n'est plus un problème, à qui veut se donner un peu de mal. Si vous aller sur RealclearPolitics.com , vous pourrez presque assister à tous les débats importants de la campagne. Non. La difficulté, c'est de faire sens de tout cela , comme on dit ici, c'est-à-dire raconter l'histoire d'une manière intelligible permettant de régler l'action avec justice et prudence. Bien sûr, cela suppose une culture historique et philosophique, ainsi que des connaissances diverses.
C'est ce que j'essaye de faire. Cela jette une lumière indirecte sur nos propres problèmes en France et en Europe – d'autant que nous sommes déterminés par ce que fera la première puissance.
Les républicains conservateurs ont l'initiative
Ce sont eux qui fournissent la problématique des débats. Les républicains modérés sont à la remorque et les démocrates en défense.
Quand ils essayent de maintenir leur propre problématique, comme Jack Conway face à Rand Paul dans la sénatoriale du Kentucky, ils donnent l'impression de perdre le contact avec le public. Quand, au contraire, ils entrent dans la problématique conservatrice et s'alignent sur le programme républicain, en arrondissant ses angles, comme John Carney face au républicain Tea Party Glen Urquhart dans l'élection à la chambre des Représentants pour l'État de Delaware, ils donnent l'impression de résister beaucoup mieux.
Les problèmes économiques sont posés dans la campagne à partir du problème de l'emploi. Il faut des jobs. Comment ? En évitant toute hausse des impôts. Nombre de candidats démocrates assurent qu'ils ne voteront pas les augmentations que demande le président Obama. Cela rend leur élection moins improbable, mais garantit presque assurément que ces augmentations ne seront pas votées.
En effet, les projets votés par la Chambre des Représentants américains doivent encore être votés par 60 sénateurs (sur 100), et ne pas faire l'objet du véto présidentiel, et pour finir ne pas être déclarés inconstitutionnels par la Cour suprême à la suite de la plainte d'un citoyen accusant la loi de le priver de ses droits constitutionnels. Un tel système demande une culture du compromis, ou est voué à la paralysie par le blocage sénatorial ( filibuster ), sauf à posséder une énorme majorité.
Une telle culture du compromis requiert un accord de fond sur les principes de la culture politique et sur la morale. Cela aussi fait partie de la formule qui marche . Nous y reviendrons.
1er principe : "Government does not create jobs. Business creates jobs."
Les réductions d'impôt doivent servir à la fois d'incitation à la création de jobs, et de moyen pour accroître les investissements, surtout dans les petites et moyennes entreprises. Ceci fait consensus.
Or si l'on n'augmente pas les impôts, comment réduire le déficit et arrêter la croissance de la dette ? Là encore, la réponse dominante est qu'il faut réduire les dépenses. Mais comment ?
Un certain accord se fait sur la lutte contre la fraude et le gaspillage. Aux États-Unis, ce peut aller très loin et ne pas en rester au stade des vœux pieux. Toutefois, mis à part certains réformateurs énergiques, peu de candidats vont plus loin, ou parlent de recalibrer les grandes variables dont dépendent les équilibres de la sécurité sociale, comme, par exemple, l'âge de la retraite – celle-ci d'ailleurs n'est pas obligatoire aux États-Unis.
Aucun des deux partis ne souhaite ou n'espère réduire très significativement les trois grands postes de dépense relevant de l'État fédéral : sécurité sociale, assurance maladie, forces armées. En Floride, le démocrate de gauche Kendrick Meek veut augmenter les impôts sur les riches pour réduire le monumental déficit fédéral. Mais à quatre semaines du scrutin, il n'obtient que 18% des intentions de vote.
Optimisme ou démagogie ?
Il est généralement admis que les économies ne s'élèveront pas à 10% du montant du déficit courant. En même temps, le Parti républicain crie sur tous les toits que l'augmentation de la dette est insupportable et injuste pour les générations futures.
Le président de la Banque centrale américaine, Ben S. Bernanke, a lui aussi déclaré hier (Washington Post, 5 octobre 2010, p. A 10), que cela ne pouvait pas durer sans mettre en danger la crédibilité de tout le système à échéance de peu d'années.
Comment ces économies ne vont-elles pas replonger leur pays à court-terme dans la dépression ? La réponse est qu'on croit dur comme fer à une relance par l'investissement et par l'offre. La prospérité et la baisse du chômage réduiront aussi le déficit et l'accroissement de la dette.
Les démocrates de gauche soutiennent les plans de relance obamiens. Les républicains déclarent que le premier plan de relance a été un échec complet ( a massive failure ), qui a produit un nombre d'emplois relativement faible : un emploi pour plus de 400.000 USD, disent certains. Les chiffres varient beaucoup. La majorité des démocrates ne disent pas grand-chose pour défendre le plan et ne s'engagent guère à voter le prochain plan de relance, que voudrait proposer le président Obama.
Telle étant la situation, le déficit ne devrait pas être sensiblement réduit, la dette devrait continuer à augmenter.
*Henri Hude, normalien, philosophe, dirige le pôle d'éthique au centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Dernier ouvrage paru : Démocratie durable, penser la guerre pour faire l'Europe (Éd. Monceau, 2010).
Lire cette Lettre d'Amérique in extenso
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