La situation présente aux États-Unis — Obama et le Tea-Party — paraît être une reprise imprévue du débat entre le républicain Hoover (1929-1933) et le démocrate Roosevelt (1933-1945). Capitalisme démocratique contre compromis social-démocrate.
Hoover dramatisait, sans doute exagérait, le sens des actes de Roosevelt, comme font assez souvent aujourd'hui avec Obama les militants du Tea Party. Ainsi, l'intervention de l'État dans la crise économique apparue en 1929 incarnait, disait Hoover, la même philosophie politique qui a empoisonné toute l'Europe... les fumées du chaudron de sorcières qui bouillait en Russie (Leuchtenburg, Herbert Hoover, p.139). Dans un style moins dramatique : La prospérité ne peut pas être restaurée au moyen de raids sur le Trésor public (décembre 1930, L., p.112), Le chemin des budgets en déséquilibre ne peut mener qu'à la ruine .
Hoover mit en 1931 son veto à la loi Wagner, bipartisane et votée par le Congrès, qui voulait simplement redonner vie à l'United States Employment Service (sorte d'ANPE). Il commenta : Penser qu'une législation puisse hâter la reprise, c'est comme croire que nous pouvons exorciser un cyclone en rédigeant des lois à son sujet. (L., p.115)
Il refusa en 1931 de convoquer une session spéciale du Congrès, arguant qu' il ne voyait rien qui puisse autant perturber le processus de reprise qui est indubitablement en cours.
Hoover et Roosevelt
Herbert Hoover a pour lui le fait que la politique de Roosevelt n'a rien résolu. En 1940, après huit années de politique que nous dirions keynésienne , la situation restait toujours aussi médiocre. Mais que faire face à la pauvreté massive ?
Hoover a toujours soutenu que c'était à cause des New Dealers que la crise avait duré jusqu'à la guerre. Peut-être y avait-elle conduit dans une certaine mesure.
La grande différence entre les deux hommes fut dans la politique suivie face à la misère. Hoover s'obstina à la nier, puis continua à la minimiser. Il laissa toute la responsabilité de l'assistance aux autorités locales ou à la bienfaisance privée, au moment même où l'ampleur catastrophique du phénomène appelait une action publique.
On eut le sentiment, sans doute justifié, que l'équilibre budgétaire était plus sacré pour lui que le droit des affamés à la vie. Car il y eut un nombre non insignifiant de gens qui moururent littéralement de faim, à New York et ailleurs. Mais Hoover refusa même un travail statistique sérieux. Enfin, il sembla manifester du début à la fin une indifférence inhumaine au malheur des gens. Lui qu'on appelait le grand ingénieur reçut le nouveau surnom de the great Scrooge .
Roosevelt, de son côté, par sens politique, mais aussi par pragmatisme, choisit une autre voie. S'il y avait eu un tremblement de terre et que dix millions de personnes fussent sans abri, l'État interviendrait sans se demander s'il mettrait par là le capitalisme en question. L'intervention de l'État était d'abord pour lui une question de sens commun et d'équité.
Le sens commun et l'idéologie
Pourtant, malgré sa réserve, due à une sévère éducation dans une famille de quakers et à la tristesse d'être devenu orphelin très jeune, Herbert Hoover n'était pas du tout un homme indifférent. Il s'était fait au contraire une réputation mondiale de bienfaiteur et d'homme de cœur, en étant le responsable américain des approvisionnements alimentaires durant la Première Guerre mondiale. Et il fut aussi dans sa vieillesse à l'origine de la fondation de l'Unicef. A sa mort, il fut célébré comme l'homme qui avait nourri plus de monde et sauvé plus de vies qu'aucun autre homme dans l'histoire (L., p.161).
Comment expliquer dans ces conditions l'exceptionnelle insensibilité d'un tel philanthrope ? Peut-être est-ce face à un tel paradoxe qu'on peut mesurer le désarroi d'une conviction fondamentale confrontée à une apparente réfutation expérimentale. Ou alors peut-être faut-il parler ici de la force de l'idéologie.
Le capitalisme démocratique étant la formule qui marche, il doit marcher. Et si l'expérience montre le contraire, elle a tort. Il ne doit pas y avoir de pauvres, donc il n'y en a pas, ou très peu ( minimal actual suffering , L., p.112). Ou alors cette pauvreté, phénomène exceptionnel, a peut-être même une fonction positive.
Les causes profondes de la crise de 1929
Hoover a toujours soutenu que la crise était le résultat du dérèglement massif des monnaies et du crédit par la Première Guerre mondiale. Sans la guerre, nous n'aurions pas eu la crise.
Hoover n'a pas consacré moins de 24 volumes en trente ans à la justification de son action et à la critique de la politique social-démocrate – sans parler d'une biographie inédite de Roosevelt, que ses proches l'ont dissuadé de publier. Il n'a jamais digéré son renvoi en 1932. Democracy is a harsh employer , disait-il (L., p.147).
La cause profonde de la crise de 1929, disait Hoover, ne se trouvait donc pas dans une fièvre de spéculation passagère, contre laquelle il avait multiplié les avertissements (L., p.148). Une crise normale aurait suffi à guérir cette fièvre, en crevant les bulles spéculatives.
Indépendamment des effets durables de la Grande Guerre, la cause de l'exceptionnelle durée de la dépression se trouvait en Europe : dans ses divisions, ses guerres, ses armements, ses mercantilismes, ses protectionnismes nationaux et coloniaux, et dans la contagion de tous ces vices aux États-Unis, à la suite de la catastrophique élection de Roosevelt.
Récrire l'histoire économique ?
Comme il ne mourut qu'en 1964, il aurait pu soutenir aussi, dans sa logique, que le monde n'était sorti de la crise, après 1945, que grâce à la restauration du libéralisme.
Le compromis social-démocrate, en Europe, après la Seconde Guerre mondiale, était peut-être utile, puisque politiquement inévitable, compte tenu des préjugés indéracinables à l'époque. Mais les vraies causes des Trente Glorieuses étaient la paix dans l'ordre libéral américain (et le dynamisme démographique). La social-démocratie n'avait pu que freiner la croissance et préparer une dépression future.
De même, dans la logique de Hoover, le monde entier n'aura commencé à sortir de la misère, après la chute du communisme, qu'à partir du moment où le leadership américain aura progressivement fait adopter partout une politique économique libérale.
Mais Hoover n'a pas raisonné ainsi. Au lieu de tirer avantage de la situation, il s'est surtout montré critique d'une politique américaine encore trop peu libérale à ses yeux.
Le bouc-émissaire de l'Amérique et l'aubaine des démocrates
L'historien William Leuchtenburg, auteur d'une œuvre considérable sur la période allant de 1914 à 1940, cite dans sa récente biographie de Hoover les souvenirs de l'essayiste Russel Baker. La tante de ce dernier, écrit Lichtenburg, l'avait clairement informé : Les gens mouraient de faim à cause de Herbert Hoover. Ta mère est au chômage à cause de Herbert Hoover. Les hommes s'entretuaient à cause de Herbert Hoover et leurs enfants orphelins étaient envoyés en masse à l'orphelinat... à cause de Herbert Hoover (L., p.149). Et il faut se rappeler que l'extraordinaire succès de la chanson Who's Afraid at the Great, Bad Wolf reflétait, en 1933, la satisfaction que Hoover ne fut plus à la Maison Blanche.
Quand on est parvenu à diaboliser ainsi un adversaire, ou quand il a réussi lui-même à se diaboliser ainsi, et quand en plus le malheureux se défend avec une maladresse obstinée, et un complet manque d'humour, il devient pour ses rivaux une véritable aubaine.
Roosevelt n'a affronté électoralement Hoover qu'une seule fois dans sa vie, mais le pauvre homme avait laissé un souvenir tellement ineffaçable, que l'astucieux FDR a toujours délibérément ignoré ses autres compétiteurs. Dans toutes les élections suivantes, il n'a jamais fait campagne que contre le seul Herbert Hoover. Et ça a toujours marché.
Avec bonne humeur, un partisan de Roosevelt a noté : Nous devrions être éternellement reconnaissants à Herbert Hoover, qui nous a fourni pendant douze ans notre ticket de cantine (L., p.149).
Conclusion
Si 1/ la social-démocratie n'est qu'une fausse bonne solution, puisqu'elle finit par détruire le capitalisme démocratique, et si 2/ le capitalisme actuel fabrique à la fois de la richesse et de la pauvreté, de l'ordre et du désordre, alors, le capitalisme démocratique peut-il ou non prendre en charge le problème de la pauvreté, sans le nier, et sans recourir à la social-démocratie, mais en améliorant l'efficience du marché ?
*Henri Hude, normalien, philosophe, dirige le pôle d'éthique au centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Dernier ouvrage paru : Démocratie durable, penser la guerre pour faire l'Europe (Éd. Monceau, 2010).
Lire ses précédentes Lettres d'Amérique : cliquez ici
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