Emmanuel Macron rend-il un hommage réaliste aux professeurs ?

Source [Atlantico] Un hommage national a été rendu à Samuel Paty dans la cour d'honneur de la Sorbonne. La description idéale que fait Emmanuel Macron du professeur est-elle réaliste ? L'hommage rendu à la profession n'est-il pas en décalage avec la réalité ?

Atlantico.fr : La description idéale que fait Emmanuel Macron du professeur, dont la mission est de « faire des républicains », est-elle réaliste ? 

Christophe Boutin : Effectivement, Emmanuel Macron, qui a choisi ici de rester dans la tonalité de l'hommage à au professeur assassiné, écartant au début de son discours toute dimension de lutte politique contre l’islamisme, est revenu à plusieurs fois sur la mission qui serait selon lui celle des professeurs, dans la logique d'un texte de Jean Jaurès lu au début de la cérémonie et d’une citation de Buisson dans son discours. Permettre à nouveau aux professeurs d’enseigner à leurs élèves à penser par eux-mêmes, de leur inculquer le goût de la liberté, voilà deux éléments nécessaires pour « faire des républicains », et le Président a reconnu que la tâche était « titanesque » face à « la violence », à « l'intimidation » et la « résignation ». Mais il s'agit bien dans son esprit de redonner aux professeurs leur place et leur autorité, et pour cela, a-t-il ajouté, nous les « formerons », nous les « soutiendrons » et nous les « protégerons ».

C'est ici sans doute que le bât blesse, car on a bien conscience aujourd’hui de l'ampleur que peut revêtir cette tâche de protection devenue nécessaire dans les circonstances actuelles, et ce d'autant plus que le Président a bien n'expliqué qu'il s'agirait d'une protection assurée aussi bien à l'intérieur de l'école qu’à l'extérieur. Or ce qu’Emmanuel Macron a dénoncé, cette « conspiration de la bêtise, du mensonge, de l'amalgame, de la haine de l'autre et de la haine de ce que nous sommes » ne va pas disparaître du jour au lendemain.

Certes, le Président envisage bien un refus collectif de céder devant cette pression qui dépasse le seul cadre scolaire lorsqu'il explique que « nous continuerons », à « défendre la liberté », à « protéger la laïcité », à permettre les caricatures et les dessins. Mais il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui des jeunes scolarisés sont bel et bien interrogés par la justice au sujet de leur participation, même secondaire, à la préparation de l'assassinat de Samuel Paty ; que les contestations faites dans les cours, d’histoire, d’instruction civique, de sciences de la vie ou de sport, au nom de préceptes religieux, sont permanentes ; et que les enseignants, qui sont toujours en première ligne, ont parfois la très nette impression que leur hiérarchie ne les soutient pas vraiment.

On ne peut donc qu’être d’accord avec Emmanuel Macron : c’est une tâche titanesque qui l’attend… sur les modalités de laquelle il est resté muet, mais le lieu ne s’y prêtait sans doute pas.

Guylain Chevrier : On peut en douter. Il est vrai qu’à travers le bel exemple qui est celui de Samuel Paty, c’est ce que cela donne à penser. Un enseignant apprécié de ses élèves pour sa pédagogie, expérimenté, ce qui ne l’a pas empêché d’être inquiété par des parents d’élèves de façon totalement injustifiée, et que l’élève sur laquelle s’appuyait le témoignage de ceux-ci n’a jamais participé au cours présenté comme à l’origine du problème. Ce dont il a découlé que cet enseignant subisse certaines tracasseries avec sa hiérarchie. Une commission d’enquête parlementaire est même demandée à ce sujet par des élus. Il est vrai qu’aucune plainte ne sera déposée par l’Education nationale en réaction, pour protéger cet enseignant qui aurait été la réponse adaptée la plus forte et claire, susceptible d’entraver ce processus de lynchage sur les réseaux sociaux. Ce qui en dit long aussi de l’état de crainte sinon de tétanisation dans lequel se trouve l'institution face à ce type de phénomène, mais aussi face à des parents qui remettent en cause régulièrement le contenu de l’enseignement et les compétences des enseignants. L’époque étant à tout se vaut et au droit suprême des usagers.

Si les cours d’éducation civique sont bienvenus, force est de constater que le nombre d’heures d’histoire par exemple, matière sans quoi on se situe mal au regard d’une histoire commune pour faire République et fonder le citoyen, n’a fait que diminuer, contre quoi l’association des professeurs d’histoire et de géographie n’a cessé depuis de nombreuses années de s’insurger. Mais le contenu des programmes lui aussi interroge. Pour prendre l’exemple de la filière Economique et sociale, où on vous parle croissance économique au regard de la mondialisation, tout a changé. Ne chercher plus l’étude comparative du type « culture et développement » à travers le type d’analyse selon laquelle « Le statut des femmes (par exemple leur infériorité) dans certaines cultures les condamne à l’analphabétisme alors que l’éducation est un puissant facteur de développement ou encore qu’une forte fécondité (liée à des croyances religieuses qui interdisent la contraception…) peut appauvrir la population, si la croissance démographique est supérieure à la croissance économique », permettant de rendre intelligible certains phénomène sociaux montrant combien la France est un beau pays. Le relativisme en arrière-plan a nettoyé tout ça. On a fini ce balayage par l’inculcation de la notion de « limites écologiques », notamment « l’épuisement des ressources, la pollution et le réchauffement climatique », survalorisés, ringardisant la notion de progrès si fondamentale pour comprendre les enjeux contemporains. Un appauvrissement intellectuel de haute volée. On a eu tendance aussi à adapter les programmes à une évolution plus composite de notre société, en les adaptant à la sensibilité et à la réceptivité de « la diversité » devenue le maître-mot.

Sur le site de l’Education nationale on trouve cette présentation du Rapport Debray de 2002 sur l’enseignement du fait religieux à l’école, réexaminant la place à y attribuer « au nom de la sauvegarde des humanités (et) de rendre possible la transmission des cultures religieuses ». Ainsi sans religion, point de salut, mais en réalité et comme l’avance la philosophie de la chose, il a surtout été question face à la déshérence identitaire et à la multiplication des origines des élèves, de chercher à les intégrer par leurs différences, en introduisant du contenu en rapport avec cette démarche par le truchement de disciplines, telles l'histoire, les lettres, l'histoire des arts, l'éducation musicale, les arts plastiques, ou encore la philosophie. Quel biaisement ! A voir l’état des problèmes, c’est un échec cuisant.

Alors que l’émotion est toujours grande quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, un jeune collégien révèle qu’il a subi des pressions, notamment de la part d’élèves plus âgés du fait qu’il soit athée. Un climat délétère dans la cour de récréation qu’il a dénoncé sur France Inter : « Ce que je comprends, c’est qu’on est obligé d’avoir une religion, et que sinon on est méprisé. Certaines personnes, ça va énormément les contrarier. Il y en a qui m'ont dit que je n'étais rien, d'autres qui m'ont dit que je me mentais à moi-même », a-t-il déploré. Rajoutant, « A un moment donné, on ne pourra plus rien faire ».

On voit dans les ESPE, Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, ces écoles de formation d’enseignants, des stagiaires se présenter en affichant de façon ostensible leur conviction religieuse, comme par le port d’un voile, alors qu’étant appelés à respecter le principe de neutralité laïque de l’école. Un problème récurrent qui n’augure rien de bon quant à leur engagement républicain.

Et il est question pour le gouvernement de renforcer l'apprentissage de l'arabe à l'école pour "réduire le pouvoir des religieux", selon les mots de Gérald Darmanin. Un sujet explosif. Ce que l’écrivain et essayiste algérien Boualem Sansal voit comme un piège. Pour lui, « un bon tiers « des jeunes pousses » suivra sans doute cette voie royale, accédant à ce que la langue arabe a pu produire de formidable, en littérature, en poésie, en philosophie, étant ainsi armé contre la radicalisation islamiste. Chez un autre tiers, on verra les deux langues, le français et l’arabe, deux langues difficiles, jalouses, s’affronter [entre] un arabe approximatif et un français bas de gamme. La grammaire des réseaux sociaux ajoutera à la confusion. Pour le dernier tiers, l’enseignement de l’arabe mènera à l’arabisation » car il ne faut pas négliger un ancrage social et territorial qui y est très favorable, « pour qu’ils finissent dans les bras « accueillants » de l’islamisme. […] S’il s’agit d’insuffler aux élèves « l’esprit républicain à la française », il y a une langue idéale pour cela : le français » conclut-il. C’est d’autant plus vrai au regard du faible niveau en la matière chez les collégiens, lycéens, y compris chez bien trop d’étudiants, ce qui hypothèque l’air de rien une part de leurs ambitions et de leurs rêves. Mauvaise pioche.

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