Georges Berthu évoque trois causes techniques aux défauts de la délégation française au Parlement européen (Décryptage, 20 mai) : la dispersion en différents groupes, l'absentéisme relatif et le manque de visibilité politique.
Ces défauts ont en réalité une cause politique : le mode de scrutin. Qu’il soit scrutin de liste nationale ou scrutin de liste par inter-régions, ce dernier aboutit inévitablement :
- au monopole absolu des états-majors partisans dans le choix des candidats, quand celui-ci n’est pas soumis au caprice du Prince (cf. un Finlandais tête de liste dans le Sud-est !). Le Parlement européen (PE) permet de recaser les sans-emplois de la classe politique qui auront d’autres préoccupations en tête que de faire du rapport au PE : revenir le plus vite possible à Paris, qu’ils n’auront d’ailleurs presque pas quitté…On ne tire même pas parti de système de la liste (ou si peu) pour lancer de jeunes élus compétents qui se donneront à fond dans leur mandat ;
- à la dispersion d’une représentation déjà affaiblie numériquement, alors qu’il faudrait nous concentrer dans les deux grandes formations qui cogèrent le PE (PPE, PSE) ;
- au défaut de professionnalisme des élus qui s’investissent rarement dans un travail austère et technique et " rentrent " en France dès qu’une place ou un portefeuille se libère…
- à l’absence totale de visibilité politique, puisque ces élus ne font pas (ou font rarement de leur travail au PE) une priorité.
Évidemment, il est difficile à M. Berthu de remettre en cause un mode de scrutin qui permet à sa famille de pensée d’exister, sans qu’elle obtienne pour autant les moyens de peser à Bruxelles. En effet, lorsqu’il s’agit de négocier une directive communautaire, la question du souverainisme ou du fédéralisme est inopérante…C’est bien ce qu’il admet lui-même.
Par suite, le but n’est pas de prouver qu’on existe en obtenant une publicité de ses opinions minoritaires (je représente bien votre opinion au PE, réélisez-moi), comme le suggère l’auteur, mais bien de peser sur la majorité qui fait les textes (j’agis efficacement pour vous au PE, votez pour moi). Seule la présence en force d’élus français dans les grands groupes politiques le permettra. Il faudrait un regroupement dès la sortie des urnes.
Cette question est en réalité insoluble par manque de courage politique de nos responsables. On pourrait pourtant imaginer des solutions mixtes ménageant à toutes les familles de pensée une représentation minimale à Strasbourg/Bruxelles, inspirée par exemple du scrutin législatif allemand. Mais il est vrai que le nombre à présent restreint d’élus français pose le problème du découpage des circonscriptions en vue d’un scrutin uninominal européen. En outre, les élus du Parlement français accepteraient difficilement d’être " coiffés " par de super-députés européens…Cela nous renvoie au deuxième problème.
Une réforme capitale mais difficile
M. Berthu soulève un point effectivement capital mais très difficile à réformer : l’articulation entre le PE et les parlements nationaux :
- le PE est un bon organe parlementaire législatif, mais ne peut absolument pas tenir la place d’un parlement de grands débats politiques (programme de gouvernement, questions d’actualité, contrôle, censure…) comme le fait un parlement national, même insuffisamment comme notre parlement, faute d’un espace politique européen. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les élus " politiques " s’y ennuient profondément et s’en absentent assez vite !
- la coordination des fonctions du PE et des parlements nationaux n’est plus une question taboue, mais il n’est toujours pas résolue. Le projet d’un congrès (2ème chambre européenne constituée d’élus nationaux) a longtemps paralysé la réflexion, le PE y voyant non sans raison une machine de guerre contre lui. Le projet de constitution européenne améliore la situation (protocoles sur le rôle des parlements nationaux et sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité) mais il n’est pas certain que les nouveaux instruments à la disposition des parlements nationaux la modifient substantiellement. En particulier, il est extrêmement problématique de faire trancher en termes de " subsidiarité ", et in fine par des juges, des conflits en réalité politiques sur l’opportunité d’une législation. L’instrument est inadapté, alors que tout l’objectif doit tendre à créer de meilleures relations de compréhension et de confiance entre l’hémicycle européen et les hémicycles nationaux.
- il est illusoire d’imaginer que des réformes techniques (locaux, attachés parlementaires communs…) fourniront la solution au problème. Comme l’ont compris depuis longtemps nos partenaires (not. les Anglais), il y aurait en revanche beaucoup à gagner dans une plus grande complicité politique entre élus nationaux et élus du PE. Une fois encore, nous voici victimes du mal français : chacun préfère défendre son pré carré, même si la défense des intérêts du pays en souffre. Il me semblerait pourtant qu’on pourrait envisager d’élargir les délégations aux affaires européennes en y acceptant qu’y siègent les élus français du PE selon une proportion et des pouvoirs qu’il reste à déterminer. Mais tout cela n’est pas affaire de réforme institutionnelle, plutôt de culture politique. Pour rassurer tout le monde, on pourrait imaginer qu’un élu au PE ne puisse pas se présenter aux législatives nationales en cours de mandat !
Irréaliste ou inacceptable
Il semble en revanche irréaliste de penser enfermer l’élu dans une conception pré-déterminée de son mandat. Est-il d’ailleurs si facile de délimiter ce qu’est la défense " pure " des intérêts français et la défense " impure " des intérêts européens " apatrides "… ? Il m’a souvent semblé, en voyant opérer au PE des parlementaires chevronnés, que les intérêts de l’Europe et les nôtres pouvaient souvent être convergents pourvu qu’on sache se démarquer de la pression excessive de certains lobbies qui bloquaient les positions françaises, et de mauvaises positions françaises…
Il est enfin inacceptable de mon point de vue de conserver ou de réintroduire le droit de veto, sauf dans un certain nombre de domaines hautement régaliens tels que la diplomatie ou la défense. On en viendrait vite à paralyser la construction européenne. Je sais que M. Berthu aime beaucoup le Danemark, mais le comportement du Danemark est précisément ce qu’il faut éviter de généraliser. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas user du recours à la majorité qualifiée avec d’autant plus de doigté politique que la question est sensible et importante.
En conclusion : 1/ oui à une meilleure synergie des députés européens avec les parlementaires français ; 2/ pas d’amélioration fondamentale de la situation tant qu’on n’aura pas eu le courage de changer le mode de scrutin et de passer à l’uninominal ; 3/ non à ce qui reviendrait à saper le ressort même de la construction européenne (dont la réintroduction du droit de veto) ; 4/ en revanche, oui à un renforcement du contrôle de notre parlement sur l’action européenne du gouvernement, ce qui revient à dire que la meilleure acceptation de l’Europe par les Français dépend d’un renforcement des mécanismes de notre démocratie.
Quand on voit comment est traitée la question de l’adhésion de la Turquie, on se dit qu’il y a fort à faire…
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