Le général Salvan a parfaitement raison (Décryptage, 23 janvier) lorsqu'il affirme que le Hamas a déclenché une guerre médiatique, la seule qu'il pensait pouvoir gagner dans une stratégie du faible au fort contre l'État d'Israël mais aussi contre l'Autorité palestinienne.
En fait, l'objectif du Hamas, même s'il avait un coût très élevé pour la population civile de Gaza, était bien de se poser en seule force légitime de résistance face à Israël. Et une fois de plus, nos médias ont marché dans la combine, relayant assez complaisamment le point de vue des Palestiniens de Gaza pendant les opérations de guerre.
Une fois de plus, aussi, il est interdit de revenir aux données de base de ce conflit, dont la perception est trop souvent passionnelle et déformée par des préjugés idéologiques. Des données qui éclairent d'une lumière crue notre duplicité face aux acteurs du conflit.
1/ Alors que l'existence de l'État d'Israël est considérée comme non négociable par les grandes puissances, elle est toujours tenue comme illégitime par la plupart des Palestiniens. Une bonne partie d'entre eux, lassée par le pourrissement du Fatah largement dû à la politique d'Arafat, vote pour le Hamas, qui ne reconnaît pas les accords conclus par l'Autorité palestinienne avec Israël.
2/ La communauté internationale tient pour acquis que les Palestiniens forment un peuple ou une nation qui doit être doté(e) de son État. Mais il faut constater que les seules nations constituées au Proche-Orient sont l'Égypte, l'Iran et, bien sûr, Israël. Tout le reste est en réalité un découpage (un éclatement, pour reprendre le terme de George Corm), en différents États, de territoires et de populations organisées en chefferies. Ce découpage est hérité de la colonisation : l'Irak en particulier est une collection de plusieurs centaines de tribus et non une société politique cohérente, comme a dû l'apprendre l'administration Bush. Et qu'est-ce qui tient ensemble les Palestiniens, sinon l'antagonisme existentiel avec Israël, lequel n'arrive même plus (si l'on ose dire) à faire leur unité et a fortiori l'unité de la nation arabe sur son dos? Il ne suffit pas de se donner un ennemi pour fonder un vouloir vivre ensemble ...
3/ Il est convenu de ne plus remettre en cause l'idée qu'un État palestinien serait la solution au conflit, alors qu'il paraît suffisamment clair qu'un État palestinien n'est pas viable. Une confédération associant deux États, Israël et la Transjordanie, l'aurait sans doute été davantage mais cette solution a été abandonnée après la décision du roi Hussein de renoncer à toute souveraineté sur la Cisjordanie, il y a vingt ans. Pourtant, l'avenir n'appartient-il pas à une communauté des États du Proche-Orient ayant vocation à associer Israël, une entité palestinienne, et la Jordanie, avec un statut spécial pour Jérusalem préservant le statut de la capitale d'Israël, une communauté pour laquelle l'eau tiendrait la place qu'ont eu le charbon et l'acier pour la communauté européenne naissante ?
4/ Les deux parties au conflit entretiennent deux "cultures de guerre", d'une nature différente. Israël continue de vivre dans une culture de la guerre de survie ou de sécurité, et nous serions mal venus de le lui reprocher comme le fait le général Salvan en affirmant que l'Israël, antique et moderne, n'est pas parvenu à s'entendre avec ses voisins depuis 5 000 ans, sans qu'on sache à quel litige de voisinage le général rattache la Shoah...Si Israël existe, c'est bien qu'un certain nombre de peuples européens, eux non plus, ne voulaient pas de Juifs pour voisins ; et il est bon de rappeler de temps en temps que nous sommes responsables de l'existence et de la survie de cet État...
Quant aux Palestiniens, ils ont cessé d'avoir la culture de guerre héritée du nationalisme arabe laïque nassérien ou baasiste et sont revenus à la culture de guerre d'origine islamique. Seul le pape Benoît XVI a eu le courage d'en parler dans son discours de Ratisbonne comme d'un fait de religion et de civilisation problématique. Cela fait maintenant soixante ans que les Arabes et/ou les Palestiniens font la guerre contre Israël : il serait peut-être temps de s'interroger sur le bilan d'une telle stratégie politique alors que la plus grande partie des Palestiniens continue de vivre dans des conditions particulièrement médiocres et qu'ils forment la seule population au monde où l'on est réfugié de père en fils depuis près de quatre générations...Mais les plus raisonnables n'ont pas voix au chapitre ou ont préféré renoncer et s'exiler en Europe ou aux États-Unis...Le maître mot de la politique palestinienne intérieure et extérieure, cela reste les armes, comme on l'a bien vu avec la prise de pouvoir par le Hamas à Gaza.
Il faudrait cesser de rêver
Donc, les Palestiniens ne veulent pas admettre la réalité d'Israël et les Israéliens, dans leur grande majorité, n'ont jamais admis et admettront de moins en moins l'idée d'un futur État palestinien surtout s'il doit tomber sous la coupe d'un pouvoir islamiste. La solution raisonnable dont parle le général Salvan n'est raisonnable que pour nous, en fait. Comme l'observe le général, le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël ne permet pas de parvenir à une solution politique. Mais on pourrait en dire autant du soutien quasi-inconditionnel que certaines diplomaties européennes, dont la nôtre, au premier rang, ont trop longtemps accordé aux Palestiniens. Il faudrait cesser de rêver à cette solution théorique que mentionne le général Salvan à la fin de son propos et réfléchir à autre chose.
Mais en avons-nous vraiment l'intention ? Cela demanderait un engagement beaucoup plus important de l'Europe dans la solution du conflit, notamment en termes de garanties de sécurité pour les deux parties, surtout s'il fallait changer radicalement de paradigme en mettant entre les mains des Palestiniens et des Israéliens le marché suivant : 1/ démilitarisation pure et simple des territoires palestiniens contrôlée par une force internationale ayant le monopole du feu, et non pas seulement une fonction d'observation, garantissant l'administration autonome et pacifique desdits territoires par les Palestiniens après évacuation de toutes les colonies israéliennes, mais aussi 2/ la sécurité d'Israël dans ses frontières de 1967 ajustées, et 3/ reconstruction des territoires dans la cadre d'un plan Marshall pluri-décennal de développement culturel, économique et social axé sur l'interpénétration des économies palestinienne et israélienne (joint ventures) et la libre circulation des travailleurs palestiniens en Israël, auxquels sera progressivement assuré un traitement égal.
L'autre branche de l'alternative est connue : c'est la poursuite d'une politique de conflit qui donne régulièrement dans le mur , au propre comme au figuré, car Israël restera le plus fort et personne ne pourra lui interdire de juger des moyens de sa sécurité (en tout cas pas les États-Unis et c'est pour l'instant la seule chose qui compte vraiment).
Dans la bataille médiatique de la "guerre de Gaza", les médias français s'en sont largement tenus au registre habituel de la déploration et des voeux pieux...Cela nous donne bonne conscience, à distance prudente du guêpier israélo-palestinien. Nous passons à autre chose une fois que les armes se sont tues, jusqu'au prochain acte de guerre où l'on reprendra la même rengaine, en croisant les doigts pour que le conflit ne vienne pas contaminer nos banlieues. Mais rappelons-nous le message de Barak Obama dans son discours d'investiture. En fait, ne s'adresse-t-il pas aussi aux Israéliens et aux Palestiniens des territoires lorsqu'il affirme : Nous vous jugerons sur ce que vous serez capables de construire, et non sur ce que vous détruirez ?
Un certain nombre de jeunes Palestiniens et de jeunes Arabes ont soif d'être reconnus et respectés pour ce qu'ils sont capables de construire ; et il n'y a pas que dans nos banlieues où il faut redonner l'espoir d'un monde plus juste qui seul peut conforter une paix durable. Quant à nous, ne serons-nous pas jugés par l'histoire sur ce que nous serons capables de construire avec eux et pour eux ? Il y a là une grande mission européenne pour le siècle qui commence. Ou alors nous avons oublié le sens de la déclaration de Robert Schuman à laquelle celle de Barak Obama fait si bien écho.
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