Le projet de  prime de 1000 euros  pour tout salarié d'une entreprise qui verserait des dividendes, souhaité par Nicolas Sarkozy au nom du  partage de la richesse , s'est concrétisé sous forme d'un avant-projet de loi adressé par le ministère du travail au Conseil d'Etat le 10 mai dernier. Le dispositif correspond dans les grandes lignes à ce qui avait été annoncé, mais réserve aussi des surprises non négligeables. Il accentue aussi l'interventionnisme public dans la gestion des entreprises, comme en témoigne un entrepreneur directement concerné.

Ainsi, cette prime qui devait concerner  un salarié sur deux , selon les premières déclarations de Xavier Bertrand fin avril, en concernera finalement moitié moins, d'après une étude d'impact réalisée par le ministère du travail. Elle sera en effet obligatoire pour toutes les sociétés et groupes de plus de 50 salariés (soit 8,9 millions d'employés en France), mais, ainsi qu'annoncé, elle ne sera versée qu'en cas d'attribution de dividendes aux actionnaires en fin d'exercice, ce qui ne concerne déjà que 6 millions de personnes. Enfin, pour déclencher la prime, les dividendes en question devront être supérieurs à la moyenne de ceux versés les deux années précédentes : là encore, seulement  deux tiers  des sociétés seraient concernées, soit aux alentours de 4 millions de personnes.

Autre élément nouveau, celui du montant de la prime, désormais librement décidé par l'employeur, en accord si possible avec les syndicats, le CE, ou deux tiers des salariés. On ne parle plus du tout de  prime à 1000 euros , d'autant que si elle conserve bien son caractère collectif, elle pourra être  différenciée  selon le niveau de salaire ou d'ancienneté, comme elle pourra prendre la forme d'un avantage en nature (supplément d'intéressement, attribution d'actions gratuites).

Derniers éléments importants, avec le régime social et fiscal auquel sera soumis cette prime : ainsi que cela avait été prévu, elle sera exonérée de cotisations dans la limite de 1 200 €, mais cependant soumise à la CSG/CRDS et au forfait social, au même titre que les dividendes touchés par les actionnaires ; enfin, et sous réserve de précisions ou de modifications au cours des débats face au Parlement, la nouvelle prime sera déductible de l'impôt sur les sociétés, ce qui permet d'identifier qui en sera le plus impacté, en l'occurrence le Fisc.

L'entreprise rentable, une vache à traire ?

En effet, depuis plusieurs semaines, le projet de la  prime Sarkozy  donnait l'impression de surfer opportunément sur l'image détestable renvoyée par les rémunérations démesurées dévolues à certains dirigeants ou super-salariés de multinationales du CAC 40, pour une fois encore accuser implicitement toutes les entreprises rentables, et jusqu'aux PME, de s'en mettre  plein les poches , afin de les ponctionner arbitrairement.

La réaction adressée il y a quelques jours à la Fondation de Service Politique par un jeune entrepreneur, créateur d'une PME de services informatiques, ayant embauché en quelques années 70 consultants et ingénieurs, était sur ce sujet particulièrement symptomatique :  Le phrase de Churchill m'est à nouveau revenue, qui disait :  certains considèrent le chef d'entreprise comme un loup à abattre, d'autre comme une vache que l'on peut traire à l'infini, peu voient en lui le cheval qui tire la charrue . Avec ce projet de prime, on me voit comme la vache à traire, c'est évident. Et j'ai l'impression que le gouvernement, en situation d'échec, et voyant les échéances se rapprocher, essaie de refinancer sa popularité en se montrant généreux avec l'argent des autres. La manœuvre est profondément démagogique. 

La crainte, pour cet actionnaire-gérant ayant investi son argent personnel dans la création et le développement de son entreprise, est de voir les dividendes fortement réduites sans contrepartie. Or,  se payer en grande partie avec les dividendes, c'est une pratique commune pour beaucoup de créateurs et de patrons, qui rappelons-le, n'ont pas d'assurance-chômage. C'est de plus la rémunération la moins coûteuse pour l'entreprise, car la moins soumise aux charges sociales. Et c'est en outre celle qui vient récompenser la performance, la prise de risque et les sacrifices consentis parfois pendant plusieurs années, dans ce qui peut être l'aventure d'une vie. En soumettant le bénéfice à une forme de partage obligatoire, on crée une gratification collective automatique qui décourage l'initiative personnelle, celle de l'entrepreneur comme celle des employés. 

Une intrusion dans la liberté des entreprises

Les dispositions dévoilées apparaissent finalement moins spoliatrices qu'on pouvait le craindre à ce jeune patron,  parce que l'Etat fait aussi un geste significatif, avec la déduction de la prime de l'impôt sur les société.  Le manque à gagner sera alors plutôt du côté des finances publiques. Et il est d'ailleurs à prévoir, en revers de médaille, que par effet d'aubaine, des entreprises  s'adaptent vite et révisent à la baisse leur système de primes déjà en place  pour migrer vers celle-ci, qui pourrait à terme se révéler moins coûteuse compte tenu des régimes auxquelles elle est soumise.  Cette prime va être considérée comme un dû, une sorte de nouvel acquis social du même type que les 35 heures. On risque même d'assister à une forme d'ingérence malsaine de la part des salariés, qui demanderont combien leur sera versé en fin d'année. Ce qui est à prévoir inévitablement, c'est une remise à plat complète du système de rémunération variable dans beaucoup de PME.  Car comme tout système contraignant, il est à craindre des effets pervers imprévus.

Pour notre entrepreneur, il reste de cet épisode médiatico-politique une colère  contre cette manipulation de l'opinion qui voudrait nous faire croire qu'il y a deux mondes antagonistes, celui du patronat millionnaire de Carlos Ghosn, et celui du salariat pauvre d'Olivier Besancenot. Or si je devais me projeter dans cette polarisation, par mes revenus, je suis finalement plus proche d'Olivier Besancenot ! La finance et les excès inacceptables ont tout gâché... 

Enfin, à ses yeux, la  Prime Sarkozy  reste le signe d'une intrusion de l'Etat dans la conduite de son entreprise.  Payer des impôts n'est pas un problème, et je dis oui au partage de la richesse : tous mes collaborateurs ont déjà des primes, liées à l'atteinte d'objectifs divers, et à leur contribution à la rentabilité de l'entreprise. Ils peuvent d'ailleurs gagner quatre, cinq, six fois cette  prime à 1000 euros . Mais en mettant en place un tel système, l'Etat agresse ma liberté de gestion et ma politique salariale comme outil de management de la performance de chacun. Atteindre des objectifs, c'est motivant, cela procure de la fierté, et crée une dynamique d'entreprise. Désormais une prime peut être attribué de façon indifférente, y compris au collaborateur qui aurait reçu un avertissement disciplinaire. Je crains que cela n'atteigne la motivation des salariés, et ne renforce encore l'image négative que l'on a des patrons d'entreprise, en donnant l'impression que l'Etat a besoin d'intervenir dans notre gestion pour en garantir la bonne moralité. 

La question du principe de subsidiarité

Dans ce témoignage révélateur, on reconnaît de façon claire la question d'une atteinte possible au principe de subsidiarité, pour laquelle l'Etat pourrait être mis en cause du point de vue de l'enseignement social de l'Eglise. Car ici, la loi remplace ou contraint d'évidence la libre décision des chefs d'entreprise ou des conseils d'administration. Sommes-nous alors dans le cas évoqué par le Compendium (§ 188) d'un  grave déséquilibre  et d'une  injustice sociale  tels que  seule l'intervention publique peut créer les conditions de plus grande égalité, de justice et de paix  ? La  suppléance institutionnelle  est-elle programmée pour de  pas se prolonger au-delà du strict nécessaire  ? Il semble plutôt que prise dans un climat de manœuvres politiciennes, la décision de mettre en place la  prime Sarkozy  ne s'assure pas les meilleures garanties d'un choix juste ni temporaire. Il faut reconnaître aussi qu'elle est une tentative de réponse à l'irresponsabilité visible d'un petit nombre par qui le scandale arrive, ainsi qu'à l'immobilisme des organisations professionnelles sur la question, dénoncé par le président lui-même. Si jamais donc l'Etat n'a pas conçu la meilleure réponse au problème du partage des richesses, il reste utile de souligner qu'un certain nombre d'acteurs sociaux ne l'y ont pas vraiment aidé, et ce depuis longtemps.

 

Sources : L'Entreprise.com, Le Monde

 

 

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