Ce 9 juillet 2011, un 193ème pays est à décompter sur la carte du monde, un nouvel Etat dans le concert des nations, avec l'indépendance effective du Sud-Soudan, 6 mois jour pour jour après le référendum qui a approuvé la partition du pays. Une nouvelle espérance de liberté pour la population de ce pays, à majorité catholique, qui échappe enfin à plus d'un demi-siècle d'oppression, mais qui devra tout construire. Etat des lieux avec l'AED.

Ce nouvel Etat, le 52ème en Afrique, le dernier-né de la planète, grand de 650 000 km², peuplé de 8,5 millions d'habitants, sera dès sa création l'un des plus pauvres au monde :  90% de la population y vit avec moins de un dollar par jour, la mortalité maternelle est la plus élevée au monde, la mortalité infantile est de l'ordre de 10% avant 5 ans, et la population y est majoritairement analphabète , explique Marc Fromager, Directeur pour la France de l'Aide à l'Eglise en Détresse (AED). C'est pourtant un pays avec des atouts, notamment de l'eau et des terres fertiles, à la différence du Nord. Mais surtout, le Sud-Soudan a du pétrole.

55 ans de guerre civile

C'est pourquoi le pouvoir central, situé au nord, à Khartoum, n'avait  évidemment aucun intérêt à cette indépendance , qui signe sa défaite à l'issue de décennies d'affrontements intérieurs. Ancien condominium anglo-égyptien, le Soudan est en effet en guerre civile quasi permanente depuis son indépendance, avec deux grandes conflits qui ont toujours opposé le nord musulman et le sud chrétien : de 1956 à 1972, puis de 1983 à 2005.  Au nord, il s'agit d'une population noire mais métissée et arabisée, à majorité musulmane, sur un territoire où l'Islam est arrivé dès le 7ème siècle. Au Sud, la population est noire mais non arabisée. La majorité est chrétienne et animiste, et résiste catégoriquement depuis des décennies à l'arabisation et à l'islamisation. 

Le conflit conduit par le pouvoir ouvertement islamiste de Khartoum vis-à-vis du sud du pays a été sanglant :  la guerre a fait deux millions et demi de morts, et quatre millions de déplacés, partis à l'étranger ou vers le nord.  Le sud, pour autant, n'a pas été vaincu. D'abord parce qu'il s'agit d'une guerre  sans fin, menée par une armée qui n'a pas des moyens démesurés, vis-à-vis de milliers de petits villages qu'il est difficile de soumettre un par un . Mais il est incontestable aussi que  le Sud-Soudan a été financièrement aidé par l'étranger : les Américains y sont actifs, ainsi qu'Israël, qui a identifié le Nord-Soudan comme une menace potentielle. [1] Pour mémoire, Oussama Ben Laden y a été par exemple accueilli, et y a formé des combattants islamistes au djihad entre 1992 et 1996.

L'entente forcée

Incontestablement, le Sud-Soudan a donc fini par remporter une victoire. En 2005, un accord de paix a été signé, qui prévoyait un référendum 6 ans plus tard : c'est celui qui a eu lieu le 9 janvier 2011, dont les résultats, à 98,83 % favorables à l'indépendance, ont été accueillis avec une très grande joie.  "On était des sous-hommes, des esclaves, du bétail : nous sommes à présent des hommes libres", voilà ce que les gens nous disaient là-bas , raconte Marc Fromager.  Khartoum, en vérité, n'avait plus les moyens de tenir. L'embargo international décrété contre le Soudan est efficace, même si la Chine le contourne. Il y a de plus un mandat d'arrêt international contre le président, Omar El Béchir, qui n'avait pas beaucoup d'autre choix que de lâcher du mou. Il l'a fait... mais sans tout perdre pour autant . En effet, si le Sud-Soudan possède les gisements de pétrole, toute l'exportation se fait au nord, qui détient le complexe de pipe-lines, de raffineries et d'accès à la Mer Rouge, notamment à Port-Soudan :  les deux parties ont donc besoin l'une de l'autre. Toute la question est là : elles doivent s'entendre .

Il reste que l'entente sera un challenge complexe, d'autant qu'une partie de la frontière, où se trouvent des champs de pétrole, n'a pas encore vu son tracé exactement déterminé. Avant les négociations qui en décideront,  on a donc fait monter de nouveau la pression , avec de nouveaux heurts dénombrés depuis le début du mois de juin, et  de nouveau des églises et des pasteurs attaqués . Le 6 juillet, des troupes du nord se sont ainsi massées dans l'Etat frontalier du Sud-Kordofan, riche en pétrole, selon des images obtenues par le projet américain de surveillance par satellite Sentinelle. L'ONU, qui dénombre 73 000 civils ayant dû fuir cet Etat, a été priée de proscrire l'accès de la zone à tous les travailleurs humanitaires.

Naissance d'un Etat chrétien ?

Au-delà des questions frontalières, que va-t-il advenir du Sud-Soudan ? Le nouveau pays, selon le décompte dont dispose l'AED, compte 60% de chrétiens, et  la plupart des responsables politiques sont catholiques , souligne son directeur. C'est le cas du futur président, l'ancien guérillero Salva Kiir, dont on pourrait aisément, poussé par le lyrisme, faire une sorte de version africaine et moderne de Clovis, avec l'archevêque de Juba, Mgr Paulino Lukudu Loro, dans le rôle de Saint Rémi.

L'Eglise, sur place, n'a pourtant  pas le projet de faire du Sud-Soudan un Etat chrétien, réfute Marc Fromager. On sait qu'il y aura des tensions entre l'Eglise et le gouvernement. Pensez que le Sud-Soudan, avant même son indépendance, a déjà... 300 000 fonctionnaires ! C'est l'un des signes de cette  trilogie du diable  que dénonce l'Eglise là-bas : la corruption, le tribalisme, le népotisme.  Rien en effet n'assure que l'indépendance fasse taire les rivalités tribales.  Salva Kiir est par exemple un dinka : quelle répartition du pouvoir va-t-il déterminer entre tribus ? La capitale, Juba, sorte de grosse ville champignon, n'est pas en territoire dinka : va-t-elle rester la capitale ? 

Divine surprise

Il demeure que pour l'Eglise et les chrétiens, c'est un motif évident de joie et de fierté que de voir le Sud-Soudan accéder à l'indépendance.  Il faut avoir vécu en pays musulman pour comprendre ce que c'est que d'y être traité comme un citoyen de seconde zone dès lors que l'on est d'une autre confession  confie le directeur de l'AED. L'événement a même des allures de miracle, tant on pouvait craindre que le nord résiste davantage.  Pourtant, tout s'est passé paisiblement. Le vote de janvier a été précédé de toute une campagne de jeûne et de prière, durant 101 jours, trois mois qui ont contribué à apaiser les esprits. 

Pour qui ne suit pas de près l'actualité africaine, cette indépendance, fondée sur une consultation démocratique régulière passée presque inaperçue, reste malgré tout une sacrée surprise, qu'on n'a guère vu venir notamment en France. En effet, déplore Marc Fromager,  on a parlé à satiété du Darfour, qui était un conflit entre l'Etat soudanais et une population musulmane de l'ouest du pays. C'était justifié, pour un conflit qui a fait 200 000 morts. Mais le conflit nord-sud en a fait 10 fois plus, et on n'en a presque jamais parlé dans les médias occidentaux. A croire que le génocide du Sud-Soudan, tout le monde s'en moquait .

Pour qui souhaiterait désormais s'y intéresser davantage, et prendre au sérieux cette aventure politique hors normes et passionnante, dans laquelle la foi et la communauté chrétiennes jouent d'évidence un rôle non négligeable, on pourra se référer au site web officiel du nouvel Etat, le Government of South Soudan, et y écouter par exemple l'hymne national qui appelle sur le pays la bénédiction de Dieu. L'Eglise catholique du Sud-Soudan sort à peine d'une vaste campagne de quarante jours de prière, lancée afin de favoriser la réconciliation civile. Le nonce apostolique au Soudan et le cardinal John Njue, Archevêque de Nairobi au Kenya, seront présents pour la cérémonie d'indépendance. Le père Martin Ochaya, Secrétaire Général de l'Archidiocèse de Juba, confirme l'engagement catholique envers le nouvel Etat :  les prières d'action de grâce et de demande de grâce se poursuivront dans l'ensemble des paroisses même après l'indépendance et ce pendant tout le mois de juillet  a-t-il déclaré.

Le premier jour du reste de sa vie

Désormais, tout est à bâtir.  Pour l'AED, le Soudan est l'un des pays prioritaires en Afrique, auquel nous consacrons plus d'un million d'euros par an. Il est dans le Top 10 des pays les plus aidés.  Durant et malgré les décennies de persécution, l'Eglise s'est en effet développée, passant de 1,5 à 5 millions de baptisés. Il a fallu accompagner sa croissance par des projets de soutien pastoral, de construction d'églises ou de formation des séminaristes. L'investissement,  à raison de plusieurs centaines de milliers d'euros , s'est aussi largement tourné vers la création d'écoles chrétiennes, notamment dans des camps de réfugiés autour de Khartoum : dans ces structures, des  dizaines de milliers d'enfants enfants  ont été scolarisés, et non seulement nourris et éduqués, mais aussi  préservés dans leur religion , évitant l'école publique où ils étaient conduits à devenir musulmans.

De cette logique de survie, on passe désormais à un pays où tout est à bâtir.  Il y a des financements importants à prévoir, des églises bombardées sont à reconstruire, peut-être un séminaire à déménager. On y est pour un moment , conclut Marc Fromager, qui n'oublie pas la situation de l'Eglise dans le nord.  Depuis le référendum, beaucoup de réfugiés chrétiens regagnent le sud. Des écoles chrétiennes ont fermé, des paroisses se sont vidées à moitié, et la conférence épiscopale parle même de relocaliser son siège. L'Eglise aura-t-elle la liberté de rester présente à Khartoum ?  Même si cela reste l'Afrique, où l'on n'a pas envie de devenir l'Iran ou l'Arabie Saoudite, la question se pose... En attendant, la Banque mondiale vient d'annoncer qu'elle accordera 75 millions de dollars américains au Sud-Soudan dans les mois qui viennent, afin de l'accompagner dans la diversification de ses ressources économiques[2], la consolidation de ses infrastructures civiles, et la fourniture d'une couverture santé de base à la population. Dans l'immédiat, les Sud-Soudanais espèrent briller aussi rapidement sur la scène sportive internationale : dès dimanche, un match de football est prévu contre le voisin kényan, et un match de basket face à l'équipe de l'Ouganda. Des occasions attendues depuis longtemps, pour ce peuple à la souveraineté toute neuve, de vibrer en chantant ensemble  God bless South Sudan .

 

Sources : AED, Afriquinfo, FIDES, Figaro Magazine, Reuters, RFI

 

 

[1] Marc Fromager recommande sur cette question le livre de Pierre Péan Carnages, guerres secrètes en Afrique (Fayard, 2010)

[2] Bien que détenteur de gisements de pétrole, le Sud Soudan en est excessivement dépendant, puisqu'il fournit 98% de la valeur de ses exportations.

 

 

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