L'homme, nature et personne

La signification des mots « nature » et « personne ».

Être et vivre entre nature et personne : qu’est-ce que la nature ? qu’est-ce que la personne ? Que signifie le mot « nature » ? Par notre nature, nous appartenons à l’univers physique qui spécifie le genre, donc la forme qui est la nôtre. Le genre signifie la forme naturelle, attribuée par la nature, et non une prétendue ‘forme choisie’, ce qui ne signifie rien, si ce n’est la bêtise humaine ou l’orgueil de l’homme devant la Création, devant cet univers qui lui est donné, même s’il le transforme. La transformation n’est pas la création, sauf pour Nietzsche. La transformation exige préalablement une création pour transformer une matière existante. L’homme ne crée pas la matière, il la transforme. L’arbre qu’il regarde ne vient pas de lui, sauf à le transformer, à lui donner une nouvelle forme, mais partant d’une forme existante, sa forme naturelle, au risque de détériorer la nature, comme l’homme peut se détériorer lui-même, voire même se détruire en se parant du mythe de Prométhée. C’est pour cela que Dante dit que « l’art est petite-fille de Dieu », quand l’artiste respecte et perfectionne l’ordre de la nature, qui est l’ordre de Dieu créateur de l’univers physique.

Toute réalité quelle qu’elle soit possède une nature propre qui lui est donnée et qu’elle ne choisit pas. La plante n’est pas un animal. La carotte n’est pas une tomate. La graine de moutarde n’est pas le grain de blé. La femme n’est pas l’homme, même s’ils appartiennent tous deux au genre humain. La nature conçoit la diversité jointe à la complémentarité toutes deux finalisées en vue de l’harmonie de chacune des réalités individuelles, elle-même ordonnée à celle du monde physique. La nature possède sa propre harmonie avec ses lois, ses propriétés, son immense diversité. Tout cela est donné dans une pure gratuité. L’homme le reçoit par ses sens, non en tant que propriétaire, mais en tant que créature, au même titre que les autres créatures, à la différence essentielle qu’il a l’esprit, qu’il est seul à avoir reçu l’esprit. Ce don le consacre la créature la plus parfaite, sommet de la création, par l’esprit, le noûs, l’« intelligence séparée », et la volonté, l’amour spirituel, tous deux intrinsèquement liés, ordonnés l’un à l’autre, l’un pour l’autre.

Que signifie le mot « personne » ? Le mot « personne » vient du grec prosôpon qui signifie à l'origine le « masque » dans le théâtre grec. Les Grecs nomment ces masques prosôpa, parce qu’on les met sur le visage et devant les yeux si bien qu’ils cachent la figure. Prosôpon désigne ensuite « la personne » avec Épictète, l’esclave affranchi (50-125 ap. J-C), philosophe grec de l'école stoïcienne qui déclare : « Ne dis pas : ‘je fais de la philosophie’, dis : ‘je m'affranchis’ ». ‘Je m’affranchis’ signifie ‘je découvre la liberté’, ‘je suis enfin libre’. La philosophie mène ainsi à la liberté : non pas le concept de philosophie réduit à la dialectique, mais la recherche de la sagesse, l’amour de la vérité. Pour Épictète, le choix, en grec proairesis, signifie que l'on est une personne, lorsque l’on choisit un ami. Ensuite Boèce (470-525), philosophe latin, dit que la personne est : « persona proprie dicitur naturae rationalis individua substantia », traduit par « substance individualisée de nature raisonnable ». Boèce a commenté les Catégories d’Aristote. La personne ne peut pas être décrite, car, en tant que réalité individuelle, elle est substantielle, donc qualitative et pour une part, sa part spirituelle, au-delà de toute description.

Saint Thomas d’Aquin définit la personne dans la Somme théologique : « Le particulier et l’individu se rencontrent sous un mode encore plus spécial et parfait dans les substances raisonnables, qui ont la maîtrise de leurs actes : elles ne sont pas simplement ‘agies’, comme les autres, elles agissent par elles-mêmes. Or les actions existent dans les singuliers. Aussi, parmi les autres substances, les individus de nature raisonnable ont-ils un nom spécial, celui de ‘personne’. Et voilà pourquoi, dans la définition ci-dessus, on dit : ‘La substance individuelle’, puisque ‘personne’ signifie le singulier du genre substance ; et l’on ajoute ‘de nature raisonnable’, en tant qu’elle signifie le singulier dans les substances raisonnables. » (I-I, Q 29, a 1)

Le mot « personne » prend sa racine dans la « substance individuée » (premier principe de la métaphysique), donc incarnée dans un individu, à la suite de Boèce, mais impliquant l’acte (second principe de la métaphysique), pour montrer que la personne implique la maîtrise d’elle-même par sa « nature raisonnable », d’où la responsabilité de l’homme dans ses actes pour être une personne. Ce qui signifie que je dois agir en fonction de ma finalité humaine pour être qualifié en tant que personne. Sinon, je ne suis pas une personne, je ne suis qu’un individu. C’est l’aspect qualitatif au niveau de l’être face au pouvoir de la quantité qui mesure la matière et tout ce qui relève du devenir, au risque d’ordonner la qualité à la quantité, ce qui est l’ordre inverse de la philosophie, et par conséquent de la sagesse. La pensée moderne suit cet ordre inverse depuis le XIVe siècle, avec Ockham, puis Descartes, entraînant le positivisme et les idéologies athées.

Si nous revenons à la philosophie de l’être, puis au retour sur l’individuation, la manière dont l’être existe dans un individu, nous découvrons que la personne est un mode individué de l’être. C’est l’être inhérent dans une forme qui lui attribue sa réalité propre, en particulier dans le genre « homme ». Aussi il est nécessaire de faire la distinction entre la nature de l’homme, réalité appartenant à l’univers physique, réalité la plus parfaite dotée de l’esprit, et la personne de l’homme que le philosophe découvre comme la manière dont l’être est individuée. La nature appartient « naturellement » au monde de la vie, en particulier au monde des vivants pour l’homme, tandis que la personne est découverte « métaphysiquement » par une induction de l’être, donc à partir des deux principes fondateurs : la substance et l’acte. La distinction de ces deux voies, ayant chacune son ordre propre, est capitale à comprendre pour appréhender l’homme, d’une part dans sa nature et d’autre part dans sa personne. D’ailleurs, nous disons en admirant un nouveau-né au berceau : « quel bel enfant ! » et non pas : « quelle belle personne ! ». Ce qui distingue les deux, c’est la nature humaine pour l’enfant et la qualité humaine pour la personne, plus précisément la finalité humaine. La nature est donnée, tandis que la qualité ordonnée à la finalité est acquise au fil des années dans l’unité du corps et de l’esprit.

L’apport de l’être à la vie transcende le devenir par les sept dimensions fondamentales de la personne, selon un ordre d’acquisition : En premier, l’autonomie dans l’ordre de l’être – en second, la recherche de la vérité – en troisième, la capacité d’aimer – en quatrième, l’homme capable de transformer l’univers – en cinquième, la prudence – en sixième, le corps – puis au terme, au sommet, la septième et ultime dimension : la découverte de Dieu Créateur de l’univers et de l’âme humaine, l’âme animale relevant de la nature et non de la personne.