L’amour de la vérité, itinéraire philosophique - chapitre 4

La structure du travail humain : L'expérience montre que l'activité qui semble réunir les divers éléments constitutifs du travail humain est celle de l'artisan. Ayant eu plusieurs fois l'occasion d’observer le travail de compagnons-artisans, de dialoguer avec des compagnons du Devoir du Tour de France, anciens et jeunes, nos échanges ont mis en évidence une convergence fondamentale sur la structure d'un travail humain. J'ai eu la chance d'animer plusieurs causeries chez les compagnons, ces causeries où les jeunes se retrouvent un soir par semaine pendant deux heures pour recevoir une formation culturelle de personnes extérieures au compagnonnage. Il m'a été demandé plusieurs fois de traiter de la philosophie du travail. Un compagnon ancien m'a dit un jour à l’issue d’un cours : « vous dites tout haut ce que nous vivons. » D’ailleurs, j’ai eu la chance et l’honneur de réaliser un ouvrage que j’ai intitulé : Le Compagnonnage de l’an 2000, essai sur la pensée de Jean Bernard, rénovateur du Compagnonnage, fondateur de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France, paru aux Éditions L’Harmattan en 2001. Ce livre fut longuement préfacé par le compagnon Jean-Paul Jusselme, directeur général de la Fondation Coubertin, centre de perfectionnement des Compagnons du Devoir, située au Domaine de Coubertin à Saint-Rémy-les-Chevreuse. Quelques années plus tôt, en 1992, m’a été confié la rédaction de la première page du journal mensuel du Compagnonnage, organe des compagnons du Devoir (directeur : Jean Bernard), intitulé Un témoignage.

L'activité du travail se structure en moments successifs et ordonnés, cinq moments communs au travail de l'artisan et à celui de l'artiste, marqué de particularités différenciant l'art de l'artisanat. Cependant tout travail doit être précédé d'un temps de découverte, nourri d'une relation avec le monde extérieur.

1er moment : l'expérience préliminaire
L’activité du travail débute par une expérience antérieure précédant l'activité proprement dite. L’artiste comme l’artisan mène une expérience préliminaire à considérer comme le premier moment du travail, point de départ de l'activité artistique ou artisanale. Il faut entendre par art tous les domaines où l'homme fait ou réalise quelque chose. Il s'agit donc du sens général. Ne qualifie-t-on pas quelqu'un qui est très compétent d'homme de l'art ? Mais l'art peut aussi être synonyme de création artistique. Les deux approches sont à retenir et à approfondir
Chacun fait l'expérience des préliminaires à une réalisation, quand l'intelligence s'est progressivement éveillée pour donner naissance à une inspiration. Car il faut une inspiration avant de réaliser quelque chose, savoir ce que l’on va faire. Au contact de divers milieux, l'homme a pu voir telle chose et rencontrer telle personne qui ensuite ont provoqué un déclic donnant naissance à une inspiration. De même, des travaux précédents ont pu favoriser une expérience jointe à une réflexion suscitant une forme d’inspiration nouvelle. Ces deux préliminaires s’accordent pour préparer cette activité.
Chacun le sait : la vie, toute vie est faite d'expériences qui se cumulent et se complètent, chargent l'imagination et nourrissent l'intelligence. Que ce soit dans une certaine émotion éprouvée au théâtre ou au concert, en visitant un musée ou une exposition, comme à l’occasion d’une rencontre ou d’une conversation, les sources de connaissances et d'expériences sont multiples, bienfaitrices ou éprouvantes parfois. Il y a des gens inspirés, tandis que d'autres ne le sont que rarement ou jamais, selon ce qu'ils peuvent penser ou dire parfois injustement d'ailleurs. Et l'inspiration peut prendre des formes inattendues en fonction des circonstances.
L'expérience préliminaire est donc capitale, car elle vient naturellement du contact avec l’environnement naturel et culturel, du lien à l’univers physique et humain. Il est aisé, mais parfois difficile à admettre, que toute expérience vient en premier lieu de l'extérieur et non de notre intériorité, donc ne vient pas de nous, même si notre apport n’est pas négligeable et peut être précieux. Il s’agit d’une antériorité du monde qui nous entoure sur les sens, suivie d’une prise de conscience que toute expérience interne provient d'une expérience externe, que ce qui vient de nous vient pour une part d’un autre quel qu’il soit, nature, être humain, tradition et civilisation, tous les acquis d’une société avec son histoire et sa mentalité. Aucune expérience interne ne jaillit de l'intériorité de quelqu’un sans être marquée au préalable par une expérience externe, car nous sommes des êtres vivants dont l'intelligence est incarnée, en rapport avec le monde extérieur à l'aide des cinq sens.

2e moment : l'inspiration
De l'expérience jaillit une inspiration, second moment de l'activité du travail. L'inspiration naît de relations entre l'intelligence et l'imagination, de la relation pouvant jaillir une intuition. En effet, l'intelligence se nourrit d'images reçues dans l'expérience qu'elle intègre en créant de nouvelles relations dans l'ordre du possible. C’est pour cela que les mathématiques sont si proches de l’intelligence, car elles s’enracinent dans le possible, se tournant vers l’infini, et non dans le réel. Certaines personnes sont plus imaginatives ou plus créatives que d'autres, plus intuitives aussi. Il ne faut pas confondre inspiration et intuition. L'inspiration est à la création artistique ce que l'intuition est à la relation. Un intuitif est celui qui crée des relations que d'autres ne peuvent saisir. Un esprit logique est moins sujet à l'intuition. D'ailleurs, on dit parfois de quelqu'un qu'il est plus intuitif que logique, en particulier en mathématiques. Le véritable artiste est intuitif et peu logicien. Cela ne signifie pas qu'il ne fait pas appel à la logique. En effet, la structure du travail philosophique que nous élaborons est logique, c'est-à-dire ordonnée, progressive selon un ordre déterminé.
L'inspiration représente donc la part fondatrice de l'activité du travail au niveau de l'intelligence pratique. Elle détermine l'activité artistique et son objet, la réalisation d'une œuvre agréable à voir pour l’artiste ou une œuvre utile pour l’artisan. Elle est donc cause de cette activité, car sans inspiration ou sans idée, idea en grec, il n'y a pas d'art, mais un travail de copie. Cause et conséquence : la conséquence est à la déduction, ce que la cause est à l’induction.
Nous constatons d’où provient la différence entre l'art et l'artisanat. L'artisan part d'un modèle, avec ou sans modification, tandis que l'artiste part de son inspiration. Dans le compagnonnage, on observe une part d'inspiration, dans les métiers où la noblesse de la matière s’avère majeure : la taille de pierre, l’ébénisterie ou la ferronnerie d'art par exemple. C'est pour cela qu'on peut affirmer que les grands artisans sont aussi pour une part des artistes, des gens fortement inspirés.
L'inspiration désigne la cause formelle de l'activité artistique, c'est-à-dire qu'elle est la cause selon la forme, puisque c'est par l'inspiration qu'une nouvelle forme est donnée à la matière. Elle est cause formelle, parce qu'elle détermine quelle forme la matière recevra dans sa transformation par l'artiste ou l'artisan. Deux causes existent au plan du travail : la cause formelle et la cause exemplaire. Par l'inspiration, l'intelligence sera cause formelle en vue de donner à la matière une nouvelle forme. La sculpture en est un exemple dans l’art : le bois devenu une statue ; dans l’artisanat, le bois devenu un meuble. L'inspiration est donc la source du travail, cause selon la forme dans l’ordre du devenir. Dans le cas d'une réalisation d'après un modèle, il s'agit alors de la cause exemplaire que représente le modèle à copier. L'inspiration n'existant pas, le travail est déterminé d'après un exemple, un modèle à reproduire ou, plus largement, un modèle pouvant être source d’une certaine inspiration.

3e moment : le choix
Puis vient le choix, troisième moment de cette activité du facere de l'homme artifex ou « fabricateur ». Il sélectionne à l'intérieur dans ce qu'il est possible de faire ce qui lui apparaît comme nécessaire pour mettre en application, concrétiser son inspiration. Il va donc faire des choix : élaborer un projet, choisir une matière, sélectionner des outils, gérer des délais. Dans la structure du travail humain, ce moment est appelé le choix ou « choix créateur ». L'homme choisit ce qui lui permettra de réaliser son projet à partir de son inspiration.
Dans la mesure où l’homme travailleur se fait une idée exacte de ce qu'il veut réaliser, il peut et doit choisir la matière correspondante, puis les outils adéquats. De plus, il doit coopérer avec la matière en connaissant ses déterminations et ses indéterminations propres, donc en la respectant pour obtenir la meilleure réalisation possible dans cette connaturalité où la forme entre dans la matière, tout en la respectant dans sa transformation.
L'outil que l'on cite maintenant n'apparaît pas dans les deux premiers moments de cette activité. Il ne détermine pas l’activité, car il est un moyen en vue d'une fin : la réalisation proprement dite qu’est l'œuvre. C'est l'inspiration qui détermine le travail, qui lui donne sa fin propre. Quand l'outil le détermine, il risque fort de supplanter l'inspiration pour prendre la place de l'intelligence dans cette activité fondamentalement humaine. L'outil va s'associer à l'homme et pour l'homme, pour lui permettre de passer de l'inspiration à l'œuvre à réaliser. Il est le prolongement de la main ou le prolongement de l'intelligence. Il peut l’être directement de l'intelligence, quand la matière est « matière grise », c'est-à-dire immatérielle.
Nous assistons aujourd'hui à une prise de pouvoir de la machine qui risque toujours de déterminer le travail en retirant sa noblesse à l'homme. On parle alors d'un travail de l'homme et non plus d'un travail humain. Ne qualifie-t-on pas parfois la machine de « machine intelligente » ? Il ne s'agit pas de critiquer l’utilisation de la machine ou condamner le progrès, mais de comprendre les besoins inhérents à la nature humaine. Ainsi, quand l'inspiration n'est plus présente dans sa dimension créatrice, quand le travail lui-même est réalisé non par l'homme, mais directement par une machine ou un robot, la place de l'homme devient relative au travail, jusqu'à une situation-limite où l'homme devient l’esclave de la machine ou de l'outil devenu machine. Toutefois, il y a des surveillants de machines qui disposent d’une certaine initiative, d’autres pas.
Dans cette perspective, il est nécessaire de prendre conscience de ce que signifie le réalisme du travail, car c'est là dans cette collaboration entre l'homme, la matière et l'outil que réside le cœur du travail humain, d'où la qualification de l'homme de métier. L’art du chirurgien se trouve là, médecin ou dentiste d’ailleurs. On parle souvent de métier, alors qu'il ne s'agit que d'un « boulot » ou d'un « job » comme le surnommait Jean Bernard, fondateur des Compagnons du Devoir du Tour de France que j'ai connu personnellement à la fin de sa vie dans les années 1990. Le métier qualifie par lui-même, parce qu'il forme de l'intérieur celui ou celle qui l'exerce, par l'acquisition d'un habitus d'art et de vertus morales, tandis que le « boulot » occupe et fait que l'homme n'est déterminé que par l'efficacité. L'efficacité pure mène à un travail de l’homme et non plus à un travail humain, qui est déterminé par la quantité, tandis que le métier l’est par la qualité :
« On ne peut donc aborder ce problème du métier et du ‘job’ et essayer de suivre le cheminement de l’un à l’autre sans parler de cet amour et même de cette passion, de cet attachement profond, sentiments dont le métier s’accorde admirablement jusqu’à se confondre avec eux. Le ‘job’ se situe sur un autre plan. On est fidèle à un métier. On n’est pas fidèle à un ‘job’, on le lâche pour un meilleur. Là est toute la différence et il est, je crois, impossible d’accorder ces deux pôles, car si le but de la vie est de jouir platement, le ‘job’ l’emportera, mais s’il est de vivre bien, le métier sera le plus fort. » (Le compagnonnage, rencontre de la jeunesse et de la tradition, Jean Bernard, Presses universitaires de France, Paris, 1982, p. 485)
Nous abordons là un aspect nouveau auquel nous reviendrons, celui du rapport entre la qualité et la quantité, et préalablement ce qu'est la qualité et ce qu'est la quantité. Pour le compagnon, la quantité doit être impérativement au service de la qualité, et non l’inverse que nous observons trop souvent dans le travail actuel, réduit à l’économie : « Il ne faut pas refuser le progrès, mais le traiter de telle sorte qu’il apporte à l’homme, en même temps qu’une amélioration de sa vie matérielle, un surplus pour ses possibilités d’accomplissement. » (ibid. p. 521)
Le choix précède immédiatement la réalisation proprement dite du projet qui appelle impérativement une exécution. Chacun peut constater l'observation suivante : certains affirment parfois qu'ils sont artistes ou écrivains. Puis, quand vous leur demandez ce qu'ils ont réalisé, ils vous répondent sans hésiter qu'ils ne l'ont pas encore fait, qu'ils ont des idées, mais qu'ils ne sont pas faits pour les réaliser. N'est-ce pas curieux et inquiétant du reste, car cela caractérise un idéalisme qui manque d'objectivité, de réalisme pratique et même, ce qui est plus ennuyeux, un manque d'engagement personnel. Il y a en effet ceux qui disent et font, et ceux qui disent et ne font pas ou si peu, donc qui parlent pour parler, en qui parfois, semble-t-il, « l'être, le dire et le faire ne font qu'un », d'après la célèbre citation de Parménide qui s'applique à Dieu seul.
Dans un monde où l'emprise de la communication et de la relation s’avère déterminante, cette observation dénote une mentalité où la pensée suffit, se suffit à elle-même. Alors, le réel, le concret, l'autre comme tel, et donc l'être, sont mis entre parenthèses. Chacun peut en mesurer les conséquences immédiates dans la vie. Quand l'autre est mis entre parenthèses dans la pensée et qu'il ose signifier qu’il existe, il devient alors vite gênant, sauf s'il a été absorbé comme un aliment. D'où « L'autre, c'est l'enfer », comme nous l’avons déjà dit à propos de Sartre.
Un travail est humain et non pas de l'homme, quand l'outil lui permet de garder la maîtrise de l'exécution qui est l'acte humain de fabrication ou de production pour l’essentiel. L'outil doit être dominé par l'homme et lui permettre d'en rester le maître, sinon il risque toujours d'en devenir l'esclave.

4e moment : le travail proprement dit
Il s’agit de la phase de la réalisation qu’est le travail proprement dit. C’est l'exécution réclamant un certain labeur qui implique une lutte de l'homme avec la matière. Ce labeur est celui de l'intelligence et de l'activité physique comprenant une tension intérieure et une activité physique, d'où une fatigue. La matière résiste, car elle possède ses déterminations et ses indéterminations propres. L'homme va lui donner une nouvelle forme : le bois devenant une table par exemple, un légume devenant un plat, un tissu devenant un vêtement, tel projet devenant telle réalisation. Ce lien physique avec la matière permet au corps de l’homme de rester au contact de la matière pour la sentir intérieurement et la vivre spirituellement.
L'outil facilite le travail, limite la fatigue, mais ne doit en aucune manière retirer à l'homme ce qui constitue le cœur de son travail. Sinon il ne s’agit plus à proprement parler d’un travail humain, mais d’un travail de l'homme. La perte du sens du travail provient donc de la dégradation des éléments qui constituent les divers moments du travail, éléments complémentaires les uns des autres. L'homme met en œuvre toutes ses forces en vue de la réalisation selon l'idée ou l'inspiration, le projet étudié, la matière choisie, les outils sélectionnés dans les délais et le lieu décidés.

5e moment : le jugement
Cette phase du travail proprement dit se termine dans un acte de jugement. Il est un arrêt, un certain recul, une forme de repos. L'homme évalue la qualité de ce qu'il a fait selon ce qu'il a décidé en prenant en compte les possibles interventions étrangères et imprévues liées au temps et au devenir physique. L'œuvre réalisée est-elle fidèle à l'inspiration ? L'œuvre a-t-elle respecté la matière ? La matière choisie correspondait-elle à l’œuvre à réaliser ? L'outil a-t-il maintenu le travail humain ? Était-il adapté à son objet ?
Cette phase met en évidence la valeur du jugement pratique, donc la qualité de l'intelligence pratique d'une personne. Cela permet de porter un jugement pratique sur l’intelligence d’une personne. Dans l'activité artistique, le jugement s'assure de l'adéquation entre l'inspiration et l'œuvre réalisée, mais aussi du lien entre l'imagination et l'intelligence, au risque d’un manque de maîtrise de l'intelligence soumise à une forte imagination. L'activité du travail prend donc fin dans l'œuvre réalisée et, plus précisément, dans le jugement porté sur le travail accompli : œuvre utile pour l'artisan, œuvre agréable à voir pour l'artiste.

Questions sur le travail

Quand le travail ennoblit-il ou dégrade-t-il l'homme ?
Cette question critique a été pour une part abordée dans les lignes précédentes. Il est possible d’apporter deux éléments de réponse correspondant à deux critères distincts, l'un structurel ou objectif, l'autre moral ou subjectif. Quand la structure du travail humain n'est pas respectée, c'est-à-dire incomplète ou désordonnée, le travail ne peut pas se réaliser dans des conditions humaines normales. Comme nous l'avons dit, il n'est plus un travail humain, mais un travail de l'homme. Autre remarque : le travail d’un animal de trait n'est pas un travail à proprement parler, puisqu’il exige la participation de l’esprit.
Quand il n'y a pas de finalité dans le travail ou que sa finalité ne respecte pas le développement naturel de l'homme, son « accomplissement » pour citer Jean Bernard, le travail peut alors le dégrader. Au lieu de l'ennoblir en concourant à la croissance de la personne pour la perfectionner, il la dégrade.
De plus, l'inspiration peut être bonne ou mauvaise, le choix bon ou mauvais en vue d'une finalité qui peut être bonne ou mauvaise. Nous nous situons là au plan moral et non plus au plan artistique. Le plan artistique regarde la relation entre l'inspiration et l'œuvre, tandis que le plan moral regarde ce qui semble bon ou mauvais aux divers moments de l'activité pour l'homme dans sa dimension éthique.

Qu'est-ce que l'habitus ?
Pour finir sur un sujet si présent et si déterminant dans la vie, il est intéressant de s'arrêter un court instant sur ce qu'on appelle l'habitus. Il existe deux types d'habitus qui sont relatifs à deux grandes activités humaines : l'habitus d'art pour l'activité du travail et l'habitus moral ou vertu pour l'activité éthique ou morale. L'habitus d'art désigne un savoir-faire acquis après une formation suivie d’une grande expérience dans le domaine artistique, comme dans de nombreux domaines exigeant une réelle compétence : dans le sport ou dans l’art médical, en philosophie ou en mathématiques aussi par exemple. Le propre de l’habitus, c’est quelque chose qui, une fois acquis dans le travail, demeure, mais à condition de l’exercer de façon continue.
L'habitude n’est pas l'habitus. L’habitus s’appuie sur un fondement de l'être, un « principe », tandis que l’habitude ne s’appuie pas sur un principe. Elle est de l'ordre du comportement, telle une habitude que nous avons prise, bonne ou mauvaise d’ailleurs. À l’épreuve du temps, dans l'habitus le pli devient si profond qu'il semble comme une nouvelle nature. Un artiste solo dans un concert, un grand sportif, un ponte ou un maître-ouvrier, comme un grand homme politique ou un chef militaire réputé, ont acquis bien évidemment des habitus qui suscitent une certaine admiration. De même, dans tous les domaines de la vie, chacun peut et doit acquérir des habitus lui permettant de se développer, de croître dans tel ou tel domaine pour se réaliser, puis pour rayonner sur son environnement et transmettre le meilleur de lui-même.

(Extrait tiré de L’amour de la vérité, itinéraire philosophique, Jean d’Alançon, Éditions L’Harmattan, 2022)

 

Jean d'Alançon