En prémices à la conférence débat qui aura lieu au centre Bernanos mercredi 15 juin à 19h nous publions un résumé d'une conférence de Jacques Arènes prononcé le 4 novembre 2006 à l'occasion de l'assemblée plénière de la Conférence des évêques de France à Lourdes. Cette conférence introduisait le débat sur les premières conclusions d'un groupe de travail mis en place l'année précédente et dont le thème était Trois différences structurantes de la vie sociale : homme/femme, père/mère, frère/sœur présidé par Mgr Brugues, évêque d'Anger. Elle a depuis été publiée par Document Episcopat (n°12) sous le titre La problématique du genre .
Les grandes révolutions politiques du XXe siècles ont toutes été les conséquences d'un changement de paradigme culturel ou de la prégnance d'une idéologie dans la société. Malgré les expériences collectives traumatisantes du siècle précédent, l'avenir ne s'annonce pas différent ! Aujourd'hui, en dépit des mises en gardes notamment de l'Eglise, et de nombreux intellectuels, les idéologies avancent masquées. Celle du gender en est l'une des plus pernicieuse. La vigilance de l'Eglise n'est pas nouvelle sur ce sujet.
La conférence très structurée de Jacques Arènes aborde le sujet en six étapes permettant de définir l'idéologie du gender et de faire le tour de ses implications actuelles :
- Les enjeux et les questions usuelles posées par ce thème
- Qu'est-ce que la gender theory ?
- La notion du genre
- Axes théoriques des genderstudies dans leur évolution
- Réfléchir sur les options philosophiques fondamentales de la gender theory
- Conclusion : répondre à la gender theory
De cette analyse très complète nous avons retenus trois points essentiels :
- La définition de l'idéologie du gender et ses enjeux
- La cause de sa diffusion de nos jours : la politisation de la sexualité
- La réponse d'un chrétien à cette idéologie
Définition et enjeux d'une idéologie
Définie dès le départ comme idéologie, la gender theory apparaît ici comme un mouvement complexe issue principalement des revendications féministes, homosexuelles et s'appuyant sur plusieurs études notamment psychanalytiques. Ce qu'on nomme couramment les gender studies(études du genre) sont nées aux États-Unis dans les années soixante-dix. Leur but premier était de mettre en accusation les théories soutenant comme naturelles des inégalités ou des différences purement sociales . On comprend donc explicitement pourquoi l'histoire du gender se déploie dans le sillage des mouvements féministes et de la défense des minorités .
Les revendications issues des gender studies se réclament d'une justice qui lutte contre l'inégalité avance donc Jacques Arènes. Comment parviennent-elles à corriger cette iniquité ? De nos jours, c'est par une distinction très conceptuelle mais très efficaces du point de vue du sens : la distinction entre identité sexuelle et de genre, c'est-à-dire entre une référence au sexe biologique ou bien son versant social. Aussi artificielle que puisse paraître cette distinction, elle est en fait lourde de conséquence puisqu'elle implique une dissociation et une rupture entre la signification du corps de l'homme et son essence. L'homme ne se réduit pas à son corps certes, mais il n'est même plus ce corps comme le rappelait le Cardinal Ratzinger dans un texte de la Congrégation pour la doctrine de la Foi (Donum vitae 22 février 1987).
Selon la théorie du gender, l'homme est ainsi capable en toute impunité de se réinventer lui-même indépendamment de toute signification biologique. Dans ce mouvement, il s'agit à l'origine de s'affranchir d'une culture parfois enfermante particulièrement pour les femmes victimes des stéréotypes machistes. C'est opéré un glissement qui permet en fait un affranchissement total de l'homme vis-à-vis de la nature. Un glissement qui n'est pas anodin : L'idée initiale des gender studies, de ne plus sous-estimer la dimension sociale d'accès à l'identité sexuelle, s'est donc déplacée progressivement dans une direction qui a tenté de réduire la dimension symbolique de la sexuation à un pur jeu normatif confirme Jacques Arènes. Le rôle de la psychanalyse dans ce glissement est énorme.
Abordant de façon plus ou moins détaillée le catalogue des spécificités masculines ou féminines, d'origine culturelle ou non le conférencier démontre que l'idéologie du gender a pour but une réforme de la société dans ses principes fondamentaux, et cela depuis ses origines :
Dès le début, la notion de genre a intégré l'idée d'un mouvement possible, d'une éventualité de changement. Ce concept fait référence à une mobilité dialectique : la culture détermine les effets de genre, mais les effets de genre peuvent être redéfinis par la culture. Se trouvent ici nouées toutes les questions futures débattues par la notion du genre, entre inné et acquis, nature et culture, psychique et social. Tout se joue donc dans l'articulation du donné biologique, du psychique et du social, avec, selon les époques, une insistance sur un des aspects.
Ici on comprend que les défenseurs du modèle idéologique du gender aient à cœur de remodeler notre société, persuadés qu'ils sont que la culture peut redéfinir la nature. Cette théorie participe en quelque sorte à l'idée d'un nouvel humanisme qui place toute transcendance en l'homme. Ainsi, l'homme n'est plus homme mais surhomme capable de se réinventer ou se créer à sa guise. Les réflexions sur l'identité en philosophie participent également à cette promotion de l'homme qui s'affranchie de tout donné – tout essence – pour se construire. Plus loin, Jacques Arènes rappellera d'ailleurs les options philosophiques de cette idéologie :
- Le constructivisme et l'idéalisme
- le dualisme anti naturel
- l'éloge du neutre
- la généalogie des pouvoirs, signe des influences nietzschéennes
La politisation de la sexualité, cause de la diffusion du gender
Pour Jacques Arènes, la gender theory se diffuse de plus en plus dans les médias, et dans le débat public, en raison de sa vision politique de la sexualité, en relation avec l'activisme gay. Dans cette dimension militante, l'Église, mais aussi certaines approches anthropologiques, comme celles de la psychanalyse ou du structuralisme, apparaissent comme l'ennemi , gardiennes de traditions enfermantes.
Cependant le conférencier s'empresse de rappeler que si les mouvances gay et lesbiennes sont très proches de l'idéologie du gender, il ne faut pas pour autant tout amalgamer. Si il convient aujourd'hui de porter une attention toute particulière à cette théorie, c'est parce qu'elle n'est plus seulement limitée au cénacle intellectuel ou universitaire mais parce qu'elle entre de plein pied en politique.
L'intérêt d'examiner de telles théories est lié à la diffusion, dans le grand public et dans le monde politico-médiatique, de certaines notions comme le refus de l'hétérocentrisme (l'hétérosexualité comme modèle social) et comme le désir d'instituer une politique des sexualités. Par ailleurs, ces théories se déploient dans un panorama général de redéfinition du possible et de l'impossible. La théorie du genre est donc un des derniers avatars du redéploiement du politique. La sexualité devient un domaine politique où sont explorés tous les possibles. La sexualité devient politique – et donc objet de décisions politiques – dans la mesure où elle paraît le dernier espace où semble pouvoir exister le jeu des possibles : beaucoup ont une vision dépressive du politique, pour ce qui concerne la vie économique et le remodelage de l'histoire commune. C'est donc l'histoire privée du sujet sexué, et même du corps sexué qu'il s'agit de redéfinir.
Se profile alors les conséquences dramatiques d'une telle idéologie. En effet, avec sa vision politique de la sexualité, le genre est mis au service d'une oppression. Et ce par un biais méthodologique que dénonce Jacques Arènes.
En faisant cause commune avec les études sur les questions de race et de néo-colonialisme, les théoriciens du gender opèrent habilement une association dans les esprits qui joue en leur faveur. C'est presque de la propagande ! On glisse ainsi, dit Jacques Arènes, d'une analogie – en termes de minorités opprimées – à un paradigme méthodologique où les différences masculin/féminin paraissent tout autant construites , et détestables, que les différences raciales – et les ségrégations du même nom – portées par des idéologies haïssables. A l'heure où nos sociétés sont régies par un appareil de lois anti discriminatoires, le gender se trace ainsi un boulevard vers une justice réformatrice des inégalités des sexes. C'est ainsi dit le conférencier que la dénonciation du pouvoir masculin s'est progressivement déplacé vers une politique de transformation du genre, de la distinction même des sexes .
Répondre à la gender theory
L'essentiel n'est pas de débattre subtilement des théories du genre, mais de percevoir leur influence déstabilisante sur la culture postmoderne conclue Jacques Arènes. Avec sagesse il rappelle que cette théorie est élaborée par des penseurs de qualité qu'il faut écouter, dans leurs réflexions, pour une part, mais une part seulement, pertinentes. Pour lui cette part pertinente est le côté non évident des affirmations concernant le genre, justifiant souvent, mais pas toujours, des systèmes de domination.
Il reprend ensuite deux aspects de la théorie du genre qui appellent une réponse du monde chrétien : la question du pouvoir et de la volonté de puissance ainsi que le refus de l'hétérocentrisme.
A propos de la question du pouvoir et de la volonté de puissance, l'auteur rappelle que dans la vision de la gender theory, tout est pouvoir et que l'identité, sans cesse mouvante, est référencée au langage . Ainsi, Les rituels de la vie sont les enfermements du genre. Mais, les rituels de la sexualité peuvent devenir une libération de l'emprise du genre. Dans cette référence constante à l'agir, le discours est donc explicitement et uniquement sur le registre militant, qui vise à faire bouger une ligne de front plus qu'à dire un vrai.
Alors quelle alternative à cette pensée de pouvoir ?
S'il ne s'agit pas de nier les effets de pouvoir dans les relations intersubjectives, ou dans le monde social, il faut réaffirmer l'essentielle complexité de ces relations : le désir humain n'est pas seulement lieu de pouvoir, mais est aussi marqué par l'appel à l'autre qui est désir de reconnaissance.
Jacques Arènes met ainsi en avant l'intersubjectivité comme ouverture à l'altérité comme remède à cette vision du genre régie par les dimensions de pouvoir.
Les effets de genre eux-mêmes, que nous n'avons pas à nier, s'ils sont infiltrés par le pouvoir, la rivalité et l'envie, sont aussi le siège d'une praxis vivante de la différence qui ne s'ordonne pas seulement à des hiérarchies patriarcales, mais à une dynamique de l'ouverture à l'autre.
Ces valeurs, avant tout humaines, sont également profondément chrétiennes. Le Christ par son exemple et son enseignement ne cesse de nous enseigner le décentrement de soi et le service du prochain. Sur le plan de la pratique, cela implique pour le conférencier d'être conscient de ce que pourrait devenir la société issue d'une telle idéologie :
Dans ce qui deviendrait le gigantesque marché de l'autofondation sexuelle, les plus intelligents, les plus malins, ou les plus séducteurs auront les coudées franches. La compétition narcissique est à l'ordre du jour dans la sexualité, et dans la politique de la sexualité.
La réponse est aussi dans la vérité du langage. En effet, une idéologie, est toujours dépositaire d'un vocabulaire. Il est donc important de veiller aux mots que nous employons et aux idées qu'ils véhiculent. Nous avons à mettre en valeur, un vocabulaire issu de l'anthropologie, et des sciences humaines, plus audible aujourd'hui, un discours sur les différences comme lieu d'humanisation et de réalisation du sujet. Comme le souligne Sylviane Agacinski, nous avons à penser une différence qui ne soit pas inégalité. Il conclue ce passage en rappelant que l'Eglise détient en elle-même toutes les solutions de cette crise :
L'Église détient dans sa tradition bien des aspects d'une défense de ce qui unit hommes et femmes, dans une perspective où la différence n'est pas ce qui prime mais qui se configure à une recherche d'unité.
Autre élément de fond de la théorie du gender sur lequel l'Eglise peut apporter une réponse, le refus de l'hétérocentrisme, actuellement très mis en avant dans la polémique sur les programmes de première en SVT. Dans la théorie du genre, l'hétérocentrisme est vu comme système supposé d'oppression. Le modèle hétérosexuel apparaît trop marqué, trop vecteur de discrimination. Ainsi selon Jacques Arènes, la remise en cause profonde du sujet hétérosexuel masculin aurait entraîné plus ou moins consciemment la remise en cause de l'hétérocentrisme. Cette remise en cause que l'auteur appel une fuite en avant s'inscrit dans un rejet global de la norme :
Certains aspects de la théorie du genre, sont en écho avec notre modernité qui met à distance tout code interprétatif pour coller à une psychologie sans profondeur où l'on se méfie de la mémoire. Le but est d'effacer l'universel, de subvertir l'arrogance du concept, pour faire l'éloge de la singularité et de la multiplicité, de mettre en valeur une posture esthétique de sa propre existence, et des plaisirs du corps, contre les dispositifs de la sexualité perçus comme d'abominables normes.
Quelle alternative opposer à ce refus ? L'urgence est donc, pour le monde chrétien, mais surtout pour ceux qui considèrent la différence comme vecteur de sens et d'humanisation, de soutenir une réflexion sur une approche du masculin et du féminin décantée des hiérarchies anciennes.
La clef est dans le discours et l'enseignement. Les chrétiens doivent prendre la parole dans notre société pour :
- dénoncer le déploiement de ce qui se présente comme une positivité, supposée innocente, souvent énoncée comme pur jeu de la singularité subjectale, s'opposant aux normes soit-disant violentes .
- Rappeler que la norme hétérosexuelle n'est pas seulement statistique ou engendrée par l'oppression. Elle est l'expression collective de singularités qui se réalisent dans l'altérité qui leur est donnée.
- redire l'homosexualité comme drame, drame qui n'est pas simplement le résultat de l'homophobie ambiante, mais une difficulté et une souffrance existentielle et psychique. Nous avons à exprimer le fond de blessure de bien des trajectoires homosexuelles, sans, bien entendu, identifier le sujet homosexuel à cette blessure.
- Il s'agit de combattre l'innocence affichée de la création performative du genre, pour en montrer les aspects cachés qui sont la mise en place de nouveaux réseaux de pouvoir, d'autant plus difficiles à saisir qu'ils ne sont pas institutionnels, et se réclament de la rhétorique de la position victimaire. Nous pouvons ainsi défendre l'idée que la fuite en avant n'est que l'envers de l'attachement trop rigide aux traditions.
- Pour ce faire, nous avons à réhabiliter une forme de mémoire, où des données issues du monde où la différence des sexes avait, et a encore, un sens, en les détachant d'une hiérarchie qui les motiverait.
Enfin, Jacques Arènes appelle à une réflexion sur la masculinité dans notre culture autrefois patriarcale où il était une référence et n'avait donc pas à être pensé. Dans notre culture où le masculin est déconstruit, nous avons à le penser enfin. La solution selon le conférencier est dans une redéfinition de l'altérité et de la différence qui permettrait de s'affranchir des excès passés qui sont la cause de l'idéologie du gender sans renier pour autant la nature, l'essence et la vocation de l'homme et de la femme.
Source : Document Episcopat (N°12)
Retrouvez la Fondation de Service politique pour la conférence-débat sur L'idéologie du Gender à l'école le mercredi 15 juin à Paris, à l'Espace Georges Bernanos, de 19 à 21h.
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