L'Assemblée nationale a rejeté, par 89 voix contre 70, les amendements à la proposition de loi sur la fin de vie qui autorisaient "une assistance médicalisée active à mourir". Mais les députés ont voté la mort par “sédation profonde et continue” et le caractère contraignant des "directives anticipées". Le débat parlementaire a confirmé l’ambiguïté des intentions de la majorité.
LA DISCUSSION de la proposition de loi Claeys-Léonetti sur la fin de vie s’est achevée dans la nuit du 12 au 13 mars.
Fidèles à leur poste d’opposition, résistant à la dangereuse offensive de la majorité présidentielle, les vigies des députés UMP ont déposé plus de mille amendements. Ils ont bataillé pied à pied pour demander des clarifications, se plaignant du rejet systématique de leurs amendements d’amélioration posés pourtant sans esprit d’obstruction. Ils ont notamment tenté de supprimer le document des consignes anticipées, lourdes de contraintes pour les médecins qui seraient privés du recours à leur clause de conscience.
Au cours de la discussion, le ministre de la Santé Marisol Touraine a montré son parti-pris en avançant qu’elle ne voulait pas « brusquer la société française » pour justifier le rejet des amendements euthanasiques. Une façon de dire que le suicide assisté, s’il n’est pas pour aujourd’hui, est bien pour demain.
Honneur aux députés Breton, Poisson, Gosselin, Dhuicq, Reiss…
Parce qu’ils étaient là, comme l’a rappelé le député de l’Ain Xavier Breton, les amendements euthanasiques ont donc été finalement rejetés. Qu’ils en soient vivement remerciés.
Dans un communiqué, l’association « Soulager mais pas tuer » s’est réjouie du rejet effectif des amendements ouvertement euthanasiques, mais a maintenu un niveau d’alerte absolu, appelant à la plus grande vigilance.
Comme l’a fait très justement remarquer Xavier Breton, qui intervint dans un amendement de suppression, l’évaluation chaque année de la loi remettra chaque année le débat sur le devant de la scène, avec les mêmes dangers de voir ressurgir les demandes euthanasiques.
Nous en voulons pour preuve un petit épisode méritant qu’on s’y arrête. À quelques poignées de minutes de la fin de la discussion, le député Sebaoun (PS, Val d’Oise), présentait encore, obstiné, trois amendements dont la formulation plus qu’ambiguë a donné lieu à un cafouillage bien révélateur, à propos des amendements 691, 692 et 693 de l’article 8 (à 03:09:40 de la vidéo de l’Assemblée nationale), l’objectif étant incidemment d’autoriser l’assistance médicale au droit de se donner la mort.
Coup de Jarnac : les amendements Sebaoun
M. Sebaoun prend le soin de dire que l’amendement 691 « est un amendement un peu plus que rédactionnel ». Que dit son texte ? « Les directives anticipées expriment les volontés de la personne “à sa fin de vie” ». Et Sebaoun de proposer le changement suivant : « J’ai considéré qu’on devait écrire “ces directives anticipées expriment les volontés de la personne…” » Puis, il cafouille, bafouille un « Je suis un peu perdu ».
La présidente de séance intervient pour l’inviter alors à présenter les trois amendements en même temps. Ce à quoi, il rétorque qu’ils ne sont pas tout à fait les mêmes : « Il y en a un qui exprime en tout cas le choix de la fin de vie. Il y en a un que je retire. Et le troisième est purement rédactionnel. » La présidente enregistre alors le retrait du 693. Les rapporteurs de leur côté opposent un avis défavorable bien net aux amendements 691 et 692.
Marisol Touraine prend alors la parole : « À l’amendement qui transforme “à sa fin de vie” en “son choix de fin de vie”, le gouvernement donne un avis favorable. » Étonnée, la présidente, demande confirmation. Le ministre confirme son avis favorable contre l’avis des rapporteurs.
Le contre du député Xavier Breton
À ce moment, coup de théâtre. Xavier Breton demande la parole : « Le gouvernement donne un avis favorable à ce qu’il soit indiqué dans les directives anticipées “le choix de sa fin de vie” ? (cf. vidéo) C’est ce que nous avons bien entendu : “son choix de fin de vie ?” “Son choix de fin de vie”, on sait ce que ça veut dire. On a eu des amendements qui étaient clairement de l’euthanasie, du suicide assisté. On ne va pas tourner autour du pot. »
Le député Dhuicq (UP, Aube) emboîte le pas et se lève à son tour : « Si j’entends l’amendement malgré son air anodin, le patient choisit la manière dont il va être tué. Il fait le choix du produit, de la dose, c’est ça ? On est bien dans une dérive, Mme le ministre, plus lourde que vous ne pensez. »
Le conciliateur Léonetti
Le député Léonetti, conciliant, essaie alors d’apaiser l’affaire qui s’envenime et admet que la juxtaposition des mots peut entraîner une ambiguïté. Rapprocher « choix » et « fin de vie », « donne l’impression qu’on va au-delà d’une directive anticipée pure dans le cadre législatif actuel »… Il confirme bien qu’il n’y a pas dans la proposition de loi « de choix dans toutes les possibilités de sa fin de vie ». Il demande que lors de la navette parlementaire, on trouve une formulation qui satisfasse tout le monde.
Le ministre Touraine amorce alors une retraite prudente : « Il me semblait que la formulation proposée n’entraînait pas de changement d’interprétation du texte. À partir du moment où il y a ambiguïté et que cette ambiguïté s’exprime, il me semble préférable de ne pas aller sur ce terrain. » Et de proposer une alternative, soit de ne pas adopter l’amendement, soit de le réécrire. « Il ne me paraît pas souhaitable que cette ambiguïté perdure ».
Marisol Touraine recule et cède
La présidente de séance intervient dans un souci de clarté : « Donc ? Quel avis ? » Marisol Touraine au risque alors d’avoir l’air de se contredire cède malgré tout un avis « défavorable » concluant qu’il n’est pas souhaitable que l’amendement soit adopté ainsi.
Résultat : l’amendement 693 est retiré. Le 691 n'est pas adopté malgré le passage en force de Sebaoun contre l'avis du gouvernement. Le 692, avec l'avis défavorable des rapporteurs et l'avis favorable du ministre, est adopté.
Que soit saluée la perspicacité de Xavier Breton. S’il était besoin de prouver la perversité de ceux qui veulent coûte que coûte avancer dans le sens des lobbies ADMD, cet épisode est à marquer d’une pierre blanche.
Il n’aura échappé à personne que la gauche tourne en rond dans son argumentaire de pseudo-progrès. Comme dans la bouche de Christiane Taubira concernant le « mariage pour tous », ou dans celle d’Emmanuel Macron pour le travail le dimanche, « créer de nouveaux droits » est une fois encore le maître-mot, ici pour les malades et les personnes en fin de vie.
Créer de nouveaux droits ? L’élément de langage fourre-tout, indigne, est usé jusqu’à la corde. En 2012, la gauche se voulait une gauche protectrice : qu’est-elle devenue sinon une gauche clairement transgressive ?
H.B.
Le commentaire du député des Yvelines, Jean-Frédéric Poisson [jfpoisson.fr] — « 1h45, fin de la séance de nuit sur la fin de vie. Au terme d'un débat rapide sur la proposition de loi Claeys-Léonetti, les difficultés du texte ne sont pas levées, et les risques de dérive euthanasique sont toujours présents. Seul point positif : la mobilisation des députés de l'opposition a empêché une majorité des députés de gauche présents dans l'hémicycle d'inscrire l'euthanasie dans la loi. Par 89 voix (dont une bonne cinquantaine de l'opposition) contre 70 (toutes de gauche) l'amendement [en faveur de l’assistance médicalisée active à mourir] a été rejeté après presque 1h30 de débat. Ça ne suffira pas à changer mon avis sur le texte. Dans la mesure où cette proposition de loi fait dire au gouvernement qu'elle est "une étape" (vers quoi ?), je voterai contre, conformément à ma première appréciation. Merci à ceux qui nous ont suivis et soutenus pendant cette séance. » |
En savoir plus :
Notre dossier "Le droit de la fin de vie"
Vidéo : l'analyse des députés présents à la manifestation de "Soulager mais pas tuer"
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