L’ombre d’Attali sur le Président du dimanche

Il se tient debout. Légèrement tourné, pas de face entièrement, il vous regarde souriant et sa personne de pied en cap vous scrute, vous lecteur d’un jour.  À moins que, pour une fois, ce ne soit vous qui le dévisagiez, lui l’homme secret, l’homme à la barbe blanche émergeant de l’ombre.

Jacques Attali fait la une de Libération cette semaine. Et quelle une ! Toute la page avale la photo de l’homme. Le titre claque dans une périphrase laconique : « L’autre président. »  La posture du personnage est en effet solennelle devant ce qui pourrait s’apparenter à une bibliothèque, comme ces portraits d’intérieurs des photos officielles de nos présidents. Sauf qu’en ce cas d’espèce, le fond est sombre, indéfinissable, énigmatique.

Libération ose. Son audace même étonne. Serait-ce un baroud d’honneur, un va-tout alors que les finances du quotidien libéral-libertaire sont à sec ? Attali en double du président de la République, qui eût cru pouvoir balancer pareille vérité ? Car la leçon n’est pas voilée : façon de dire sans détours que François Hollande n’est qu’un président fantoche et qu’aux commandes, il y a l’autre, c’est-à-dire le vrai président, celui qui ne change pas, déjà là sous François Mitterrand, sous Nicolas Sarkozy. Le président non élu, ou plutôt si, élu d’une autre façon, dans des cercles inaccessibles, œuvrant dans la tour d’ivoire des puissants, des éclairés et des initiés.

Pour qui a suivi le dossier du repos dominical, cette une tombe à pic, et parle.

Travail dominical : déjà à la manœuvre en 2008

Le début de ce dossier épineux, enjeu civilisationnel de société, se cristallise en 2008 avec la droite nouvellement au pouvoir et un Nicolas Sarkozy se détournant à peine élu de ses électeurs. Déjà loin le discours du Bourget ! Guaino peut aller se rhabiller et les grandes orgues vibrantes de la voix sociale française s’éteindre. Jacques Attali, l’ancien conseiller de François Mitterrand, est ainsi appelé et doit réunir une commission censée libérer la croissance. Pour cela, appel aux personnalités en vue, sans souci d’appartenance politique. Rapport à remettre. Rapporteur du texte… Emmanuel Macron. Au cœur de ces pages, les propositions 136 et 137 visant l’ouverture des magasins le dimanche, ont l’air noyées mais il n’en est rien.

Aussitôt écrit, aussitôt fait. Le député des Bouches-du-Rhône (UMP) Richard Mallié, est chargé de la mise en pratique du rapport et présente une proposition de loi. La bataille à l’Assemblée nationale et au Sénat fait rage, davantage que prévu. La gauche est vent debout et une partie de la droite se fissure déjà. Les frondeurs sont vite rappelés à l’ordre mais ont obtenu certains amendements. La libéralisation du dimanche n’est pas venue mais la cote mal taillée à laquelle la loi du travail le dimanche est arrivée génère des injustices et des inégalités entre secteurs qui ont des compensations et ceux qui n’en ont pas.

Les tenants du rapport Attali en seront pour leurs frais : contrairement à ce qu’avait titré Le Figaro, il n’y a pas eu réellement de feu vert au travail le dimanche en 2009. Cela dit, quatre millions de salariés travaillaient alors le dimanche. Aujourd’hui, en 2014, après la loi Mallié, ce sont six millions de salariés. Le grignotage a bel et bien commencé. C’est ce que Vincent Lecourt, avocat au barreau de Pontoise appelle, en tragique Cassandre que la réalité n’a jamais démentie, la politique des petits pas.

2014 : le retour du rapporteur

Nicolas Sarkozy battu, et François Hollande ayant défendu le principe du repos dominical pendant sa campagne, le calme semblait revenu en 2012.  Mais, c’était sans compter sur l’absence désespérante de croissance en 2014. Pour sortir de la nasse, un nouveau ministre de l’Économie est nommé, celui-là même qui ressort le rapport Attali. Sans vergogne. Oublié le ministre du Travail, oublié le ministre de la Justice, les ministres du Tourisme Laurent Fabius et de l’Économie Emmanuel Macron s’emparent du dossier du travail du dimanche et réactivent les propositions 136 et 137, sûrs qu’il y a dans le principe du repos dominical une liberté « de gauche » phagocytée par une « pensée magique » à désenchanter.

Comment faire sinon commencer par donner des assurances à Sephora, Fnac et autres grandes enseignes ? Cela fait partie du jeu trans-appartenance. Puis ouvrir les magasins des gares ; les dominos pourront continuer leur dégringolade inéluctable.

Le hold up du dimanche pour tous

Les lèvres sont pincées. L’œil gauche paraît plus grand que le droit. Le regard flotte dans un je-ne-sais-où cadenassé. Fermé et ouvert. Ouvert et fermé. Ambigu. L’« inusable architecte » peut afficher un sourire, il n’aura pas eu trop de mal à se donner. La gauche qui se drapait dans sa vertu en 2009 va bientôt rejoindre la droite libérale dans le hold-up du dimanche pour tous.

Les gens de droite ne le défendront toujours pas de peur d’être assimilés aux gens de gauche et aux méchants syndicats ! Les gens de gauche ne le défendront pas davantage puisqu’au nom d’une nouvelle liberté, une « liberté de gauche », ils peuvent sans remords et sans mauvaise conscience le laisser filer ! Dormez braves gens. L’ombre veille. H.B.

 

Sur ce sujet :
La tribune assassine de Martine Aubry dans Le Monde : « Le travail dominical est une régression »
Le rapport Attali (2008)

 

 

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