Au mois de janvier, pour trouver une solution juridique à un problème politique empoisonnant, le gouvernement a consulté le Conseil d'État sur l'interdiction du voile islamique intégral [1] en France. L'avis [2], rendu par l'assemblée générale plénière qui est la formation la plus solennelle du Conseil d'État, est tombé le 30 mars : L'interdiction générale et absolue du port du voile intégral en tant que tel ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable .

Voici les questions clés passées en revue :

  1. La laïcité ? Elle s'applique aux relations entre les collectivités publiques et les religions ; elle s'impose directement aux institutions publiques et aux agents publics dans l'exercice de leur mission, notamment à l'école ; en revanche elle ne saurait s'imposer aux individus et à l'ensemble de la société.
  2. La sauvegarde de la dignité de la personne humaine ? Ce principe fondamental comporte deux aspects qui sont susceptibles de s'opposer et qui se limitent mutuellement : l'exigence morale de sauvegarde de la dignité qui peut permet d'interdire des comportements dégradants, et le principe d'autonomie personnelle selon lequel chacun peut mener sa vie selon ses convictions et ses choix, y compris en se mettant en danger, dès lors que cette attitude ne porte pas atteinte à autrui. Ce second aspect est à rapprocher du caractère souvent volontaire du port du voile intégral.
  3. Le principe d'égalité entre les hommes et les femmes ? Tout aussi fondamental et opposable à autrui, ce principe ne peut cependant pas être opposé à la personne elle-même dans l'exercice de sa volonté propre.
  4. La sécurité publique ? Elle peut d'autant moins être invoquée en tant que fondement général et permanent d'une interdiction absolue qu'aucun trouble spécifique à la sécurité publique n'est associé au port du voile intégral.
  5. Sans parler de la fragilité d'une interdiction ciblée sur le voile intégral au regard du principe de non-discrimination, ni de la difficulté de son application.

 

Mauvaise conscience
On en revient toujours au même problème : notre société a mauvaise conscience pour n'avoir pas su, ou pas voulu, prendre à bras le corps la question de l'assimilation des immigrés alors que , de façon objective et pour beaucoup d'entre eux, elle est devenue aujourd'hui plus un repoussoir qu'un modèle (entre le voile intégral, le nu commercial et le quasi-nu encouragé par la mode, où est la dignité de la femme ?).
Mais c'est aussi les aigreurs d'un laïcisme sectaire d'autant plus vindicatif qu'il s'est fourvoyé dans une impasse.

Ces deux sentiments se combinent en se focalisant sur une question microscopique (quelques dizaines de cas, au pire quelques centaines, à l'échelle du pays) et qui s'est transformé en point de crispation.
A ce stade, le gouvernement n'a guère d'issue immédiate qui soit satisfaisante.
S'il passe outre l'avis du Conseil d'Etat et fait voter une loi d'interdiction générale, comme le demandent quelques parlementaires, il est quasi-certain d'encourir la censure du Conseil Constitutionnel. Après le camouflet subi sur la taxe carbone et la sanction du dernier scrutin, est-ce vraiment un risque à prendre ?
S'il habille un texte mi-chèvre-mi-chou d'un discours de pure communication politique, disant à nouveau plus qu'il ne fait et promettant ce qu'il ne tiendra pas, il n'aura plus le bénéfice du doute : la corde est trop usée et il ne dispose plus d'aucun crédit.
Il pourrait encore Sans doute finira-t-on par légiférer, mais de façon raisonnable, non plus sur la question du voile proprement dite mais sur celle qui se pose réellement, c'est-à-dire en exigeant que le visage soit découvert dans les lieux publics, notamment dans la rue, quand la sécurité et l'ordre publics l'exigent (par exemple pour accéder à certains lieux ou participer à certaines manifestations), ou lorsque l'identité ou l'âge d'un individu doivent être vérifiés (bureaux de vote, tribunaux, mairies, centres d'examen, etc.). Mais en étant conscient qu'une chose serait la loi, une autre son application, non pas aux femmes voilées mais à tous les délinquants masqués, ce qui sera autrement difficile.
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[1] Le voile intégral est celui qui cache le visage, c'est-à-dire la burqa d'Afghanistan avec son grillage devant les yeux, et le niqab qui ne laisse qu'une fente pour la vision. En revanche, la question ne concerne pas les hijab et autres tchador qui laissent l'ovale du visage à découvert.
[2] Le texte complet est disponible sur le site du Conseil d'État sous le titre : Étude relative aux possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral .
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