Le 18 novembre, la cour d'appel de Douai a renversé le jugement par lequel le tribunal de grande instance de Lille avait, le 1er avril dernier, annulé un mariage pour mensonge sur une liaison antérieure et la virginité de l'épouse [1].


L'arrêt invoque l'ordre public : En toute hypothèse, le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n'est pas un fondement valide pour l'annulation d'un mariage... Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité qui n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale. Et d'ajouter d'une part que la preuve du mensonge n'était pas apportée, d'autre part que le procès tel qu'engagé par le mari et le jugement rendu (par le TGI de Lille en première instance) sont susceptibles de mettre en jeu des principes d'ordre public .

En outre, la cour d'appel a refusé de prendre en considération l'acquiescement donné par l'épouse à l'annulation demandée par son mari, déclarant qu'il n'emporte aucune conséquence.

La justice s'est prononcée ; soit. L'opinion publique est contente : c'est ce que les politiques souhaitaient. Les juristes, eux, sont perplexes ; et avec eux, ceux qui s'efforcent de raison garder. Essayons de nous en expliquer.

L'ordre public menacé ?
Pour ne pas se méprendre sur les questions posées, il faut rappeler ce qu'avait jugé le TGI en première instance : l'épouse ayant eu une liaison antérieurement à son mariage et perdu sa virginité, mais l'époux ayant été tenu dans l'ignorance de ces faits, celui-ci a conclu le mariage sous l'emprise d'une erreur objective qui a été déterminante dans son consentement, alors que l'un et l'autre tenaient pour essentielles les qualités correspondantes qui faisaient défaut. Le tribunal avait déduit cette appréciation de l'acquiescement donné par l'épouse à la demande d'annulation formulée par son mari.

Les deux époux étaient satisfaits par le jugement ; c'est le Parquet qui a fait appel sur instruction du garde des Sceaux après le tollé médiatique dont on se souvient. D'où une première difficulté que la Cour devait surmonter, celle du fondement de cet appel.
Elle commence donc par déclarer que la requête de l'époux et la teneur du jugement étaient susceptibles de menacer l'ordre public (au sens juridique du terme) ; ce qui fait le jeu des auteurs du tintamarre médiatique, mais va conditionner la suite. Car la logique est alors implacable.

Retour au trompe qui peut ?
Les bien-pensants s'étaient focalisés sur la virginité , alors que le TGI y avait simplement vu un des éléments d'une appréciation d'ensemble dans laquelle la liaison antérieure de l'épouse avait aussi sa place. La cour d'appel va procéder à une série de requalifications qui laissent perplexe.

D'abord elle entreprend de définir a priori la notion de qualité essentielle , et le fait de façon négative : n'est pas telle la qualité dont l'absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale .

Depuis la modification du 2e alinéa de l'article 180 du Code civil par une loi de 1975, qui elle-même entérinait une jurisprudence bien établie, cette notion comporte nécessairement deux volets : un volet objectif d'appréciation de la qualité invoquée au regard des fins du mariage, et un volet subjectif qui se fonde sur ce que les époux eux-mêmes tiennent aussi pour essentiel et qui détermine leur consentement. Les deux étant liés, les tribunaux s'efforcent d'éviter les définitions a priori et se prononcent cas par cas en recherchant, moins ce que sera l'avenir de la relation matrimoniale, mais quelle a été la détermination du consentement.

La cour d'appel traite le premier volet de la question ; mais s'étant mise dans une logique d'ordre public , elle le fait en érigeant un principe dont la rédaction mérite une lecture attentive. Elle opère en deux temps : 1/ en toute hypothèse et tout particulièrement , la vie sentimentale antérieure et la virginité ne sont pas des qualités essentielles ; le mensonge à leur sujet n'est donc pas susceptible d'être invoqué à l'appui d'une demande d'annulation ; 2/ la virginité elle-même n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale (future) .

Pris en lui-même, ce deuxièmement constitue une évidence. C'était l'objet du tintamarre ; mais était-ce la question posée ? En se focalisant sur la virginité et en banalisant la liaison antérieure qui est requalifiée en vie sentimentale passée au caractère anodin, la Cour s'est donné les moyens juridiques de sa solution.

La rédaction du principe comporte une conséquence grave : si la qualité essentielle s'apprécie en fonction de son incidence sur la relation matrimoniale future, et dans la mesure où ce principe érige une barrière juridiquement infranchissable, le volet subjectif, c'est-à-dire le déterminant du consentement, est neutralisé : celui-ci ne s'apprécie plus en fonction de ce qui a mu les époux, ou de ce qui les aurait retenu, mais en fonction d'un futur (indéterminé par définition) dont l'appréciation appartient au juge. Au cas particulier, la Cour permet désormais à un fiancé de cacher son passé dans un domaine qui, précisément, intéresse la vie matrimoniale puisqu'il s'agit d'une éventuelle vie commune antérieure, sans que l'autre puisse en tirer argument. Retour au trompe qui peut ? Voilà un pas tout à fait important qui est franchi ; un pas en arrière.

Comment concilier désormais un tel principe avec la jurisprudence récente qui avait accueilli favorablement, par exemple, le fait d'avoir été divorcé ou de s'être adonné à la prostitution ? Quelle portée conserve encore la réforme de 1975 qui avait précisément introduit cette notion de qualité essentielle pour permettre au juge de vérifier que le consentement donné par les époux n'avait pas été vicié ?

Où est passée la question du consentement ?
En indiquant de façon seulement incidente et accessoire que la preuve du mensonge faisait défaut, alors même que la chose était tenue pour assurée, la cour d'appel renforce le caractère radical de son jugement. Puisque, par principe, la vie sentimentale antérieure et la virginité ne sont pas susceptibles de justifier une annulation, alors plus n'est besoin de s'interroger sur le prétendu mensonge et sur l'existence ou non d'un vice du consentement. Or ce vice constituait la véritable question, que le premier juge avait vue et à laquelle il avait répondu.

Il semble en effet, d'après ce qui est connu, que le consentement des deux époux était vicié, tant celui du mari (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) que celui de la femme dont il est notoire que le mariage avait été arrangé par la famille. Le Parquet et les avocats des deux parties avaient donc ouvert la porte à la Cour pour procéder à une substitution de motif qui eût permis de maintenir la solution. Or non seulement le mot ne figure même pas dans le jugement, mais la Cour a écarté comme sans conséquence l'acquiescement de l'épouse à la demande d'annulation.

En escamotant la question de la validité du consentement, la cour d'appel fait l'impasse sur le fondement même de l'acte de mariage : elle enferme à nouveau les époux dans une conception purement formelle et sociale de l'institution, qui fut celle de l'Ancien Régime et du Code Napoléon, à laquelle on ne peut souscrire.

Un déni de justice ?
Les conséquences de l'arrêt pour les intéressés sont au nombre de deux : 1/ d'abord le maintien du mariage, et donc de ses obligations au premier rang desquelles celle de la vie commune ! 2/ puis l'obligation de recourir au divorce ; donc de reprendre une procédure longue et coûteuse alors qu'ils étaient déjà devant le juge pour la même cause ; et sur quel fondement ? La faute ? Mais en ont-ils commise une pendant le mariage ? Le consentement mutuel ? On nage dans l'hypocrisie !

Objectivement, renvoyés ainsi à la case départ, les deux époux pourraient avoir le sentiment assez compréhensible de subir un déni de justice, sacrifiés qu'ils ont été à la fureur médiatique dont leur mariage a été, sans doute malgré eux, l'occasion.

Vient ici à l'esprit ce vieil adage du droit romain, hérité de Cicéron : summum jus, summa injuria (justice excessive devient injustice grave).

[1] Cet article fait suite à François de Lacoste Lareymondie, Tempête sur une annulation de mariage : la vérité du consentement menacée, Décryptage, 6 juin 2008 ; voir également Aude Mirkovic, Mariage annulé de Lille : la dimension objective de l'erreur, Décryptage, 4 juillet 2008.

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