Typhon Haiyan : Enfants du Mékong au coeur de la tourmente

Présents aux Philippines, Enfants du Mékong a vécu de l’intérieur la tragédie du typhon Haiyan. Nos jeunes Français sont magnifiques de courage, de maîtrise d’eux-mêmes, témoins de la pertinence de leurs actions sur place.

LE DRAME qui touche les Philippines est considérable. L’île de Samar et de Leyte ainsi que le sud de Luzon où nous avons nos programmes sont au cœur du sinistre.

Enfants du Mékong compte dix-sept Bambous aux Philippines, ces jeunes gens et jeunes filles engagés pour une année sur le terrain auprès des enfants parrainés. Cinquante-cinq programmes d’enfants ont été touchés. Notre école d’agriculture de Caterman sur l’île de Samar a été soufflée. Il n’en reste rien.

Dans l’immédiat, nous faisons le point village par village, avec nos responsables philippins. La moitié des jeunes que nous suivons et leurs familles ont été recensés. Le pointage se poursuit, mais plus on se rend à l’intérieur des îles, plus la situation est tragique et devient dangereuse car les gens n’ont plus de quoi se nourrir.

Aidez Enfants du Mékong aux Philippines

Après l’urgence, il y a la survie, retrouver un petit bateau pour pêcher (500 €), un tricycle pour faire le petit taxi (1000 €), une roulante pour proposer des repas de rue (250 €), manger un poulet (5 €)… un toit de tôle pour remettre sur la maison (80€) refaire une maison sommaire (1.000€).

Vous pouvez nous aider à aider nos enfants philippins et leurs familles en vous rendant sur le site d’Enfants du Mékong “Urgence Philippines”.

 Y. M.

 

 Typhon Haiyan : le témoignage de MariFé

MariFé est une assistante sociale de l’ONG Enfants du Mékong aux Philippines. Elle raconte les heures terribles du typhon Haiyan qu’elle a vécues auprès d’Emmanuel, le responsable des « bambous » présents sur l’archipel.

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EN ME RENDANT de Catarman à Tacloban, ce 7 novembre 2013, je racontais à Emmanuel que c’était ma première visite et que c’était également un rêve d’enfant de pouvoir voir le San Juanico Bridge, pont le plus long des Philippines.

En arrivant près du pont, nous nous disions que si nous ne trouvions pas de pension pour la nuit, nous resterions juste 24 heures et que j’achèterais mon plat préféré, le palabok (plat composé de couches successives de pâtes et de viande et crevettes), que je proposais de manger couche après couche jusqu’au lendemain. Nous avons bien ri, sachant que ça n’arriverait jamais.

En arrivant en ville, nous avons essayé de trouver un endroit pour dormir. Malheureusement tout était complet. Au neuvième hôtel, qui était aussi complet, le gardien nous envoya au Casa Anson et nous commanda même un tricycle.

Emmanuel se rendit à l’accueil pendant que je restais dans le tricycle, ce qui me permit d’échanger quelques mots avec notre chauffeur dont j’ai oublié de demander le nom. Il est conducteur de tricycle depuis sept ans et a deux filles qui sont infirmières à l’hôpital du Sacré-Cœur à Tacloban. Le chauffeur nous salua après s’être assuré que nous avions une chambre. Nous le remerciâmes de nous avoir conduits jusque là. Nous étions dans notre chambre à 23h.

Pendant la nuit, je n’arrivais pas à dormir. Non pas à cause du bruit qui venait du toit — nous étions au 4e étage — mais parce que j’essayais d’imaginer le pire scenario pour le lendemain et les différentes stratégies que je pourrais mettre en place. J’ai reçu un texto de ma mère à minuit me disant que le typhon serait sur Tacloban à 4h.

J’étais couchée dans mon lit écoutant la radio locale jusqu'à 3h. Je suis sortie de ma chambre juste pour voir quel temps il faisait et déjà le vent commençait à souffler. Je suis retournée dans ma chambre me préparer et ranger mes affaires.

Le vent soufflait de plus en plus fort

A 5h30, le 8 novembre, j’appelais ma mère à Dumaguete pour dire que nous étions à l’abri. Je sentais que ma mère était très inquiète pour nous, mais essayait de cacher son inquiétude du mieux qu’elle pouvait, et certainement s’est-elle mise à pleurer une fois que nous avions raccroché. Je l’ai assurée que je ne mourrai jamais dans un désastre comme celui-ci car je sais que mon Dieu est plus grand que n’importe quel désastre que la terre peut subir, et lui promis de la tenir au courant régulièrement. Pendant ce temps le vent se mit à souffler de plus en plus fort et il commença  à pleuvoir. Le toit et le grenier se mirent à trembler ainsi que les vitres.

Au début, j’hésitais à réveiller Emmanuel car je savais qu’il était fatigué. Mais quand le vent devint plus violent, je décidai de le réveiller pour qu’il puisse se préparer et que l’on se déplace vers un endroit plus sûr. Nous sommes sortis un moment de la chambre lorsque nous entendîmes un bruit sourd : il y avait de l’eau qui sortait de la pièce où nous étions. Nous décidons donc de nous rendre au rez-de-chaussée en passant au milieu des vitres brisées, des débris tombant de partout sur un sol glissant.

Arrivés en bas, nous voyons des tricycles, voitures et camions se déplaçant à grande vitesse sans conducteur au volant !

L’eau continuait à monter

Nous nous précipitâmes pour trouver une chambre libre où nous pourrions nous réfugier avec le gardien de l’hôtel. Une fois dans la pièce, le gardien me dit qu’il avait vu de l’eau qui rentrait lentement dans l’hôtel. En sortant, je vis soudain une vague de 30 cm envahissant le premier étage. Avec Emmanuel, nous nous sommes précipités pour  frapper à toutes les portes du rez-de-chaussée pour sauver les clients puis nous nous sommes précipités au deuxième étage. On ne savait pas qu’il y avait une centaine de personnes au rez-de-chaussée, des enfants, des personnes malades ou âgées. Une fois que tout le monde fut au second, en cinq minutes le rez-de-chaussée fut inondé. L’eau continuant à monter, nous grimpâmes jusqu’au troisième étage.

Mais là, nous tombons sur les clients du quatrième étage qui se ruaient en bas avant que les chambres soient totalement détruites.

Pendant qu’Emmanuel surveillait la montée de l’eau, je conduisis des clients dans le salon. Il y avait plus d’enfants et de personnes âgées que d’adultes. Je rencontrai Bernard qui était tellement terrifié qu’il ne me quitta pas pendant que je caressais la tête des enfants et que je rassurais tout le monde en leur assurant qu’ils étaient en sécurité dans cette pièce. Comme nous, Bernard était ici pour raison professionnelle.

Quand le niveau d’eau fut lentement descendu d’un mètre, Emmanuel nous a rejoints. Nous avons pu parler de la situation. Il me demanda ce que j’avais vu, je lui répondis qu’il y avait trop d’enfants, de malades et de personnes âgées et qu’il n’y avait pas assez d’adultes pour les porter tous si l’eau montait encore.

Ses yeux étaient rouges

Comme je regardais Emmanuel, je vis que ses yeux étaient rouges et lui demandais s’il pleurait. Il me sourit et me dit qu’il avait un rhume à cause du temps. J’acquiesçai et souris car je savais que pour la première fois depuis que je l’ai rejoint en octobre au bureau philippin d’Enfants du Mékong, il ne me disait pas la vérité. J’ai compris qu’il ne voulait pas que je m’inquiète encore plus.

Sans qu’on ait le temps de s’en rendre compte, il était 15h et nous n’avions rien mangé. Chacun était en train de manger son repas mais Emmanuel, Bernard et moi-même n’avions rien. Je n’avais que moins d’un demi-litre d’eau que j’avais rapporté du centre de Catarman ; nous l’avons partagé. Soudain, Loreta nous a rejoints avec sa fille de neuf mois, et nous raconta sa terreur lorsque les chambres du quatrième ont été détruites. Elle nous donna un petit paquet de gâteaux que nous avons partagés.

Puis, nous avons vu un homme rapportant de la Junk food. Emmanuel lui demanda où il avait trouvé cette nourriture. Il décida d’aller au rez-de-chaussée même s’il y avait encore de l’eau. Emmanuel est revenu 20 minutes après avec trois sachets de Junk food. Les sachets étaient couverts de boue que nous avons ôtée avec l’eau de pluie. Nous étions ravis de manger et de partager cette nourriture avec Loreta et sa famille comme si tout venait de l’épicerie. Nous avons remercié le Ciel que, malgré la situation, nous ayons pu manger et partager ce que nous avions.

Elle avait perdu son jouet

Il était presque la nuit quand une enfant d’à peu près sept ans m’a demandé si je pouvais l’aider à retrouver son jouet  favori qu’elle avait laissé dans le noir au troisième. Je l’ai retrouvé et lui ai donné. Elle m’a remercié de lui avoir sauvé la vie et retrouvé son jouet. Je ne me souvenais plus très bien de ce qu’elle me racontait.

Elle me dit qu’elle était la même petite fille que j’avais portée au deuxième étage, quand j’ai vu qu’elle pleurait parce qu’elle avait de l’eau jusqu’ aux genoux et qu’elle ne retrouvait pas sa famille. J’ai souri et l’ai embrassée en lui disant d’être toujours gentille avec tous les gens qu’elle allait rencontrer dans sa vie. Je suis allé dans la pièce sombre et me suis mise à pleurer pour la première fois depuis le début du désastre.

Quand j’ai rejoint Bernard, je l’ai vu pleuré avec une assiette dans la main à moitié pleine de riz et d’un quart de boite de sardines. Il me dit qu’une jeune fille que nous avions rencontré tout à l’heure et qui avait vu que nous n’avions eu ni déjeuner ni dîner, lui avait donné la nourriture que sa famille avait préparé avant le typhon. Nous avons partagé avec joie ce repas.

L’aéroport est dévasté

A 20h, Emmanuel m’a demandé s’il était possible de rejoindre Cebu dimanche. Je lui ai répondu que je n’avais aucun doute que nous y serions le lendemain après-midi. Il a acquiescé et m’a demandé comment. Je lui ai répondu que nous irions à l’aéroport et que nous attendrions un vol pour Cébu. Bernard nous dit que l’aéroport était dévasté et a suggéré que nous restions en sécurité dans l’hôtel.

J’ai informé Emmanuel qu’il y avait un protocole mis en place et que dans 24h des secours d’urgence allaient être apportés par avion dans le secteur. Nous avons donc décidé de nous rendre à l’aéroport le lendemain. Avant de m’endormir, j’ai vu quelques étoiles dans le ciel alors que je cherchais une chanson qui pourrait coller avec ce que nous avions vécu : The Journey par Léa Salonga.

Rechercher une chanson, c’est ma façon de mettre un point final à cette expérience inhabituelle. Je dormis trois heures en prévision des longues heures de marche qui nous attendent certainement si je veux suivre Emmanuel.

A 5h du matin le 9 novembre, Loreta nous a proposé d’aller au bureau de son mari pour manger quelque chose et nous reposer. On a quitté Casa Anson à 5h30 du matin avec la terreur de voir les vrais dégâts causés par la catastrophe.

En allant au bureau, nous avons vu des écoles, des maisons et des bâtiments totalement détruits. Beaucoup de gens essayaient d’entrer dans les épiceries pour trouver de la nourriture. Quand nous sommes arrivés au bureau, on nous a invités à partager le repas ; ils avaient trouvé un congélateur plein de nourriture qui pouvait nous faire tenir deux ou trois semaines. Après le petit déjeuner, le mari de Loreta a décidé d’aller au centre commercial pour trouver de la nourriture avec Emmanuel.

Ils sont rentrés avec beaucoup de nourriture. Nous avons pris six boîtes de jus d’ananas et une boite de biscuit pour notre voyage et avons laissé le reste à la famille de Loreta. Nous avons remercié la famille et sommes partis en espérant pouvoir les aider ainsi que la population de Tacloban city.

Je comptais les morts

En marchant nous nous sommes rendus compte que tous les hôtels où nous avions été la nuit précédente avaient été détruits et il y avait de nombreux blessés.

Les maisons légères avaient disparu de la carte. Les maisons en dur étaient écroulées et il ne restait que des débris ; même les grands bâtiments n’avaient pas été épargnés.

En marchant nous avons vu des familles qui cherchaient de la nourriture et d’autres qui cherchaient leur famille. Les maisons étaient pillées pour trouver de la nourriture, les hôpitaux étaient endommagés, les pharmacies n’avaient plus de médicaments et même les pharmaciens étaient blessés. Nous avons vu l’Astro Dôme où plus de 2 000 personnes avaient été évacuées avant le typhon : l’eau avait atteint la moitié du bâtiment.

Emmanuel marchait devant nous et chaque fois qu’il voyait un mort étendu dans la rue, il nous disait de ne pas regarder dans cette direction. Je ne pouvais m’empêcher de regarder et de compter le nombre de morts que j’avais vus. J’en ai compté 60, surtout des enfants, avant d’atteindre le building Coca Cola. J’ai arrêté de compter quand nous sommes passés devant un endroit où l’eau avait tout dévasté y compris les poteaux électriques. Un passant nous dit que vivait là une communauté de nombreuses personnes et il ne savait pas si tous avait pu rejoindre le centre d’évacuation.

En arrivant vers le building Coca Cola, il y avait toujours 30 cm d’eau dans la rue et un nombre incalculable de bouteilles cassées qui pouvaient nous blesser si nous ne faisions pas attention. En marchant vers le quartier San José, qui était la partie la plus touchée de Tacloban, on a vu les pelleteuses nettoyer les rues pour laisser passer les véhicules militaires. On nous dit que San José est le quartier riche de Tacloban.

Il y avait des hôtels particuliers et des maisons en dur, mais à notre surprise, ces maisons étaient endommagées et dangereuses. Nous avons dû grimper sur des arbres, des câbles couchés et des débris pour continuer notre chemin. Comme nous étions à quelques kilomètres de l’aéroport, nous avons vu un avion C130 atterrir. Nous avons couru vers l’aéroport. Nous sommes arrivés au moment où les soldats déchargeaient l’avion. Ils ont juste vérifié nos sacs, pris nos noms et nous avons été parmi les 30 premiers survivants conduits à la base de Cébu. Nous avons atterri Cébu à 11h33 le 9 novembre 2013.

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Quelle expérience pourrait être plus traumatisante pour EDM-Philippines que ces deux jours à Tacloban pendant le typhon Haiyan ?

Emmanuel et moi, nous sommes rendus compte qu’à cet instant de notre vie, nous avons été victimes d’une catastrophe et que nous avons fait de notre mieux pour aider les autres comme Enfants du Mékong nous l’a enseigné quand nous avons accepté cette mission.

M.

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