Sœur Emmanuelle, Mère Térésa, Lady Diana, trois femmes, trois figures médiatiques. Pourquoi cette fascination ? A l'occasion du décès de la sœur des chiffonniers du Caire, un étudiant en philosophie nous fait parvenir ce billet.

 

 

LE 22 OCTOBRE 2008, sœur Emmanuelle était enterrée à Caillan dans le Var, au sein de sa communauté. Le lendemain, à Notre-Dame de Paris, la nation rendait hommage à la petite sœur des chiffonniers . De nombreuses personnalités politiques et une importante foule étaient présentes.

 


Le 6 septembre 1997, c'était l'enterrement de Diana à l'abbaye de Westminster. La cérémonie rassemblait environ trois millions de personnes à Londres. Des millions de bouquets de fleurs étaient déposés à son ancienne résidence. Elton John lui rendait un vibrant hommage en interprétant Candle in The Wind.

 


Quelques jours auparavant, le monde entier pleurait la mort de mère Térésa. Des foules immenses de toutes confessions, accompagnaient le deuil des petites sœurs de la charité. Deux jours de deuil national étaient déclarés en Inde. Partout sur la Terre on clamait la sainteté de la petite mère des pauvres. Le pape Jean Paul II, extrêmement ému par la mort de sa très chère sœur , déclarait : C'était un exemple pour tous, croyants et non-croyants. Sa figure si menue vit dans nos cœurs, figure animée de l'énergie de l'amour du Christ.

 


Trois femmes, trois histoires, trois destins. Une réaction unanime. Une compassion universelle. Une admiration sans bornes. Ne reconnaît-on donc les grands hommes qu'à titre posthume? Pourquoi de telles figures fascinent, obsèdent, suscitent cette admiration ?

 

 

 

On a toujours besoin de repères auxquels s'attacher dans un monde qui semble trop souvent privé de repères. Parfois, surgissent de la nuit quelques visages qui éclairent et guident. Ces visages sécurisent, inspirent, montrent une voie. A voir les œuvres accomplies par ces femmes hors du commun , on éprouve une immense admiration. Mais cette admiration est à double tranchant, quelque chose dépasse et attire dans le même temps.

 


Peut être aspire-t-on à faire quelque chose d'aussi grand, et pensant ne pas disposer de moyens suffisants renonce-t-on. Peut être est-on parfois même jaloux d'un tel rayonnement. Toute jalousie a sa source dans une fascination originelle.

 


En s'en tenant à de telles interprétations, on fait de mère Teresa, de Lady Di, de sœur Emmanuelle des figures héroïques, à la limite de l'épique, des géantes capables de soulever des montagnes. Certains médias ne font rien pour atténuer cette vision. Que font-ils sinon instrumentaliser ces figures ? Certaines personnalités n'en font pas moins, en se bousculant pour se confondre en hommages, en revendiquant une rencontre, un regard, une phrase... Que font-ils sinon s'attribuer un mérite qui ne leur revient pas ?

 


Mieux que l'héroïsme, il y a l'humanité. C'est d'elle que naît le véritable héroïsme qui est d'affronter sa condition, de la transcender. Dire que la souffrance est révélatrice de la condition humaine n'a rien de novateur. Dire que la souffrance humanise aux yeux du monde, pas plus.

 

Mère Teresa passa une bonne partie de sa vie dans la nuit de la foi , avec cette conviction d'être séparée de celui qu'elle chérissait plus que tout. Sœur Emmanuelle dut attendre près de quarante ans, surmonter nombre d'erreurs, de dépressions et de déceptions, avant de partir en Egypte pour faire quelque chose de conforme à son désir. Dans une moindre mesure, Diana a dû assumer un rôle pour lequel elle n'était pas préparée, dans un monde qui n'était pas le sien...

 

Ce serait absurde de mettre ces trois figures sous un même rapport. Il suffit de montrer qu'elles n'étaient pas des sur-femmes , mais profondément humaines et faisant quotidiennement cette expérience de la souffrance. Humanité allant de pair avec fécondité.

 

Cette humanité ne limite donc pas, elle crée des liens. Elle n'enferme pas, elle ouvre à ceux qui font la même expérience. Par cette proximité, par cette ouverture, par cette compréhension, quiconque peut agir efficacement et durablement.

 

Agir efficacement et durablement, oui. Mais peut-être pas de la manière dont on l'imagine. Nietzsche écrivait dans Ainsi parlait Zarathoustra : On paie mal un maître en n'en restant toujours que l'élève (...) Vous me vénérez ? Mais qu'arrivera-t-il si votre vénération, un jour, tombe et se renverse ? Méfiez vous de ne pas vous faire écraser par une statue ! (...) Vous ne vous étiez pas encore cherchés : alors vous m'avez trouvé. (...) Maintenant, je vous ordonne de me perdre et de vous trouver; et ce n'est que quand vous m'aurez tous renié, que je veux revenir parmi vous.

Se perdre pour mieux se trouver, se trouver pour mieux rayonner, rayonner pour mieux les retrouver.

 

 

 

Ambroise Raymond

 

Etudiant en 3e année de Philosophie (FLPPC)