Chaque nouveau film de Woody Allen est un mini événement. On se demande toujours ce que nous réserve le grand cinéaste américain, qui officie depuis plus de quarante ans sur les plateaux.

Son dernier petit bijou , Vicky Cristina Barcelona, a séduit les critiques comme le public. Le Figaro, le Parisien, Télérama n'ont pas tari d'éloges : une comédie survoltée , un immense bonheur , une petite merveille . Les salles n'ont pas désempli la première semaine. Le film caracole, aujourd'hui encore, en tête du box office. Chronique d'un succès annoncé, celui de l'énième film d'un cinéaste légendaire ? ou chronique d'une décomposition annoncée, celle de l'esprit critique du grand public ?

Vicky et Cristina sont les deux meilleures amies du monde, elles s'entendent à merveille sur tout, si ce n'est sur les choses de l'amour. Elles passent leur été à Barcelone. Vicky (Rebecca Hall) est fiancée, bientôt mariée. Cristina (Scarlett Johansson) est nihiliste, à la recherche de toutes expériences susceptibles de combler son vide intérieur, et pouvant lui faire oublier des échecs accumulés.

Un soir, lors d'une exposition dans une galerie d'art, les deux amies font la rencontre du peintre Juan Antonio (Javier Bardem). Il sort d'une liaison très tumultueuse avec l'ex-femme de sa vie, Maria Elena (Pénélope Cruz). Cristina est fascinée par le caractère ombrageux et torturé de l'artiste. Celui-ci propose aux deux amies de l'accompagner pendant un week-end à Oviedo, on mangera bien, on boira du bon vin, on fera l'amour... Cristina, séduite par le projet, se heurte dans un premier temps au refus catégorique de Vicky. Cette dernière finit par accepter, se jurant de ne pas céder aux insistances du peintre. Le week-end prend une tournure inattendue...

Et nous voilà embarqués en plein cœur d'un tourbillon d'amourettes où les personnages se livrent à un petit jeu de chaises musicales, avec en prime l'arrivée du futur mari de Vicky à Barcelone et le retour de Maria Elena. Cette dernière, après une tentative de suicide, est décidée à revenir vers son ancien compagnon. Celui-ci l'aime encore, seulement voilà, il vit désormais avec Cristina.

Du Woody grand cru : drôle, léger, sexy, bien joué, bien réalisé. Comme d'habitude donc, ... pour notre plus grand malheur à tous.

Si la vie n'a aucun sens...
Un cinéaste a toujours quelque chose à dire. Mais qu'est ce que Woody a encore à dire ? Que l'amour est un mélange entre comédie et tragédie, on le sait depuis longtemps. Que toute forme de sexualité est bonne tant qu'on y prend du plaisir, pourquoi pas ? Vicky, Cristina, Barcelona n'échappe pas à ces poncifs.

On peut résumer la morale du film par cette tirade de Juan Antonio : Pourquoi rejeter ma proposition, la vie n'a aucun sens, la vie est souffrance, la vie est cruelle ? Et alors ? Et alors, voilà. C'est tout. Rideau. Vicky va s'enterrer avec son mari à New York, Cristina repart, insatisfaite, en quête de son absolu qu'elle n'atteindra jamais. Tout au long du film, Juan Antonio entraîne les autres personnages dans une lente descente aux enfers... Et c'est là que réside tout le problème, rien ne peut freiner cette catabase.

Nous sommes condamnés à vivre donc. On croirait entendre Cohélet dans l'Ecclésiaste : J'eu de l'aversion pour tout ce qui se passe sous le soleil, voyant que tout est vanité et pâture du vent. Baudelaire écrivait dans son poème le Voyage extrait des Fleurs du Mal : [...] plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau . Un désir inassouvi de nouveauté peut mener loin...

On peut pourtant trouver du nouveau, sans avoir à plonger au fond du gouffre . On peut commencer par ne pas aller voir Vicky, Cristina, Barcelona, et se dire que la grande période de Woody Allen, celle de la Rose Pourpre du Caire, de Zellig, de Manhattan, de Guerre et Amour, etc., bien que révolue, a bel et bien existé.