Il ne faut pas manquer le film "Tabarly". Produit par Jacques Perrin, dont on sait le goût sûr et le talent cinématographique, ce documentaire paraît à l'occasion du dixième anniversaire de la disparition tragique du plus grand navigateur moderne.

Il en comblera plus d'un : épique et sobre à la fois, une narration magnifique, entre rythme des courses et pauses à terre. L'enfant qui voulait devenir amiral, le pilote qui devint officier de marine, l'ancien d'Indochine, lui, le pudique, fait découvrir et entendre de sa propre voix, grâce à un montage formidable, une vie intense, une vie de rêve , celle de navigateur à la voile.

La vérité de cette vie éclate à chaque image, à chaque plan. L'homme extraordinaire se révèle ainsi dans son obstination payante, sa volonté hors norme, son endurance exceptionnelle. Ceux qui comme moi, depuis leur jeunesse, ont suivi avec passion Éric Tabarly, et ils sont nombreux, auront beaucoup de plaisir à renouer avec les différentes époques et étapes qui défilent sous leurs yeux.

Chacun vibre à tel ou tel épisode, mais pour nombre de spectateurs ce sera évidemment la victoire de la Transat en 1976 sur Pen Duick VI qui restera le moment attendu : nouvel Ulysse réchappant de la tempête, celui qui ne donnait plus signe de vie, qu'on croyait avalé dans les vents mauvais, surgit de la brume sans crier gare à Newport, battant de deux heures Alain Colas et son monstre de quatre mâts Club Méditerranée. Moment d'exception que le triomphe humble du marin solitaire, qui n'a pas renoncé malgré la casse !

Drôle à chaque fois également, le décalage des journalistes qui ne savent pas questionner l'homme aux qualités rares, l'homme vrai, l'homme libre qui chérit les bateaux. Il leur renvoyait un tel poids de vérité qu'ils apparaissent toujours décontenancés jusqu'à en devenir bêtes dans leurs questions. On revoit avec bonheur une séquence d'Apostrophes : Bernard Pivot essaie tant bien que mal de se dépêtrer dans une interview difficile, aux prises avec cet invité improbable qui avoue ne pas aimer communiquer ! Rien de plus opposés, en effet, que le plateau de télévision et le pont d'un bateau !

Les bateaux

Inhérents justement à la vie de Tabarly, les bateaux, des bateaux mythiques auxquels le film fait la part belle : l'on apprend d'ailleurs que les Pen Duick – il y en eut sept ¬— le Paul Ricard, véritables mythes désormais, l'intéressent plus que la mer elle-même. Il y met toute son énergie, toutes ses économies toute son intelligence d'ingénieur. Ce n'est pas trop de dire qu'il invente la voile moderne, tout en regrettant dans le même temps que les multicoques ne soient pas aussi beaux que les monocoques, aussi élégants que son premier Pen Duick.

Pen Duick a tout de la légende : sa ligne parfaite, son bois et ses vernis étincelants, sa voilure immaculée ; sa coque noire et blanche surtout, entièrement moulée ensuite pour la version III dans un matériau léger, coque que les mains de Tabarly ont bâtie, poncée jusqu'à la douleur. Ses avant-bras avaient doublé de volume, confie-t-il. Pen Duick c'est aussi une mésange , littéralement petite tête noire en breton, le nom d'un oiseau : il travaillera à un bateau de course qui, de fait, volera sur l'eau : l'hydroptère.

De l'Odet, petite rivière en Bretagne, aux vastes océans du monde, de la Trinité-sur-Mer à Plymouth, ou encore New York du temps de ses Twins, Sydney, nous voilà conviés au spectacle d'une vie-voyage, d'un voyage qui s'est fait vie fantastique. L'anniversaire des cent ans de Pen Duick montrera, s'il en était besoin, à quel point Éric Tabarly n'était pas l'ours que bien souvent les médias renvoyaient : bien nombreux furent les amis et les coéquipiers qui ont répondu présents à l'invitation peu ordinaire de la fête du bateau-ami de toute une vie.

La marée n'attend pas

Qui était en fin de compte Éric Tabarly ? Un modèle que les jeunes devraient absolument connaître. Ces minutes précieuses de cinéma essaient d'explorer un héros du XXe siècle, ni superman ni surhomme, rétif aux messages, un homme ouvert au réel : un homme qui décidait de ne pas parler pour ne rien dire , un homme qui pouvait toujours, un homme qui aimait les courses avec les autres mais pas forcément les records personnels, un homme qui ne s'arrêtait pas sur lui-même et ses sentiments, un homme d'action, un homme parfaitement finalisé et qui anticipait sans cesse sur la manœuvre à faire. Il osait tout, y compris décliner une invitation à l'Élysée en expliquant à De Gaulle que la marée n'attendait pas. Citius, altius, fortius (plus vite, plus haut, plus fort) la devise olympique était faite sur mesure pour lui.

Dans une vision épicurienne, les Anciens ont parfois représenté la mort comme un plongeon. À Paestum, une tombe l'atteste. L'ironique trou dans l'eau de la fin en fut effectivement un. Gageons que cette dernière traversée en solitaire aura été une victoire de plus, et espérons, la plus belle d'entre elles.

Tabarly ? Le coureur des mers...

Le Breton qui savait faire gagner la France !

■ TABARLY

Un film de Pierre Marcel, produit par Jacques Perrin

Musique Yann Tiersen

http://www.tabarly-lefilm.com/

■ Au 29 juin se donne encore à Paris :

Gaumont Opéra Français

Le Balzac

L'Entrepôt

Les Montparnos

Majestic Bastille

MK2 Hautefeuille

Photo : Bernard Deguy, Pathé distributions.

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