Après cinq ans de guerre civile, la Syrie aiguise toujours les appétits internationaux des donneurs de leçon. Une politique digne de la France cesserait de prendre parti pour des factions, mais protégerait l’ensemble du peuple syrien pour qu’il puisse souverainement préserver ses intérêts.
LES ELECTIONS départementales ont dominé l’actualité politique de cette semaine. J’étais tenté de leur apporter ma part de commentaires (après tout j’ai un peu d’expertise en la matière) lorsque mon attention a été attirée par un autre évènement, qui a été fort peu remarqué : la guerre de Syrie entre dans sa cinquième année. Je suis obligé de choisir la Syrie. Le supplice qu’elle endure est pour moi, comme pour beaucoup de Français, une hantise.
Que pouvons-nous faire pour montrer notre solidarité ? Les actions charitables, comme celles de l’œuvre d’Orient, soulagent quelques misères. Mais elles sont incapables de mettre un terme au conflit, qui est de nature politique. C’est donc sur le plan politique que nous devons essayer de peser. Notre pays a-t-il encore assez de force et d’influence pour y prendre une part déterminante ? Et sous quelle forme ? C’est ce que je veux examiner.
Le médiocre plan français
Notre gouvernement s’est fixé une ligne de conduite que Laurent Fabius vient de rappeler : il veut d’abord arracher l’abdication de Bachar-El-Assad. Le dictateur de Damas, « boucher de son propre peuple » (l’expression est de Manuel Valls), est indigne de demeurer à la tête de l’État syrien. L’y laisser ne serait pas seulement une faute morale.
Notre ministre des Affaires étrangères y voit aussi une erreur politique : « Le remettre en selle serait un cadeau scandaleux, gigantesque aux terroristes de Daesch. » Pourquoi ? Parce que « des millions — je dis bien des millions — de Syriens qui ont été persécutés par lui, se reporteraient (sic) pour soutenir Daesch. C’est évidemment ce qu’il faut éviter ». Une fois le tyran abattu, tout deviendra aisé : il suffira d’organiser « une transition politique qui préserve les institutions du régime et intègre l’opposition ». L’apaisement viendra aussitôt. Tel est le plan « raisonnable et réaliste » auquel notre gouvernement donne ses efforts.
Il est tentant de rappeler qu’en fait de réalisme, notre gouvernement s’est trompé dans toutes ses prévisions passées. Mais ne nous arrêtons pas à cette critique facile. Essayons d’analyser chacune des étapes de son plan. J’y discerne non pas un cheminement vers la paix mais un mélange confus d’interventionnisme brutal et de manœuvres médiocres qui conduisent à davantage de violence et de misère. L’influence et la force de la France sont, je le crois, mises au service d’une politique détestable.
Arrogance impériale
Commençons par l’éviction de Bachar-El-Assad. Nos dirigeants la justifient par les crimes affreux dont « le boucher de Damas » se serait rendu coupable. Les jugements moraux ne sont pas interdits en politique étrangère mais ils doivent être pesés avec beaucoup de circonspection. Les guerres civiles sont toujours cruelles et il est sans exemple qu’un camp en ait le monopole, même si une propagande habile n’a pas de mal à égarer les opinions publiques étrangères.
Les conflits yougoslaves ont été présentés à l’Occident comme une suite de massacres exécutés par la soldatesque serbe contre d’innocentes populations bosniaques puis kosovares. Les enquêtes minutieuses et impartiales menées ensuite par le Tribunal pénal international ont prouvé que plusieurs des accusations portées contre les Serbes étaient infondées et que leurs adversaires avaient eux aussi les mains sales.
Nous ignorons la vérité sur les abus commis en Syrie. La meilleure façon de le savoir, c’est de remettre les dossiers réunis par notre gouvernement à ce même Tribunal international, qui a été mandaté, par une convention dont la France est signataire, pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. François Hollande aurait été bien inspiré de le faire, par exemple, lorsqu’en 2013, une attaque au gaz sarin a tué des civils innocents près de Damas. Il a préféré désigner précipitamment Bachar-El-Assad à la vindicte publique, sans apporter aucune preuve de sa culpabilité, et ordonner une « sanction » militaire sous forme de bombardements.
Fort heureusement, Obama a empêché la « punition » promise en lui refusant le soutien de la puissance américaine. Reste le souvenir pénible d’un gouvernement français qui, s’élevant au dessus de toutes les conventions internationales, s’érige en juge d’un chef d’État étranger, le condamne et entreprend d’exécuter sa propre sentence. Comment qualifier cette manière de faire sinon une insupportable arrogance ?
Le chef d’État d’un peuple souverain
On peut en dire autant en examinant l’éviction de Bachar-El-Assad sur le plan politique. À nouveau, de quel droit notre gouvernement exige-t-il le départ d’un chef d’État étranger ? Un principe constant de notre politique étrangère est celui de la souveraineté de chaque nation. Il appartient au peuple syrien et à lui seul de renvoyer ou non son Président. On m’objectera que la guerre civile empêche les citoyens d’exprimer leur volonté. Notre devoir est d’agir en sorte qu’ils soient capables de le faire le plus vite possible mais certainement pas de nous substituer à eux.
Tout ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est que Bachar-El-Assad n’est pas le tyran isolé et acculé que Manuel Valls nous dépeint. Il est soutenu par des millions de ses concitoyens. Quatre ans de conflit l’ont prouvé. Il serait prudent de tenir compte de cette réalité.
La superbe de nos dirigeants va jusqu’à leur faire croire que leur manière de faire les met à l’abri des déboires auxquelles ont conduit les deux précédentes ingérences occidentales dans les affaires de l’Orient.
Le remède pire que le mal
George Bush et Tony Blair avaient proclamé, en leur temps, que la chute du « bourreau de Bagdad » suffirait à faire fleurir la démocratie sur les rives de l’Euphrate et ils avaient chassé Saddam Hussein du pouvoir. Nicolas Sarkozy et David Cameron ont bombardé et fait tuer Kadhafi en tenant le même raisonnement. Comme nous le savons, les expéditions « humanitaires » d’Irak et de Libye, loin de faire éclore la liberté, ont semé les germes de l’anarchie, la violence et l’extrémisme.
La révocation de Bachar-El-Assad n’aurait-elle pas les mêmes conséquences, c’est-à-dire une violence encore pire que celle d’aujourd’hui ? François Hollande est certain du contraire. Son inébranlable confiance en lui-même repose sur une subtile modification dans la politique d’ingérence occidentale. Laurent Fabius l’a exprimée dans sa dernière déclaration publique : après le renversement de Bachar-El-Assad, nous organiserons « une transition politique qui préserve les institutions du régime et intègre l’opposition ».
En termes clairs, nos dirigeants pensent éviter les fiascos d’Irak et de Libye en épargnant le corps des officiers et la haute fonction publique qui servent aujourd’hui l’État présidé par le « boucher de Damas », parce que l’un et l’autre sont des piliers de la laïcité et les seuls barrages efficaces aux débordements islamistes. On leur demanderait seulement « d’intégrer » des représentants de l’opposition. Notre gouvernement ne se risque pas à préciser les modalités d’une opération aussi hasardeuse.
Un clan contre un autre
C’est alors que notre diplomatie passe de l’arrogance impériale à la médiocrité. Qu’entend-elle en effet par « l’opposition » ? Les insurgés étant irrémédiablement divisés, voire adversaires les uns des autres, il est impossible de les « intégrer » tous. François Hollande met tous ses espoirs dans une faction, dite démocratique. Il lui a fait deux magnifiques cadeaux : il a proclamé qu’elle représentait légitimement tout le peuple syrien et il lui a livré des armes.
En réalité, le collectif qu’il honore de son indéfectible soutien est une nébuleuse de groupuscules mal organisés qui ne tiennent que des lambeaux du territoire national. Aux yeux de la population, les clients de notre Président forment un clan parmi d’autres. Il n’a pas plus de popularité que ceux financés et armés par le Qatar, l’Arabie saoudite ou l’Amérique, tous considérés comme instruments de puissances étrangères. Notre gouvernement est entré, lui aussi, dans la politique de l’ingérence par milices subventionnées et il mène le même jeu de violence aveugle et d’alliances cyniques. Il a pris sa place dans le cercle de fauves qui entoure la Syrie suppliciée. Il veille à ce que personne ne lui dérobe sa part du festin.
Une politique digne de la France
Une politique digne de la France répudierait ce mélange de morgue et de petits calculs. Elle s’interdirait de soutenir un clan contre les autres. Elle agirait pour mettre un terme aux immixtions étrangères, qu’elles soient turques, saoudiennes, américaines ou iraniennes. Elle ferait interdire les importations clandestines d’armes. Alors, rendu à lui-même, le peuple syrien serait appelé à voter, le cas échéant sous contrôle international, pour choisir les institutions qui lui conviendrait et les chefs qui auraient sa confiance.
Rien ne permet d’affirmer que la majorité des citoyens répudierait Bachar-El-Assad En tous cas, sa candidature ne doit pas être empêchée. Une fois la volonté populaire clairement exprimée, la communauté internationale laisserait l’armée syrienne lui rendre le service inestimable d’écraser l’extrémisme islamiste en le chassant de Rakka.
Je ne montre pas beaucoup d’imagination en proposant une telle politique. Elle n’est rien d’autre qu’une transposition du plan présenté par De Gaulle pour mettre fin à la guerre du Vietnam. Et elle reprend les demandes faites par la conférence des évêques de Syrie, qui connaissent leur patrie mieux que Hollande, Valls, Fabius et moi. Ils ont envoyé des délégués à Paris pour supplier notre gouvernement de prendre leurs recommandations à son compte. Mais il n’a pas daigné les entendre.
Michel Pinton
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