Tous contre le FN ou la funeste polarisation idéologique

La confrontation idéologique entre l’alliance des partis de gouvernement et le Front national va se durcir dans l’échéance présidentielle à venir. Ce durcissement, qui interdit toute politique juste, n’est pas dans l’intérêt de la France.

UNE FOIS DE PLUS, une élection d’intérêt médiocre a provoqué un déluge de commentaires. Une fois de plus ces commentaires sont tellement imprégnés de passion partisane qu’ils obscurcissent la réalité au lieu de l’éclairer. Il ne semble donc pas inutile de présenter ici quelques réflexions aussi objectives qu’il m’est possible. Je l’avais fait après les municipales de l’an dernier et après les départementales de mars. Les évènements ont bien voulu confirmer mes observations. Peut-être les présidentielles de 2017 accepteront-elles aussi de ratifier l’analyse que je vais exposer ci-après au sujet des régionales.

Des succès en trompe-l’oeil

Le premier tour du scrutin a montré que les partis de droite et du centre ont échoué à susciter un élan populaire. Leurs chefs en ont été profondément surpris et déçus. Ils s’imaginaient à la tête d’une coalition irrésistible, qui devait voler de victoire en victoire jusqu’à la prochaine présidentielle. J’ai montré, il y a plus de dix-huit mois, en examinant les élections municipales, à quel point ils étaient aveugles : ils ne remportaient, écrivais-je, que des succès en trompe-l’œil. Un jour ou l’autre, leurs illusions se fracasseraient sur la réalité. Nous y sommes.

Le déclin socialiste est, lui, tellement visible que sa manifestation au premier tour des régionales n’a surpris personne. Les chefs du parti s’attendaient à une défaite bien pire. Le deuxième tour a été pour eux un soulagement.

Les progrès électoraux du Front national ont, en revanche, stupéfait et épouvanté notre classe dirigeante. Elle se laisse surprendre par des évidences. J’ai, à ma modeste place, annoncé, dans les deux commentaires que je viens de rappeler, à quel point les errements du gouvernement favorisaient l’essor de son pire adversaire et pronostiqué la présence certaine de Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2017. Les régionales confirment ce qui était prévisible.

Les outrances qui cachent la réalité

Est-ce à dire que ce dernier scrutin ne nous apporte rien de nouveau ? Je pense au contraire qu’il marque le début d’un changement important dans la vie politique nationale. Décrivons-le.

Nous avons pris l’habitude, depuis 1974, de considérer les élections comme une bataille entre la droite et la gauche. L’une succède à l’autre à la tête des mairies, des départements, des régions et de l’État dans un balancement périodique que nous appelons alternance. Nous n’imaginions pas jusqu’à dimanche qu’il pût en être autrement. C’est désormais inexact. Une troisième force politique, le Front national, perturbe le jeu électoral. Les médias parlent de tripartisme. Ils annoncent un système dans lequel trois partis de force à peu près égale, se partageront les suffrages des Français. Mais ils ne leur accordent pas la même légitimité pour nous gouverner. La droite « classique » et la gauche ont vocation à exercer le pouvoir mais pas l’extrême droite. Les deux premières doivent se liguer pour maintenir la troisième dans une impuissance perpétuelle parce qu’elle est, nous disent-ils, un danger pour la démocratie, les valeurs humanistes et la République. Valls est allé jusqu’à proclamer que, si le FN accédait à la présidence d’un seul conseil régional, une guerre civile serait probable.

Je tiens cette manière de décrire la situation politique de notre pays comme outrageusement partisane. Elle cache la réalité.

D’un bipartisme à l’autre

Commençons par la thèse du tripartisme. Elle est une vérité provisoire. En fait la France quitte un bipartisme pour entrer dans un autre. La lutte passée entre droite et gauche fait place à un affrontement entre deux forces nouvelles : le Front national d’un côté et une association entre l’ancienne gauche et l’ancienne droite, de l’autre.

Bien entendu, les débats entre le centre gauche, c’est-à-dire le Parti socialiste, et le centre-droit, rassemblé dans « l’union de la droite et du centre », sont appelés à rester vifs. Mais les deux formations ne seront plus en concurrence électorale que de façon limitée. Chacune essaiera de reléguer sa rivale en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle. Elles s’uniront au deuxième tour pour vaincre le candidat du Front national. Ayant gagné le scrutin ensemble et étant trop faibles pour exercer le pouvoir séparément, elles seront un jour obligées à se partager les postes de responsabilité. Ainsi s’établira le nouveau bipartisme.

Qu’on ne m’objecte pas je ne sais quelle incompatibilité des programmes de gouvernement propres à la droite et à la gauche. L’une et l’autre coalitions ont « cohabité » dans le passé sans difficulté majeure. Elles ont même réussi à diriger conjointement la France pendant cinq longues années. On ne voit pas pourquoi elles refuseraient à une nécessité impérieuse ce qu’elles ont accordé à des circonstances peu contraignantes.

D’accord sur les mêmes principes

De plus elles ne se heurtent aujourd’hui que sur des questions secondaires. Elles adhèrent aux mêmes principes politiques : renforcement des « souverainetés partagées » en Europe avec une application mieux ordonnée des accords de Schengen, de la monnaie unique et de la concurrence « libre et non faussée » ; acceptation de l’hégémonie américaine dans notre politique étrangère ; libéralisme économique et sociétal ; construction d’une société multiculturelle. Les divergences, s’il y en a, ne portent que sur des modalités d’application. Il n’y a pas de quoi refuser de gouverner ensemble. Si demain Hollande était obligé de remplacer Fabius par Juppé, Macron par Lemaire et Valls par Bayrou, il n’aurait pas besoin de changer de politique. À peine devrait-il infléchir ses priorités.

La facilité avec laquelle des socialistes se sont désisté, la semaine dernière, en faveur de leurs concurrents de droite est un signe qui annonce l’entente de demain. Elle se heurtera évidemment à des réticences. On peut imaginer que certains élus, comme Wauquiez, lui résisteront autant qu’ils le pourront. Mais la contrainte électorale sera insurmontable. Chacun devra s’incliner devant elle.

En face de cette force tant bien que mal unifiée, se dressera une autre force, organisée autour du Front national. Elle défendra des principes antagonistes à ceux que je viens de rappeler : répudiation des règles communautaires qui contraignent la souveraineté nationale ; fin de l’acquiescement aux choix de Washington ; refoulement du libéralisme sous toutes ses formes ; monopole d’une culture considérée comme propre à notre pays.

Le débat interdit

Où donc est la justice entre ces politiques opposées ? Un débat démocratique devrait la dégager des scories idéologiques qui la recouvrent. Il aurait dû être engagé depuis longtemps. Mais notre classe dirigeante n’en veut pas. Elle est certaine que ses choix ont toujours été les meilleurs. Elle va jusqu’à affirmer qu’ils sont sans alternative sérieuse. Elle considère que ses décisions, y compris celles qui ont été prises contre la volonté populaire comme le traité de Lisbonne, sont toujours justifiées par l’intérêt public.

Un homme politique digne de respect ne peut pas se dire contre une union européenne toujours plus étroite, ni contre la libre circulation des personnes et des biens, ni contre la monnaie unique, ni contre le multiculturalisme. Ses contestataires et ses sceptiques l‘ont irrité et les a marginalisés. Delors, exprimant naïvement ce qu’elle pensait, leur a suggéré d’exercer un autre métier. Seguin s’y est résigné tout comme Chevènement et Villiers. Je m’ajoute à cette liste puisque les centristes, jugeant insupportable que j’émette des réserves sur les bienfaits irrésistibles de l’euro, m’ont enveloppé de leur silence réprobateur.

La rigidité idéologique des « partis de gouvernement » a eu une double conséquence. Elle a éteint la liberté de pensée dans leurs rangs et elle a forcé la contestation à se réfugier à l’extrême-droite. Notre classe dirigeante y a vu l’occasion de déconsidérer l’une avec l’autre. Elle a dénoncé les idées de souveraineté en les associant à la xénophobie et au nationalisme. Le jeu était d’autant plus facile que Le Pen s’y prêtait volontiers. Mais les évènements rendent cette tactique inopérante. Le Pen a quitté la scène et les choix prétendus indispensables et irréversibles s’avèrent être des paris hasardeux. Les électeurs commencent de voir l’injustice de l’ordre construit par ses élites, gauche et droite confondues. Ils écoutent de plus en plus le parti qui dénonce une imposture et propose une autre voie.

L’intérêt de la France

Les véritables obstacles à un débat démocratique digne de ce nom, sont l’arrogance et l’entêtement de notre classe dirigeante. Celle-ci ne supporte pas d’avoir à relativiser ses principes et n’imagine pas de ne pas disposer de la totalité du pouvoir. Elle a dû concéder au Front national quelques mairies d’importance secondaire mais elle a été unanime à lui refuser la présidence d’un seul exécutif régional. Elle va raidir encore sa position dans l’échéance présidentielle à venir. Elle nous prépare une confrontation d’idéologies, qui interdit toute politique juste. Ce n’est pas l’intérêt de la France.

Ceux qui, comme moi, ont tout fait pour éviter cette polarisation néfaste, ne peuvent pas se résigner à son triomphe.

 

Michel Pinton est ancien secrétaire général de l’UDF.

 

En savoir plus :
 Municipales : les illusions d’un résultat sans surprise (27 mars 2014)
 Départementales : un exploit du Parti socialiste (2 avril 2015)

 

 

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