Après la conférence sur la sécurité alimentaire au niveau mondial (Rome 3-5 juin 2008), la FAO organise au Kenya la 25e conférence régionale pour l'Afrique sur le même thème. Au même moment, l'Africa Progress Report, présidé par Koffi Annan, ancien secrétaire général des Nations-Unies, chargé d'évaluer les effets de l'aide promise au sommet du G 8 de Gleaneagles, il y a trois ans, lance un appel dramatique : La crise alimentaire actuelle menace d'anéantir une bonne partie des progrès durement acquis.

Avec 100 millions de personnes sur le point de tomber dans une pauvreté abjecte, le coût des denrées alimentaires ne se calculera pas en prix du blé ou du riz, mais en nombre croissant de décès de nourrissons et d'enfants dans toute l'Afrique. À Rome, Nicolas Sarkozy avait demandé un changement de stratégie .

Quelle était jusqu'à présent la stratégie vis-à-vis de l'alimentation ?

Dans un contexte de prix bas sur les marchés internationaux, il paraissait meilleur pour les pays africains de consacrer des ressources financières rares à des productions d'exportation sources de devises plutôt qu'à la production vivrière nationale. La montée des prix sur les marchés internationaux change la donne : la sécurité alimentaire doit s'obtenir à partir de la production nationale (sans pour autant négliger les cultures d'exportations, indispensables au commerce extérieur de la plupart des pays et vecteur de modernité). La production vivrière, d'ailleurs, est loin d'être nulle. Comme nous l'avons déjà fait remarquer (cf. infra), les productions vivrières des pays africains ont connu une croissance remarquable et beaucoup plus importante que celle des produits d'exportation dans la plupart des pays. On trouvera sur le site du CIRAD (www.cirad.fr), organisme français de recherche sur l'agriculture tropicale, un article synthétique remarquablement documenté sur les raisons de craindre et d'espérer en l'agriculture vivrière africaine.

Des milliers de petites entreprises informelles

Ce sont les populations urbaines qui prennent de plein fouet la montée des prix alimentaires. Leur croissance très rapide a pourtant été un puissant moteur de développement pour les agricultures paysannes. Toutes les études faites aussi bien en Afrique qu'en Asie, montrent une réponse spontanée, largement aux mains des femmes, à la demande urbaine. Jusqu'à présent, ce sont des milliers de petites entreprises informelles qui ont réussi à limiter la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Et cela, pratiquement sans aide publique.

C'est cela qui doit changer : des investissements importants sont indispensables pour que les agricultures nationales dégagent des surplus suffisants pour nourrir les populations urbaines et assurer la régularité des productions malgré les aléas climatiques. Cela suppose beaucoup de temps car c'est tout un système qu'il faut modifier. L'agriculture paysanne africaine vise d'abord à satisfaire les besoins familiaux et dégage peu de surplus. Ces surplus sont souvent difficiles à commercialiser, ce qui n'encourage pas leur production : les systèmes de transport sont très insuffisants, la mise sur le marché est très coûteuse en raison des innombrables obstacles et insuffisances qui séparent le champ du consommateur.

Le potentiel de croissance est reconnu mais pour devenir une réalité on devra travailler sur l'ensemble du système : recherche agronomique, organisation des producteurs, vulgarisation, développement du crédit, financement et organisation du stockage, transport et commercialisation. Nourrir les nombreuses populations urbaines entraînera des changements profonds : l'agriculture paysanne pourra-t-elle les supporter ? Ces changements supposent une véritable révolution des mentalités. Il existe d'innombrables exemples de réussites ponctuelles de ces changements : sont-ils capables d'entraîner la masse des producteurs ?

En France, nous avons connu ces changements : l'agriculture française du début du XXe siècle ne nourrissait pas la France. Il a fallu aussi de profonds changements de mentalité pour faire de notre pays l'un des premiers contributeurs à la nourriture du monde. Et dans ce changement des mentalités, l'Église a une place remarquable : la JAC, la Jeunesse agricole catholique, a fourni à la France une grande partie de ses élites agricoles. En Afrique aussi, l'Église est un acteur majeur du développement et, bien souvent, le seul. Le développement, c'est celui de tout homme et de tout l'homme (Populorum progressio) et c'est aussi le chemin de la paix, indispensable à tant de peuples africains.

Pour en savoir plus : ■ Afrique : les cultures d'exportation ne nuisent pas aux cultures vivrières, Décryptage, 22 mai 2008.

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