Source [Le Salon Beige] Dans son traditionnel discours à la Curie romaine, le pape François est longuement revenu sur la crise que nous vivons actuellement, notamment la crise sanitaire.
Extrait : […] Enfin, je voudrais vous exhorter à ne pas confondre la crise avec le conflit. La crise a généralement une issue positive alors que le conflit crée toujours une contradiction, une compétition, un antagonisme apparemment sans solution entre amis à aimer et ennemis à combattre, avec la victoire qui en découle d’une des parties. La logique du conflit cherche toujours les “coupables” à stigmatiser et à mépriser et les “justes” à justifier pour introduire la conscience – très souvent magique – que telle ou telle situation ne nous appartient pas. Cette perte de sens d’une appartenance commune favorise le développement où l’affirmation de certaines attitudes à caractère élitiste et de “groupes clos” qui promeuvent des logiques limitatives et partielles, qui appauvrissent l’universalité de notre mission. « Quand nous nous arrêtons à une situation de conflit, nous perdons le sens de l’unité profonde de la réalité » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 226).
Lire l’Eglise selon les catégories du conflit – droite et gauche, progressistes et traditionalistes – fragmente, polarise, pervertit et trahit sa véritable nature : elle est un corps toujours en crise justement parce qu’il est vivant, mais elle ne doit jamais devenir un corps en conflit avec des vainqueurs et des vaincus. Car, de cette manière, elle répandra la crainte, elle deviendra plus rigide, moins synodale et imposera une logique uniforme et uniformisante, bien loin de la richesse et de la diversité que l’Esprit a donné à son Eglise. La nouveauté introduite par la crise voulue par l’Esprit n’est jamais une nouveauté en opposition à ce qui est ancien, mais une nouveauté qui germe de l’ancien et le rend toujours fécond. Jésus utilise une expression qui exprime de manière simple et claire ce passage : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). L’acte de mourir de la semence est un acte ambivalent parce qu’il marque en même temps la fin de quelque chose et le début de quelque chose d’autre. Nous appelons le même moment mort-pourrir et naissance-germer car ils sont une même chose : nous voyons sous nos yeux une fin et, en même temps, dans cette fin se manifeste un nouveau commencement.
En ce sens, toutes les résistances que nous mettons à entrer dans la crise, en refusant de nous laisser conduire par l’Esprit durant le temps d’épreuve, nous condamnent à rester seuls et stériles. En nous défendant de la crise, nous faisons obstacle à l’œuvre de la grâce de Dieu qui veut se manifester en nous et à travers nous. Par conséquent, si un certain réalisme nous montre notre histoire récente seulement comme la somme de tentatives pas toujours réussis, de scandales, de chutes, de péchés, de contradictions, de court-circuits dans le témoignage, nous ne devons pas nous effrayer. Et nous ne devons pas non plus nier l’évidence de tout ce qui en nous et dans nos communautés est affecté par la mort et a besoin de conversion. Tout le mal, le contradictoire, le faible et le fragile qui se manifestent ouvertement nous rappellent avec encore plus de force la nécessité de mourir à une manière d’être, de réfléchir et d’agir qui ne reflète pas l’Evangile. C’est seulement en mourant à une certaine mentalité que nous réussirons à faire place à la nouveauté que l’Esprit suscite constamment dans le cœur de l’Eglise.
Derrière toute crise se trouve toujours une juste exigence de mise à jour. Mais si nous voulons vraiment une mise à jour, nous devons avoir le courage d’une disponibilité tous azimuts. Nous devons cesser de penser à la réforme de l’Eglise comme une pièce sur un vieux vêtement, ou à la simple rédaction d’une nouvelle Constitution Apostolique. Il ne s’agit pas de “rapiécer un vêtement” car l’Eglise n’est pas un simple “vêtement” du Christ, mais elle est son corps qui embrasse toute l’histoire (cf. 1 Co 12, 27). Nous ne sommes pas appelés à changer ou à réformer le Corps du Christ – « Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il l’est pour l’éternité » (He 13, 8) – mais nous sommes appelés à revêtir d’un vêtement nouveau ce même corps pour qu’il apparaisse clairement que la grâce que nous possédons ne vient pas de nous mais de Dieu. En effet, « ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile ; ainsi, on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (2 Co 4, 7). L’Eglise est toujours un vase d’argile, précieux en raison de ce qu’il contient et non en raison de ce qu’il montre parfois de lui-même. Ces temps-ci, il semble évident que l’argile dont nous sommes faits est ébréchée, fissurée, brisée. Nous devons nous efforcer à ce que notre fragilité ne devienne pas un obstacle à l’annonce de l’Evangile, mais le lieu où se manifeste le grand amour dont Dieu, riche en miséricorde, nous a aimés et nous aime (cf. Ep 2, 4).
Pendant le temps de la crise, Jésus nous met en garde contre certaines tentatives pour en sortir qui sont au départ destinées à échouer, comme celui qui « déchire un morceau à un vêtement neuf pour le coudre sur un vieux vêtement ». Le résultat est prévisible : le neuf sera déchiré parce que « le morceau qui vient du neuf ne s’accordera pas avec le vieux ». De la même manière, « personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, le vin nouveau fera éclater les outres, il se répandra et les outres seront perdues. Mais on doit mettre le vin nouveau dans des outres neuves » (Lc 5, 36-38). L’attitude juste, en revanche, est celle du « scribe devenu disciple du royaume des Cieux [qui] est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien » (Mt 13, 52). Le trésor c’est la Tradition qui, comme le rappelait Benoît XVI, « est le fleuve vivant qui nous relie aux origines, le fleuve vivant dans lequel les origines sont toujours présentes. Le grand fleuve qui nous conduit au port de l’éternité » (Catéchèse, 26 avril 2006). Ce qui est “ancien” est constitué de la vérité et de la grâce que nous possédons déjà. Ce qui est “neuf”, ce sont les différents aspects de la vérité que nous comprenons peu à peu. Aucune manière historique de vivre l’Evangile n’en épuise la compréhension. Si nous nous laissons guider par l’Esprit, nous nous approcherons chaque jour davantage de la « vérité tout entière » (Jn16, 13). Au contraire, sans la grâce de l’Esprit Saint, on peut bien commencer à penser l’Eglise sous forme synodale mais qui, au lieu de faire référence à la communion en arrive à se concevoir comme une assemblée démocratique quelconque faite de majorités et de minorités. Seule la présence de l’Esprit Saint fait la différence. […]
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