On parle souvent de la « théorie » de la conspiration, on oublie sa pratique. Un maître nous aide à la comprendre.
Edward Bernays (1891-1995) est le grand expert en contrôle mental. C’est un neveu viennois de Sigmund Freud, et comme son oncle un bon lecteur de Gustave Le Bon. Il émigre aux Etats-Unis avant la Guerre. Journaliste, il travaille avec la belliqueuse et menteuse administration Wilson au Committee on Public Information, au cours de la Première Guerre mondiale. Dans les années vingt, il applique à la marchandise, à l’information et à la politique les leçons du bourrage de crâne et du conditionnement de masse.
Et à la fin de cette décennie qui a vu se conforter la société de consommation, le KKK en Amérique, le fascisme et le bolchévisme en Europe, qui voit progresser la radio, la presse illustrée et le cinéma, Bernays publie un très bon livre intitulé Propagande où, cyniquement et tranquillement, il dévoile ce qu’est la démocratie moderne : un système de contrôle des foules à l’aide de moyens perfectionnés et de buts primaires (consommation, soumission, homogénéisation) ; mais aussi une oligarchie, une cryptocratie au pouvoir. Pour lui, le « sort de beaucoup d’hommes » dépend alors d’un « petit nombre » de juristes, de banquiers, de publicistes.
Croisade et mensonges
C’est ce Bernays qui a imposé la cigarette en public pour les femmes ou le bacon and eggs au petit déjeuner par exemple (dix ans plus tard les hygiénistes nazis interdiront aux femmes de fumer pour raison de santé). Il affirme fièrement le droit des « gouvernants invisibles » à contrôler les destinées du reste du monde. Voyez ces jours-ci le traité incognito de libre-échange euro-américain.
Pour Bernays, la « capture de l’esprit humain » et la « standardisation des comportements » sont l’objectif du manipulateur d’opinion, ce nouveau magicien d’Oz. Concernant la guerre de 14, Bernays “révise” l’Histoire en confessant que la « croisade des démocraties » contre l’Allemagne wilhelmienne s’est fondée sur de simples clichés et mensonges ; il a d’autant moins de complexes que c’est lui qui a mis cette propagande au point.
La loi de la standardisation
Bernays dit aussi que la standardisation des produits s’applique à la politique. Il ne faut pas là non plus compliquer les choses ! On a trois poudres à lessive pour laver le linge, qui toutes appartiennent à Procter & Gamble ou à Unilever ; et bien on aura deux ou trois partis avec deux ou trois programmes bien simples ! Républicains, démocrates, libéraux, socialistes…
La démocratie scientifique (« l’homme est un automate ») a son « gouvernement invisible » qui nous impose malgré nous notre politique et nos choix. Le citoyen lucide y est aussi impuissant que le gogo manipulé ou le bobo anesthésié de l’historien Payne.
Bernays théorise la pratique de la conspiration. La CIA inventa et pratiqua la « théorie de la conspiration » après la mort du président Kennedy pour dénigrer ceux qui demandaient alors des explications.
N.B.
A lire :
Edward Bernays
Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie
Zones, 2007
140 p., 20 €
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