Refus des autorités françaises, de plus en plus isolées en Europe (puisque la France forme un trio, peu glorieux, d'irréductibles avec la Suède et la Belgique), d'admettre une référence à l'héritage chrétien de l'Europe, tentation de légiférer sur le voile pour en réalité s'employer à reléguer le religieux hors de la sphère publique.

.. Contrairement aux idées reçues, le principal danger aujourd'hui n'est pas celui de l'intransigeance ou de l'agressivité des religions : la conférence des évêques de France à Lourdes démontre en tout cas que ce n'est pas de ce côté-là qu'on perd son sang froid ainsi que le sens du dialogue et de la paix civique.

Non, la menace vient plutôt du raidissement "laïciste" qui paraît tétaniser peu à peu la réflexion des pouvoirs publics, empêtrés dans leurs contradictions, et chambrés par les groupes de pression hostiles aux religions mises dans le même sac.

Ainsi, on ne peut pas à la fois créer de toutes pièces un organe représentatif des musulmans de France (au passage une belle exception à la neutralité de l'État par rapport aux cultes...) et envisager de légiférer sur le port du voile à l'école, ce qui revient à dire qu'à peine créé, l'organe ne servirait pas à grand chose...

On ne peut pas défendre l'Europe des Lumières et préparer en catimini l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Laïque ou pas, ce pays est séparé de nous par bien plus qu'un bras de mer, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la consolidation de l'État de droit et de la démocratie pluraliste. Et faut-il rappeler qu'une fois dans l'Union européenne, la Turquie en serait le géant démographique ?

Il serait temps de revenir à une attitude plus raisonnable et, pour commencer, cesser d'idolâtrer la laïcité en la tenant pour ce qu'elle est réellement. Elle n'est pas une théorie ou une doctrine intangible sur la place du religieux en république : il n'y a que les Français pour croire que notre pays fait en Europe figure de modèle alors qu'il représente seulement une exception "inexportable" et parfois même répulsive, comme le fut aussi le Mexique révolutionnaire.

La laïcité n'a été qu'un accommodement péniblement et douloureusement trouvé entre la République et la religion catholique alors dominante. C'est d'ailleurs pourquoi les catholiques y sont attachés par sagesse. Cela ne devrait pas surprendre. Ils savent mieux que d'autres ce qu'il en a coûté de parvenir à l'apaisement des esprits et des cœurs.

Se saisir aujourd'hui des problèmes spécifiques que pose l'islam (et, pratiquement, lui seul) pour vouloir "régler leur compte" aux religions une bonne fois pour toutes est malhonnête et, venant de la part de doctrinaires de la laïcité, suicidaire. Il serait temps qu'ils en prennent conscience au lieu de refuser l'évidence, laquelle tient en deux points: 1/ l'héritage chrétien est le soubassement de notre civilisation européenne, y compris dans l'autonomie de la sphère civile et politique par rapport aux religions, mais non pas de la sphère morale ; 2/ on ne décrète pas l'éradication du fait religieux de la sphère publique.

Philippe Pouzoulet, Fraternité Edmond-Michelet, Bordeaux

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