Euro

Alors que nous étions tous très occupés par le résultat du premier tour de l’élection présidentielle, des économistes allemands et français se sont réunis à Düsseldorf. Cette réunion a donné lieu à une conférence de presse à Paris le vendredi 27 avril auquel notre ami Roland Hureaux participait. Une réunion passée quasi inaperçue. Seule l’hebdomadaire Marianne en a rendu compte sur son site. Parmi les membres de l’establishment et le patronat, le débat semble plus ouvert en Italie qu’en France. Dieter Spethmann ancien patron de Thyssen et Wilhem Nölling qui s’étaient opposés devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe au plan de sauvetage de la Grèce font partie de ce groupe d’experts favorables à une sortie concertée de l’Euro.
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question dans les mois qui viennent. Pour l’heure, elle n’est au programme d’aucun des deux finalistes de la présidentielle. Il nous a cependant paru intéressant de publier l’analyse de Pierre de Lauzun et celle complémentaire de Jacques Bichot (2/2).

Dans une zone monétaire comme la zone euro, la dette est libellée dans une monnaie commune et la création de cette monnaie dépend des règles communes. Un Etat de la zone qui ne trouve pas de quoi assurer le service de sa dette n’a dès lors pas la possibilité de monétiser sa dette, en la faisant acheter par sa banque centrale. Comme si sa dette était en monnaie étrangère, il ne lui reste alors qu’à s’ajuster, c’est-à-dire à diminuer ses dépenses et augmenter ses recettes. Certes il y a des aides (FMI, autres pays, Fonds de stabilité financière) ; mais leurs ressources sont limitées. Sur le plan comptable, un tel effort permet au mieux d’équilibrer les finances courantes et de payer les intérêts, mais pas de rembourser. Quand alors les échéances de remboursement se présentent, le seul moyen de les honorer intégralement est d’emprunter à nouveau. Cela ne fonctionne que si l’accès au marché n’est pas interrompu.  Sinon, il y a défaut.

Le déficit de compétitivité

Mais la plus grande difficulté rencontrée est la réalité économique et sociale. Une politique d’austérité est défavorable à l’activité et peut être contre-productive, même comptablement, car la récession diminuant les ressources fiscales peut creuser à nouveau le déficit. Et surtout il faut rétablir la compétitivité du pays considéré, qui est la capacité à vendre assez de produits ou de services pour payer ceux qu’on achète sans s’endetter pour cela. A l’intérieur d’un pays, la non-compétitivité d’une région peut être au moins en partie compensée par la solidarité organisée : cela ne la rend pas compétitive, mais rapproche les niveaux de vie. Dans une zone monétaire comme la zone euro, union d’Etats sans structure fédérale et ses transferts structurels massifs, les zones en déficit durable de balance des paiements ne peuvent s’endetter indéfiniment, comme on le voit aujourd’hui. Elles doivent donc redevenir compétitives ; mais pour cela elles n’ont pas la possibilité de dévaluer et doivent donc le faire par effort interne, qui est déflationniste. D’où la baisse des salaires et des prestations, la hausse du chômage et la réduction douloureuse du niveau de vie. La situation peut alors devenir politiquement intenable, d’autant que l’effort ne garantit pas le résultat.

Monétarisation et/ou moratoire de la dette

La monétisation de la dette au niveau de la zone, recommandée par certains, est refusée fermement par les Allemands et bien d’autres. C’est pour eux la négation même de l’accord qui a conduit à l’euro. Et ils portent encore le poids de la RDA. En outre, rien n’étant gratuit ni magique, elle déboucherait inévitablement sur un retour de l’inflation à terme, sauf à comprimer violemment la distribution de crédits à l’économie. D’où de fait un transfert massif de ressources des épargnants vers les débiteurs, mais sans résoudre le problème de compétitivité de ces derniers. A tout prendre, une réduction des dettes serait plus propre et plus efficace – mais c’est déjà par bien des côtés une solution de rupture, même si elle restait partielle et contrôlée. Et elle ne dispenserait pas d’un effort pour restaurer la compétitivité.

Sortie de l’euro ou voie fédérale

On comprend alors la tentation de solutions encore plus radicales. Elles vont dans deux sens opposés : une voie fédérale, ou la sortie de zone. Pour fonctionner , la voie fédérale ne peut se limiter à ce qui est actuellement envisagé, un contrôle européen sur les budgets des Etats, accompagné d’une aide ponctuelle. Pour disposer des mécanismes de solidarité appropriés, il faudrait un vrai budget fédéral, une sécurité sociale européenne, des euro-obligations et une solidarité à l’égard des dettes existantes. Donc un transfert massif de compétences, une quasi-révolution. Cette voie a sa logique interne – même si l’exemple de la RDA et du Mezzogiorno montre que cela ne rétablit pas la compétitivité de la zone aidée. Mais outre qu’elle ne pourrait intervenir dans les délais voulus pour la crise, il n’est pas évident qu’elle soit réalisable, car cela supposerait une vraie vie démocratique européenne et un vrai peuple européen. Au stade actuel, il n’y a pas de base politique à cela. Et on ne saurait improviser un tel processus.

On en vient alors à la sortie de zone. Elle consiste à remplacer l’euro à une date donnée par une nouvelle monnaie dans tous les contrats relevant du droit du pays concerné. Y compris la dette publique – ce qui n’accroîtrait donc pas son poids relatif sur l’économie, contrairement à ce qu’on dit parfois. On aurait ensuite une dévaluation de cette monnaie. C’est juridiquement envisageable, quoique risqué : la très grande majorité des emprunts faits en euros relève de lois nationales. La mesure rencontrerait une résistance importante, même dans le pays concerné, car elle ne serait pas dans l’intérêt de ceux qui auraient pu conserver leurs avoirs si le pays avait gardé l’euro : tous les propriétaires et titulaires de droits. Soit beaucoup de monde. Cela serait surtout très difficile à mettre en œuvre. Outre les questions juridiques, il y aurait fuite massive de capitaux. En effet, comme on ne pourrait pas réaliser une telle opération en 24 h, des mois s’écouleraient avant la conversion, pendant lesquels les détenteurs locaux d’euros auraient intérêt à les transférer dans un autre pays – ou à stocker des billets (en euros). On ne pourrait tenter de l’empêcher que par des mesures très strictes : un contrôle des changes généralisé, difficile à réaliser et qui suppose une administration efficace. Enfin le pays devrait renoncer pour longtemps à tout financement extérieur. La sortie de l’euro ne paraît donc possible que dans un cas extrême : celui d’un pays confronté à une situation gravissime, qu’il juge de toute façon ingérable.

La nécessité d’un contrôle des changes très strict

De son côté une dissolution générale de la zone supposerait qu’on ne croit plus à l’avenir de cette monnaie ; ce ne serait donc imaginable qu’après des années de dépression. Mais même alors, la mesure serait elle aussi difficile à mettre en œuvre. Il serait toujours possible à un Italien par exemple d’envoyer avant la date d’échange ses euros en Allemagne, sachant qu’il récupérera ensuite des deutschemarks valorisés par rapport aux lires. L’Italie se viderait de ses dépôts et ses banques seraient en faillite. Un contrôle des changes serait donc à nouveau indispensable.

En résumé, dans une zone monétaire donnée, une crise de la dette implique pour le pays concerné une période longue d’austérité à tendance déflationniste. Sauf mise en place d’une structure fédérale européenne, dont les bases n’existent actuellement pas, le risque est élevé qu’au moins un pays n’arrive pas à supporter un tel traitement. La tentation d’une sortie de la zone peut alors devenir irrésistible, même si ce serait une opération risquée et douloureuse. Pour tenter de l’éviter, une réduction de la dette peut alors s’avérer nécessaire. Et une aide importante des autres pays – malgré leurs propres difficultés.

 

Lire également l’analyse de Jacques Bichot

 

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