Malgré l’efficacité du marketing qui entoure leurs rapports de prospective, les États-Unis ont du mal à anticiper les évolutions à venir. Dans le rapport Global trends 2015, élaboré en l’an 2000, la partie centrale de l’analyse se présente comme la projection d’un fantasme, celui d’un monde pacifié par la mondialisation et incapable de se structurer face à la puissance américaine.
En l’an 2000, les plus grands experts américains estiment que l’économie mondiale aura retrouvé vers 2015, son niveau de croissance des années 1960, ou du début des années 1970. La croissance touchera non seulement les pays émergents mais également les pays industrialisés.
Une Europe en croissance
En effet, l’amélioration des politiques macro-économiques, le maintien de taux d’inflation très bas, et surtout la création de l’euro contribueront à la croissance économique et par conséquent à la stabilisation politique du monde. En Europe, « l’expansion rapide du secteur privé conjugué à la dérégulation et à la privatisation stimulera la croissance économique et génèrera une pression concurrentielle permettant d’utiliser plus efficacement les ressources ». Continent pacifié, l’Europe aura retrouvé la prospérité des années 1960 et commercera avec le monde entier.
La révolution de l’information permettra à toutes les firmes de la planète d’imiter les « meilleures pratiques des entreprises les plus efficaces » (entendre ici les pratiques du capitalisme mondialisé).
La démocratie universelle
Selon le rapport, la prospérité retrouvée de 2015 s’accompagnera d’un progrès net de la démocratie et de la transparence. En effet, « afin de gérer une économie mondialisée, les gouvernements devront être plus transparents les uns vis-à-vis des autres ». La présence d’une nouvelle classe moyenne de deux milliards d’individus, aura créé une aspiration à une démocratie plus approfondie.
Par voie de conséquence, l’ensemble des États donnera plus d’attention à la protection des droits civils et encouragera la démocratisation.
Comme on peut le voir, la vision du National Intelligence Council de 2000 était idyllique. Sur le plan économique comme sur celui de la gouvernance, ce sont précisément les évolutions inverses que le monde a connu.
Erreur sur la Russie
Les prévisions géopolitiques du National Intelligence Council n’étaient hélas guère plus pertinentes. Pour les Américains, la Russie devait connaître en 2015 une récession spectaculaire et un amenuisement géopolitique en raison du décalage entre ses ambitions et son manque de ressources. « La Russie restera faible intérieurement, […] elle sera incapable de contrebalancer l’hégémonie américaine en créant une coalition. » Prophétie démentie par la construction de l’alliance géopolitique structurante formée aujourd'hui par la Russie, la Chine et l’Iran, alliance continentale anti-américaine par excellence.
Pour la Russie, l’amenuisement imaginé était tel, qu’elle aurait été incapable de maintenir en état ses forces conventionnelles et a fortiori de les projeter. La Russie ne se reposerait plus que sur son arsenal nucléaire vieillissant afin de terroriser ses voisins.
En 2015, « l’Eurasie, sera devenu un terme géographique creux, dénué de réalité politique, économique ou culturelle ». En revanche, l’Ukraine « sera susceptible d’opter pour l’indépendance plutôt que de réintégrer la sphère d’influence russe ».
Silence sur l’islam
En ce qui concerne le Moyen-Orient, les Américains y voyaient volontiers l’émergence de « nouvelles dynamiques sociales » très éloignées de toute radicalisation de l’islam (mot qui n’apparaît que cinq fois en cent pages). Bref, pas un mot sur le réveil religieux de l’islam, dont les signes avant-coureurs étaient pourtant bien visibles dès 2000.
En 2015, Israël serait en paix avec ses voisins, notamment avec l’État palestinien désormais reconnu… Seuls les missiles nucléaires irakiens menaçaient de frapper les États-Unis.
Malgré la faillite de l’analyse économique et géopolitique de Global Trends 2015, le rapport suivant, Global trends 2030 a été mis en vente avec force publicité aux populations béates attendant sans doute d’être éclairées prophétiquement par les experts d’Outre-Atlantique. Le monde en 2030 vu par la CIA fut vendu comme… la Bible des experts.
Thomas Flichy de La Neuville est historien, membre du Centre Roland-Mousnier, CNRS – Université de Paris IV-Sorbonne.
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