L'enlèvement pendant près de 24 heures de l'archevêque syrien-catholique Georges Casmoussa (photo) a illustré les violences subies par les chrétiens d'Irak. À la veille des élections du 30 janvier, la situation se dégrade de jour en jour.

 

Représentant environ 3% de la population, la communauté chrétienne d'Irak se divise en deux grands courants : les Chaldéens (catholiques) majoritaires et les Assyriens (nestoriens). Elle est présente à Bagdad, dans la région de Mossoul (nord), au Kurdistan et un peu à Bassorah, dans le sud. Partout, c'est le chaos. " Nous vivons dans une situation très dangereuse, expliquent les dominicaines de la Présentation à Mossoul. Nous ne pouvons même pas sortir pour aller à la Messe. Les prêtres et les religieux sont persécutés à l'intérieur et à l'extérieur des églises. Nous restons barricadés dans nos maisons. " La congrégation qui compte sept maisons en Irak pour un total de quarante religieuses, se consacre à l'instruction, à l'accueil des enfants et des jeunes, à l'assistance sanitaire.

Au sud de Bagdad, des moines chaldéens du monastère de Dora, ont été enlevés il y a quelques jours par des inconnus, puis libérés deux jours plus tard. Avec l'approche des élections, l'industrie florissante des enlèvements ne connaît pas de pause, et touche les étrangers, les Irakiens (pour de l'agent), le personnel religieux, spécialement les chrétiens, visés par l'intégrisme religieux islamique. L'agence Fides a recueilli le témoignage du père Waheed Gabriel Tooma, moine chaldéen, confrère des deux moines enlevés.

" En Irak, nous rêvons de paix et de démocratie et nous voulons oublier le passé. Mais malheureusement, après un régime d'oppression qui a duré 35 ans et 13 années de cauchemar à cause de l'embargo, l'Irak souffre aujourd'hui encore, parce que la guerre n'est pas finie.

" Un peuple entier meurt chaque jour, non seulement par manque de nourriture et de médicaments : il meurt moralement et culturellement, il est privé de son identité, de la liberté et de son droit de vivre en paix comme les autres peuples de la terre. Le chemin de ce peuple est sombre, il semble sans avenir : les enfants meurent à peine nés, sans un sourire.

" Dans cette situation, les gens fuient : plus de 3 millions ont émigré à l'étranger, et parmi eux, des chrétiens. Dans les seuls derniers mois, après l'attentat contre les églises chrétiennes, plus de 50.000 chrétiens irakiens ont émigré vers la Syrie, la Jordanie et la Turquie, à cause des menaces reçues des fondamentalistes. Leur faute ? Etre chrétiens, c'est-à-dire de la même religion que les soldats occidentaux.

" Il y a quelques jours, deux de mes confrères, des moines, ont été enlevés, et grâce à Dieu, ils ont été relâchés après deux jours de détention. Dans ma ville natale, Zakho, au Kurdistan, la situation est plus calme. De très nombreux Irakiens de Bagdad s'y transfèrent, laissant leurs maisons et leur travail à cause des bombardements, des voitures piégées et des menaces quotidiennes. Dans cette situation, qui paie le prix le plus élevé ? Toujours et seulement les innocents. Les villes d'Irak sont tristes à présent, couleur poussière, habitées par des gens réduits à la pauvreté et désespérés.

" Plongés dans ce chaos, les gens se demandent maintenant : que se passera-t-il après les élections ? Quelque chose changera-t-il après les élections ? Le peuple n'arrive pas à croire en un changement réel. Et puis, tous ceux qui vont voter risquent d'être tués, parce qu'il n'y a pas la moindre sécurité. De nombreux membres des organisations pour les élections irakiennes ont donné leur démission en raison des menaces reçues. Quel avenir y aura-t-il après les élections ?

" Pour arriver à des élections démocratiques et libres, il faut avant tout préparer le terrain et mettre fin au terrorisme.

" Il y a amalgame entre nous et les Américains "

Retour à Mossoul, avec le père Najib, dominicain lui aussi. Il a reçu trois lettres de menaces de mort en dix-huit mois.

"C'est notre quotidien à tous les chrétiens ici à Mossoul, explique-t-il. Nous sommes tous visés sans distinction, chaldéens, assyriens, syriens, latins et arméniens, entre les attentats, les assassinats et les kidnappings. Cela ne date pas d'hier. À la fin du règne de Saddam Hussein, les sunnites s'étaient déjà radicalisés. Une église de rite syrien avait ainsi été attaquée en septembre 2002. Mais depuis la chute du régime, ce phénomène s'est très fortement accentué. Il y a amalgame entre nous chrétiens irakiens, et les Américains emmenés par Georges Bush dans sa campagne de croisade."

Les imams sunnites ont certes dénoncé le double attentat du 7 décembre qui a frappé des églises chaldéennes et arméniennes. Mais leurs protestations semblent inexistantes pour fustiger les dizaines de kidnappings, les pressions en tout genre comme les menaces de conversion forcée ou les appels, via des tracts distribués à l'université, à asperger d'acide les femmes non voilées.

 

"La folle spirale semble impossible à enrayer, résume le P. Najib. Ces religieux doivent aussi tenir compte de la radicalisation d'une frange de leur communauté. De nombreux sunnites sont, en outre, opposés à ces crimes. S'ils protestent, ils sont immédiatement qualifiés de traîtres et risquent de subir des violences. Les chrétiens, eux, sont pris au piège et beaucoup considèrent qu'ils n'ont d'autre choix que de quitter la ville pour la Syrie et surtout le Kurdistan."

Un prêtre chaldéen qui a requis l'anonymat explique lui que les chrétiens sont devenus un enjeu majeur pour les Kurdes et les sunnites " Les sunnites nous font peur pour que nous n'allions pas voter, et les Kurdes, qui s'affichent comme nos protecteurs, attendent désormais nos voix". Ces derniers, en particulier leur milice armée, les peshmergas, sont désormais omniprésents dans les villages chrétiens de la périphérie de Mossoul, même s'ils rejettent toute velléité d'expansionnisme.

"C'est un des reproches formulés par les moudjahidines, convient le P. Najib. Mais que pouvons nous faire ? Ces chrétiens, persécutés par les Arabes, n'ont d'autres choix que de se tourner vers les Kurdes, les seuls capables de les protéger." Aux dernières nouvelles, l'atmosphère est cependant plus sereine à Mossoul, où les insurgés de la guérilla semblent avoir quitté le centre-ville de la rive droite. De nombreux renforts militaires américains et irakiens ont été déployés. Mais le répit pourrait n'être que de courte durée.

 

Dans le climat général, des partis chrétiens parviennent à mener une campagne discrète en vue des élections du 30 janvier. Il y a actuellement huit partis chrétiens en Irak, dont regroupés dans deux coalitions chrétiennes et trois dans une coalition menée par les Kurdes. Plus que l'argent qui leu r fait défaut, c'est la peur qui risque de décourager les chrétiens. Ainsi, à Mossoul, où la guérilla sunnite hostile aux élections impose sa loi, il est probable que les chrétiens craindront d'aller aux urnes. Dans cette inquiétude, les partis chrétiens comptent beaucoup sur le vote de leurs compatriotes qui ont le droit de vote, vivant à l'étranger, notamment en Australie, en Europe et aux Etats-Unis. (Avec Fides.)

>Pour en savoir plus, l'agence Fides propose une carte complète des différentes communautés religieuses d'Irak, et de la situation des chrétiens, mise à jour au mois de janvier 2005. Le dossier présente les groupes ethniques, la composition religieuse, les différentes communautés chrétiennes, l'évolution des problèmes liés au fondamentalisme islamique dans le pays, un an après la chute de Saddam Hussein : Dossier "Les religions dans le nouvel Irak"

 

 

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