Le 3 novembre, nous faisons mémoire de Saint Hubert. Voilà une raison supplémentaire pour nous pencher sur ce que d’aucuns qualifient d’art. En toute hypothèse, et par les temps qui courent et chassent de moins en moins à courre, un art de plus en plus décrié.
L’automne dernier – saison où la rousseur naissante de la nature se fond avec le brun et le bronze de nos vêtements, se confond parfois avec la chevelure de quelques nouvelles dianes chasseresses ou enchanteresses (quand ce ne serait pas les deux) – la revue Le Saint-Hubert s’interrogeait : la chasse est-elle de droite ou de gauche ? A cette question, un ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre qui avait tôt fait de virer sa cuti – Jean Cau pour ne pas le nommer – avait jadis déjà répondu : elle est foncièrement de droite. Soyons honnête : à dire vrai, notre homme, ainsi, ne répondait pas exactement à la question précitée. Il parlait de la corrida. L’aficionado est de droite, celui que le combat de toros tend à révulser est de gauche, il n’y aurait point à en sortir. Nous comprenons bien le sens de son constat. Les tenants de la corrida d’un même élan goûte le panache, l’effort, le courage, les couleurs sang et or, le sacrifice et les cicatrices (le corps des toreros est là pour en témoigner), la dévotion à un passé qu’ils s’efforcent de hisser vers l’éternité. Les amis de los toros sont bien les défenseurs d’une Tradition qu’à moins de tomber dans la redondance, il est inutile de qualifier d’ancestrale. Vous l’avez compris : semblable schéma peut être appliqué à la chasse. Mais, une précision, de nature historico-juridique, au préalable s’impose. L’avis de l’ancien impétrant déçu à l’Académie Française, en grande part fondé, est cependant approximatif et, pour tout dire, fautif. Avec l’amour de la chasse, écoutez bien, nous sommes en vérité renvoyés à un régime anté-républicain, hantés par le souvenir du temps du ‘‘plaisir de vivre’’ qui était, soutenait Talleyrand, celui de ‘‘ces années voisines de 1789’’ [1]. Oui, les notions de droite, de gauche, toute la sémantique afférente sont des innovations de la Révolution. (A la droite du président de l’Assemblée législative, ceux qui sont favorables au maintien du droit de veto du roi ; à sa gauche, ceux qui sont contre.) Droite et gauche sont d’essence républicaine,- république-haine écriraient ceux qui n’ont plus le mot de gueuse à la bouche, même si certains, prenant acte de ce diptyque contemporain, on vous l’accorde, brodant sur l’étymologie, ont vite rattaché la rectitude, le maintien droit à la première, le côté gauche et sinistre à la seconde. La chasse, comme la corrida (que la République espagnole avait bannie), sont d’un temps d’avant, d’un temps où le manant et le paysan s’en allaient par les champs courir la bergère et le faisan, où les nobliaux, petits, moyens ou grands, gens désargentés souvent, dans le sous-sol d’une vaste cuisine cassaient la croûte au petit matin avant de s’enhardir chasser la grouse ou le furet.
La chasse aurait-elle de nos (provisoires mauvais) jours du plomb dans l’aile ? L’aile droite et l’aile gauche s’entend, pour rester dans le vocabulaire du temps. Si c’est le cas, notez que c’est du petit plomb. Et, en premier lieu, celui-ci, prétendument dirimant, du respect de la vie des animaux, sorte de «tu ne tueras point» étendu à tous nos prochains. La réponse se voudra claire et nette : nous nous abaisserons bien bas devant celui (et, surtout, celle) qui, arrimé à un corps de doctrine que d’aucuns diraient chrétiens (mais qui est celui de tout bon samaritain), démontrerait respecter la vie à toutes ses étapes, sur tous ses registres, dans tous les genres, animal et végétal, sans oublier – excusez du peu – notre genre à nous, le genre humain. Alors là, chapeau bas, même si nous n’en portons pas. Aussi, suivez mon regard, bien des partis bassement politiques, et très peu écologiques, ainsi celui dont l’unique aile gauche couve les deux œufs du socialisme dévoyé et du libertarisme [2], se verront-ils déclarer irrecevables en leurs objections et iront-ils se rhabiller, en vert s’ils le veulent. Voilà belle lurette qu’ils ont levé le masque : ils se fichent de l’écologie – science du milieu – comme de leur première couche-culotte biodégradable.
Nous, nous nous rattachons à des images qui fleurent bon le temps sec, ensoleillé de la fin des grandes vacances. Grandes nous apparaissaient aussi les personnes. Notre mémoire en témoigne, aussi fidèle que ce chien que, dans ces années soixante et soixante-dix là, on n’appelait pas encore Livret A parce que lui rapportait, revenant, oreilles pendantes, tête dodelinante, les yeux écarquillés semblables à ceux de l’enfant fier d’avoir pour la première fois marché, se postant, le perdreau dans la gueule, devant son maître comme devant ses parents…bon chien…brave chien. Et ces tableaux de chasse sortis de la broussaille, de la Combraille creusoise. En fin de journée, sur la terrasse, alignés, bien une dizaine de perdreaux, quelques lièvres et des faisans croyons-nous. Parmi les chasseurs, certains portaient des guêtres couleur blanc ou blanc-crème, d’autres une gibecière ; des dames – qui, pour l’occasion, avaient de leurs établis ressortis leurs fusils bien ‘‘polissés’’-, on se demandait si elles savaient tirer tant leurs gestes, d’une féminité au demeurant toute naturelle, n’arrivaient à se départir d’un vernis restant de mondanité.
Comment revenir vers ces aurores et, si l’on peut dire, de la manière la plus désintéressée qui soit, nous qui ne détenons pas de permis de chasse ? Ou, plutôt, comment pleinement réactualiser ces grands moments, en faire profiter une progéniture dont, toute de son temps et, en apparence, plus attachée à son portable qu’à son cartable soit-elle, on devine cependant qu’elle n’est nullement insensible à tout ce que connote l’univers de la chasse ? Celui-ci, certes coïncide-t-il avec celui de la nature. Mais, voici encore sa seconde particularité. C’est que, par la chasse, cette nature ne se voit plus livrée à elle-même, condamnée (à terme généralement rapprochée) à devenir jungle. Avec la chasse, la nature s’extrait de son état sauvage ; elle atteint l’état de culture. De la sorte, l’acte de chasser serait par excellence un acte de civilisation. La place ici nous manque pour décrire par le menu les étapes que devrait suivre cette politique de restauration. D’abord rendre la campagne aboyeuse et giboyeuse, rétablir les haies et les échaliers. La chose est avant tout politique, mon bon monsieur ; volontiers, nous en convenons. Rien qu’une idée, une image pour, d’un trait, survoler ce point : nous souvenir aussi de ce grand chasseur qu’était Michel Droit, de ce qu’il n’était pas seulement, n’en déplaise (pour rester dans les volatiles) au Canard Enchaîné, le grand maladroit. Et puis, allez, une deuxième idée : remontez à Henri Massis et à sa Défense de l’Occident, lire Camus (Renaud bien sûr, pas Albert) et sa critique en bonne et due forme de la Décivilisation [3], regarder passer le Défilé des réfractaires [4] dirigé par ce grand chasseur qu’est aussi notre bon confrère, Bruno de Cessole. Alors, dans notre quête éperdue, la chasse à courre, la chasse tout court, aussi, tout simplement participera-t-elle peut-être de la chasse-amour.
Photo : © Wikimedia Commons / Ji-elle
[1] François Bluche, Dictionnaire des citations et des mots historiques, Le Rocher
[2] EELV (Europe-Ecologie Les Verts).
[3] Fayard.
[4] l’Editeur. Lire aussi la revue qu’il dirige, publiée par le groupe Valmonde
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