Il y a quelques mois, la Conférence des Evêques de France publiait un document éminemment critique à l’égard des communautés traditionnelles suivant la forme extraordinaire du rite romain. Était portée à leur encontre toute une série de griefs dont il était difficile de dire s’il fallait en rire ou en pleurer. 

Au-delà de questionnements de prime abord légitimes, sur la coexistence des deux messes et des risques de querelle afférents, on pouvait y lire des propos ubuesques, comme l’inquiétude devant la présence de familles nombreuses dans les églises, ou la critique totalement lunaire du manque de formation théologique des prêtres issus de ces communautés.

Alors que surviennent depuis Rome des rumeurs persistantes sur une réforme du motu proprio Summorum Pontificorum, dans un sens restrictif, les effets concrets de cet état d’esprit général se font d’ores et déjà sentir dans le diocèse de Dijon : l’évêque vient de décider la mise à pied de la Fraternité Saint-Pierre, installée là-bas depuis vingt-trois ans, sans autre forme de procès. Le renvoi a été abrupt. C’est seulement sous la pression des fidèles que le diocèse s’est fendu d’un communiqué laconique, bien loin d’apaiser les interrogations. Ni le supérieur de la Fraternité Saint-Pierre, ni l’abbé en charge de l’apostolat n’ont été reçus par l’évêque à ce jour. L’épiscopat français est très soucieux d’afficher des objectifs de « transparence », ou de lutter, à l’invitation du pape François, contre le « cléricalisme ». Las : les méthodes employées ne sont guère le reflet de ces louables intentions. En l’espèce, autoritarisme et mutisme sont de rigueur.

Nous ne préjugeons pas des intentions profondes, des antipathies et des blocages enfouis. En surface, derrière les critiques qui pointent à l’égard de la Fraternité Saint-Pierre, une obsession est affichée par la hiérarchie, à Dijon comme dans le document de la CEF : maintenir intacte l’unité de l’Eglise. Mais l’effet obtenu est l’exact inverse de celui recherché. Comment espérer maintenir l’unité de l’Eglise, en stigmatisant ainsi des fidèles, tout juste « tolérés », quand ils ne sont pas estampillés indésirables ? La méprise est dramatique, pour ne pas dire tragique.

L’évêque a choisi de jeter comme lot de consolation aux fidèles qui fréquentaient l’apostolat de Dijon la possibilité d’une messe hebdomadaire en latin dite par un prêtre diocésain. Ce même épiscopat qui appelait, en pleine pandémie, pour certains de ses membres, à ne pas sombrer dans le fétichisme de la messe. Quelle ironie !

La présence d’un apostolat de la Fraternité Saint Pierre n’est pas « juste » une question de messe, si l’on peut s’exprimer ainsi. Il ne s’agit pas d’agiter l’encensoir tous les sept jours, comme un hochet, pour calmer quelques fidèles un peu aigris. Le renvoi de la Fraternité signifie la fin de toute une pastorale adossée à sa présence. Catéchisme, messes hebdomadaires, groupes de formation et de prière… Le document de la CEF pointait du doigt, selon elle, le peu de souci pastoral des communautés traditionnelles. Mais à qui la faute ? Quand elle existe, les fidèles se retrouvent privés de la possibilité même de développer leur pastorale, et se retrouvent limités à l’assistance, au compte-gouttes, à la messe, comme s’il s’agissait d’une pure pratique sociale facile à contenter, qui n’irriguerait pas toute une vie chrétienne autour d’elle.

Cette affaire de Dijon prouve un aveuglement de l’épiscopat, quand ce n’est pas une hostilité ouverte, vis-à-vis des communautés traditionnelles. Il y a des crispations, des incompréhensions évidentes, mais comment en serait-il autrement alors que ces communautés sont traitées comme des parias depuis des décennies, alors qu’au même moment, d’autres mouvements, d’autres figures, parfois ouvertement en contradiction avec l’enseignement de l’Eglise, sont grassement subventionnés, représentés et écoutés ?

Mais il existe une autre réalité, peut-être plus tragique encore : celle de la survie matérielle de l’Eglise, qui vient nous rappeler, à nous fidèles d’une religion de l’Incarnation, que l’esprit a besoin de la chair. Et la réalité de la chair de l’Eglise de France aujourd’hui est cruelle : elle n’a plus que la peau sur les os. Le denier du culte s’effondre, les assises financières des diocèses sont de plus en plus ténues. Le phénomène a commencé il y a longtemps, mais la pandémie est venue l’accélérer dramatiquement. Mais il se trouve que dans ce maelström, les communautés traditionnelles s’en tirent plutôt bien, comme en témoigne une récente enquête tout juste parue dans les colonnes de L’Incorrect. Les diocèses tirent la langue, alors que les communautés les plus dynamiques (traditionnelles mais pas uniquement), à des degrés divers, elles, attirent des dons, innovent, et peuvent envisager l’avenir avec une relative sérénité, voire, ont la confiance des banques pour emprunter et lancer de nouveaux projets. Flexibilité, innovation, ouverture, investissement : ces mots magiques sont aujourd’hui incarnés par ceux que certains voudraient dépeindre comme pétrifiés dans le passé.

Aussi rude cette réalité soit-elle, loin de l’idéologie, il est difficile de faire mentir les chiffres. Les fidèles donnent à aux instituts, aux monastères, aux congrégations qui représentent pour eux le dynamisme de la foi et l’espérance de l’Eglise de demain. Leurs églises sont pleines, et leurs caisses se remplissent, pour le plus grand « bénéfice » de l’annonce du Christ. Si l’urgence est aujourd’hui de « bousculer » l’Eglise installée, qu’à cela ne tienne : faisons confiance à ces prêtres, à ces religieux qui rayonnent tant avec si peu de reconnaissance. Dans notre monde en crise profonde, la respectabilité institutionnelle qui entoure des diocèses en perte de vitesse ne saurait être l’alpha et l’omega de la vie de l’Eglise, et les périphéries ne sont pas toujours celles que l’on croit.

Constance Prazel