Les "trafics de chiffres" avant les élections doivent être portés à la connaissance des Français. Nous en avons deux beaux exemples, pour le chômage et pour la dette publique.

L'inexactitude probable du taux de chômage reflète mal la réalité de l'emploi.

Les chiffres du chômage en France sont victimes d'un cafouillage : l'enquête emploi de l'INSEE fournit des résultats incompatibles avec ceux que le même institut tire des sources administratives (l'ANPE). L'enquête aboutirait à majorer les chiffres d'un demi point ; l'INSEE a décidé de la retravailler. Certains suspectent cet institut relevant du ministère des finances d'être aux ordres , ce qui est peu vraisemblable ; mais cette controverse n'est pas de nature à donner confiance dans les déclarations gouvernementales !

D'autant que l'institution en charge des statistiques au niveau européen vient de jeter un pavé dans la mare. Selon Eurostat, l'enquête emploi présenterait des faiblesses structurelles, mais son millésime 2006 n'aurait pas présenté de défauts particuliers ; il serait utilisable en l'état, et présenterait une fiabilité supérieure à celle des sources administratives. Eurostat vient en conséquence de relever les chiffres français de 0,4 %. Le chômage aurait diminué entre janvier et février 2007 de 8,9 % à 8,8 %, et non pas de 8,5 % à 8,4 %.

À quelque chose malheur sera bon si ce cafouillage nous incite à ne pas accorder une importance exclusive aux chiffres du chômage. Des millions de personnes, sans satisfaire à la définition officielle du chômage posée par le Bureau international du travail, prendraient volontiers un emploi si l'occasion se présentait. D'autres se contentent d'allocations d'assistance ou de pensions alors que, moyennant quelques efforts de leur part, de celle des entreprises et du service public de l'emploi, elles pourraient se rendre utiles. C'est notamment le cas de nombreux seniors : il y a beaucoup de discours à propos de leur emploi, mais les réalisations avancent piano.

Et puis beaucoup d'emplois et de stages subventionnés sont occupationnels : sait-on combien de contrats d'insertion à la vie sociale (233 000 CIVIS étaient en cours en janvier 2007, soit 104 000 de plus en un an [1]), de contrats d'avenir (79 000), de contrats d'accompagnement pour l'emploi (175 000), de contrats initiative emploi (154 000), ou de contrats jeunes en entreprise (115 000), ne sont pas du chômage déguisé ? Même pour les contrats d'apprentissage (407 000 en janvier, en progression de 6 % sur un an) et ceux de professionnalisation (166 000, en progression de 66 %), des renseignements qualitatifs seraient fort utiles. Quant aux universités, on sait qu'elles servent de parkings pour certains jeunes en attente d'une occasion. Il y a quelques années, on parlait volontiers de traitement social et de traitement statistique du chômage. Si ces expressions ne sont plus autant à la mode, elles n'ont pas – hélas – perdu tout rapport à la réalité. Que le bon chiffre du chômage soit de 8,4 ou de 8,8 %, il est loin de refléter la totalité du sous-emploi.

La dette de l'État : manipulation

Un autre indicateur mérite d'être remis à sa place : le taux d'endettement public auquel fait référence le pacte de stabilité européen. Le ministre des Finances jubile en proclamant que ce taux est revenu en 2006 de 66,2 % du PIB à 63,9 %. Les habiletés grâce auxquelles ce résultat a été atteint permettront à la France de faire cocorico à Bruxelles, mais elles n'améliorent nullement la situation du pays.

De quoi s'agit-il ? D'abord, de 16 milliards obtenus en vendant des éléments du patrimoine de l'État, à commencer par les sociétés d'autoroutes. Ensuite, pour un montant du même ordre, d'un changement apporté à la gestion de la trésorerie. Dans les deux cas, Bercy a simplement fait en sorte que l'appauvrissement de l'État français en 2006 (l'accroissement de sa situation nette négative, diraient les comptables) ne se reflète pas dans son endettement brut : celui-ci n'a augmenté que de 5 milliards d'euros, à 1 142 milliards, alors que le déficit a atteint 36,5 milliards.

Réfléchissons d'abord aux ventes réalisées : elles ont diminué à la fois l'actif et le passif de l'État. 16 milliards de moins en portefeuille titre, 16 milliards de moins pour les dettes, où est le progrès ? Au moment de la privatisation des sociétés d'autoroute, certains disaient que l'État allait faire une mauvaise affaire en vendant des entreprises fort rentables pour diminuer son endettement, assez peu coûteux. Le gouvernement avait mis leurs propos sur le compte de leur esprit partisan. Pourtant, dans un cas semblable, la dette sociale, les pouvoirs publics s'enorgueillissent du fait que le Fonds de réserve des retraites (FRR) effectue des placements en action au lieu de rembourser ce que doit la CADES (la Caisse d'amortissement de la dette sociale). Ils n'ont pas tort : les placements en actions rapportent plus de 7 % en moyenne sur longue période, tandis que la CADES paye de l'ordre de 4 % aux porteurs de ses obligations, si bien que la sécurité sociale devrait y gagner. Mais alors, pourquoi le contraire de ce qui est salué comme de la bonne gestion s'agissant des finances sociales serait-il excellent pour les finances de l'État ? Le Gouvernement n'aurait-il pas effectué une opération appauvrissant l'État, pour pouvoir annoncer en période électorale une réduction de l'endettement ?

Venons-en à la trésorerie. L'Agence France Trésor gère quelques liquidités (notamment sous forme d'un compte à la Banque de France) et beaucoup de dettes. Jusqu'en 2006, elle émettait en décembre à peu près autant de bons du Trésor que les autres mois, malgré la concentration des rentrées fiscales en fin d'année ; il en résultait un gonflement très provisoire des créances de l'État sur la Banque de France, permettant d'affronter la modicité des recettes fiscales en janvier sans emprunter beaucoup plus au cours de ce mois. En décembre dernier, sans doute sur injonction du ministre des finances, l'Agence France Trésor a supprimé les trois quarts des adjudications de bons du Trésor : l'endettement brut au 31 décembre s'en est trouvé réduit, sans aucun changement de l'endettement net, seul significatif de l'état des finances publiques.

Si pour l'application du Pacte de stabilité Bruxelles surveillait l'endettement net – ce qui serait logique – cette meilleure gestion de trésorerie , dixit le ministre des Finances, n'aurait même pas été mentionnée dans les discours officiels, ni par les média. À vrai dire, elle n'aurait sans doute pas été mise en œuvre : la manière de faire antérieure devait présenter des avantages, sans quoi l'Agence France Trésor, qui cherche toutes les économies à réaliser, et s'est engagée pour cela dans une gestion très active utilisant des swaps et autres opérations sophistiquées, l'aurait changée plus tôt.

Le montant de la dette publique en pourcentage du PIB, comme le taux de chômage, peut ainsi être réduit par des mesures qui ne modifient quasiment pas la réalité. Est-il moral de procéder de la sorte ? À l'époque des thermomètres à mercure, les gamins qui avaient très envie de sauter la classe un matin d'hiver savaient faire monter les degrés en frottant avec le drap ou leur mouchoir. L'approche des élections redonnerait-elle une nouvelle jeunesse à certains de nos ministres ?

*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'université de Lyon III.

[1] Tous ces chiffres proviennent du ministère du Travail et sont disponibles dans Liaisons sociales du 27 mars.

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