Plus d'une génération nous sépare du discours de Jean-Paul II à Nowa Huta sur la nouvelle évangélisation. L'heure n'est pas encore au bilan, mais on peut déjà constater que si la nouvelle évangélisation a reçu droit de cité dans l'Église, sa dynamique est loin d'avoir épuisé tous ses ressorts.

Certes, on s'enlise moins dans les débats stériles sur les "structures" qui ont caractérisé la période antérieure, mais la persistance de la crise de la transmission au sein de l'Église elle-même n'aurait-elle pas un lien avec les difficultés de l'évangélisation ?

Sans doute sommes-nous proches des temps apostoliques parce que les chrétiens sont redevenus cette minorité agissante dans un monde devenu néopaïen. Cette situation ne présente pas que des inconvénients, elle peut être stimulante. Mais l'Église des premiers siècles était chevillée sur la tradition reçue des apôtres et pétrie de culture biblique, prête à influer sur la culture environnante en usant au besoin de l'apologétique et de temps à autre d'un vocabulaire philosophique. La tentation est grande chez beaucoup de nos contemporains d'Église de comprendre à contresens la tabula rasa. Opter pour la table rase en proposant l'annonce de Jésus-Christ hic et nunc sans préambule est très certainement d'une grande urgence. Mais sous prétexte d'un jubilé du millénaire souvent mal compris, cela ne signifie pas faire table rase d'un passé chrétien trop encombrant, au contraire.

Les conditions de l'évangélisation

Deux conditions sont nécessaires pour une nouvelle évangélisation. Il faut une poignée d'apôtres cultivés qui assument le patrimoine culturel du christianisme et qui soient capables d'en rendre compte. Cette culture est certes portée par l'Esprit Saint qui nous fait souvenir de tout ce que le Seigneur a dit (Jean 14, 26) mais elle doit être proposée et transmise.

Il faut que les structures paroissiales de l'Église puise proposer aux nouveaux commençants ou recommençants des nourritures spirituelles qui assurent le "service après vente".Un constat s'impose sur ce point. Le monde déchristianisé qui attend l'annonce du message chrétien est plus vite sorti de la crise progressiste des années soixante que l'Église elle-même. La crise de l'Église depuis cinquante ans est certes une crise de l'évangélisation dont l'histoire reste à écrire et doit être écrite, de l'évangélisation d'abord à l'humanisation d'abord en passant par l'enfouissement. Or si l'évangélisation directe du proche n'est plus d'actualité, quel intérêt y aurait-il à se nourrir soi-même d'une culture chrétienne?

Sans doute le renouveau du concile et les années qui l'ont précédé ont vu naître des communautés nouvelles. Mais le fait est que rares sont celles qui ont au cœur de leur vocation le projet d'une réelle transmission d'un savoir durable (théologique, historique) auprès des jeunes générations. Cette situation est sans précédent dans l'histoire de l'Église qui a toujours su inventer les institutions capables de transmettre la foi face à l'hérésie ou face à la sécularisation.

Que l'on songe aux grandes intuitions fondatrices des XVIe-XVIIe siècles ou du XIXe et encore du début du XXe. Or la crise actuelle de l'Église est aussi celle de la transmission que n'assument plus sérieusement ni l'école catholique, qui se porte bien en apparence (en partie grâce à la carte scolaire) mais qui est incapable de se réformer faute de maîtres authentiquement chrétiens, ni les institutions catéchétiques ou les aumôneries.

Il est beaucoup question de développement durable aujourd'hui. Qu'en est-il du développement durable d'un savoir théologique, historique pour les jeunes générations de catholiques?

Crise de la transmission, crise de l'évangélisation

La raison vient sans doute de la crise de 1968 qui est au cœur une crise de l'autorité, du magistère intellectuel et finalement de la transmission . Est-ce un hasard si des intellectuels non chrétiens tels Régis Debray ou Alain Finkielkraut ont été les premiers à s'en émouvoir ? Le grand soupçon règne encore sur l'"encyclopédisme", entendez une culture de l'honnête homme, ou sur l'apologétique, ce bien vilain mot qui ne passait plus guère et qui consiste pourtant à rendre compte des raisons de croire et d'espérer. Et le soupçon s'étend aussi sur des fondations d'écoles indépendantes de l'appareil administratif clérical pour des raisons qui ne sont pas toutes désintéressées.

 

Les sortilèges de soixante-huit projettent encore leurs derniers feux sur des générations de chrétiens. Un certain anti-intellectualisme émotiviste, un certain fidéisme, une conception fausse de la tabula rasa (dans le vocabulaire "missiologique" une méthode d'évangélisation par rapport aux méthodes d'inculturation, Ndlr), une amnésie entretenue dans un esprit consensuel sur les dérives de l'Église de France pour ne pas chagriner les hautes sphères de la pyramide des âges ecclésiastique, contribuent à cette anémie intellectuelle alors qu'il suffirait de puiser à pleines mains dans les trésors de science et de sagesse de l'Église. Tandis qu'une discipline nouvelle appelée "culturegé" fait florès sur les décombres du savoir, quand pensera-t-on à se soucier d'une "culturegé" à l'usage des jeunes chrétiens?

Certes, et c'est une bonne nouvelle, de nouveaux canaux sont apparus depuis une décennie : les cathos se sont emparés de l'Internet comme jadis les Frères de la Vie-Commune, bien avant les humanistes, ou les cisterciens allemands, furent pionniers dans l'usage de l'imprimerie, des universités d'été, tels ou tels séminaires proposent des formations. Mais la vitalité de la culture chrétienne semble réservée à quelques initiés. Des grains de sable certes... À quand les masses de granit ?

Une initiative pluridisciplinaire

Comment remédier aux faiblesses de la transmission de la culture chrétienne ? D'abord faire confiance dans le magistère inspiré de l'Église. La pierre d'angle méthodologique d'une bonne formation — osons ajouter : à la fois orthodoxe, et libérale par sa souplesse — reste la formule théologique du grand concile de Chalcédoine (451) d'union sans confusion ni séparation de la nature humaine et de la nature divine du Christ. De cette foi découle la distinction relationnelle entre raison et Révélation, entre spirituel et temporel, entre théologie de l'histoire et christianisme objet d'histoire. Par là le chrétien peut rendre pleinement compte de l'espérance qui l'habite par l'intelligence de la foi.

Pour répondre au défi culturel de la nouvelle évangélisation, de jeunes enseignants et chercheurs catholiques ont pris l'initiative de proposer cet été (du 25 au 29 août) une session annuelle de formation pour des jeunes de 18 à 25 ans. Objectif : offrir des points de repère et des éléments d'approfondissement de leurs connaissances théologiques, spirituelles, juridiques, littéraires, philosophiques, historiques, bioéthiques...

Sous le nom de "Louisianes" (en référence à saint Louis, fêté le 25 août), ces journées s'inscrivent dans la triple dimension du défi missionnaire des laïcs chrétiens : Le défi apostolique. Il s'agit de répondre à l'appel urgent de l'évangélisation auprès d'un jeune public par l'échange et la formation.

Le défi culturel au sens strict, à travers l'assimilation des clés de réponse aux grands débats contemporains sur des bases pluridisciplinaires (théologie, histoire, philosophie, nouvelles techniques de la communication) à la lumière de la Révélation et de la raison. Une culture de vie passe par la connaissance de l'histoire de l'Église qui peut structurer et affermir la foi.

Le défi spirituel, illustré par l'accueil des participants et des intervenants dans le cadre d'une communauté monastique qui leur permettent de s'associer à la prière des religieux car l'effort théologique et la recherche intellectuelle en général ne peuvent être dissociées d'une spiritualité vivante.À défaut d'institution enseignante qui ait un caractère permanent, (privilège ou fardeau réservé à d'autres temps de chrétienté?) il est possible et souhaitable de multiplier de telles initiatives dans le souci de viser une formation intégrale et pluridisciplinaire. La prochaine étape de la nouvelle évangélisation sera culturelle ou ne sera pas. Aux jeunes générations de s'approprier le patrimoine vivant d'une intelligence chrétienne de la culture qui réponde aux grandes questions de leurs contemporains. Si les chrétiens ne s'occupent pas de la culture et de ses liens féconds avec le christianisme, d'autres s'en chargeront assurément.

LOUISIANES, 25-29 août 2007

Prieuré de La Cotellerie (Mayenne)

Chaque jour messe, conférences, témoignages

Au programme, les interventions de François Ars: L'Église et le quatrième pouvoir Vincent Bourguet: Statut de l'embryon humain, contexte bioéthique et position de l'Église Jean Chaunu: Un christianisme sans histoire et La Pâte sans levain : quelle déchristianisation? Paul Clavier: Peut-on sauter les préambules de la foi? Thibaud Collin: Les enjeux théopolitiques de la revendication homosexuelle Michel Emmanuel: Mgr Charles, un pasteur pour temps de crise? Michel Fauquier: La gnose, quand l'homme fait l'ange et la mission de l'enseignant catholique Edouard-Marie Gallez fsj et Annie Laurent: L'islam, sources et défis Matthieu Grimpret: Communautarisme, ghetto catho, un mal nécessaire? Hubert Houliez: Catholicisme les aspects sociaux du dogme, autour du Compendium Paul Hatez: La doctrine sociale de l'Église Ludovic Laloux: XIXe-XXe siècles: flux et reflux dans l'attachement à la foi chrétienne Xavier Mirabel: Actualité en bioéthique Père Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé: Péguy et la modernité Didier Rance: Théologie politique ou théologie du politique, actualité du débat Schmitt-Peterson Vincent Badré: L'histoire sur le net Les bons docs, Apostolat et galaxie internet avec Bruno Nougayrède.

Renseignements, inscriptions : http://louisianes.over-blog.com

Pour en savoir plus :

■ Le prieuré de la Cotellerie

■ Le blog des Louisianes

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