On réfléchit beaucoup ces temps-ci à l'impact du formidable déficit des administrations publiques sur la dévalorisation du pouvoir d'achat de l'unité monétaire. On s'interroge moins sur le renchérissement des services publics, et par conséquent sur une forme d'inflation que ne reflète pas l'actuel indice des prix à la consommation.

La Croix du 9 octobre consacrait deux pleines pages à la hausse des impôts locaux, indiquant que leurs taux augmentent fortement cette année, ainsi que le déficit. Parmi les articles de ce dossier, une mini-interview du délégué général de la Confédération du logement et du cadre de vie posait la question clé : Mesurer le coût réel des services (sous-entendu : les services que rendent les collectivités locales). Je propose d'élargir cette interrogation à l'ensemble des services rendus par les administrations publiques, État, collectivités locales et sécurité sociale.

En effet, ce n'est pas parce que ces services ne sont pas marchands qu'ils n'ont pas un prix de revient, et qu'ils ne sont pas payés. Certes, quand nous nous acquittons de nos impôts, nous ne versons pas tant pour l'enseignement, tant pour les armées, pour les pompiers, pour la justice et la police, pour fleurir les places de nos villes et villages, etc. Il n'en reste pas moins que nous payons ces services par nos impôts, et que nous avons souvent l'impression d'avoir à débourser de plus en plus pour bénéficier d'une quantité et d'une qualité données de services publics.

Le cas de l'enseignement
L'enseignement, au vu de beaucoup de ses résultats, ne paraît pas être un service dont la qualité s'améliore : ainsi les tests de compétence en CM2, réalisés à vingt ans de distance par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance de l'Éducation nationale, en 1987 puis en 2007, ont-ils par exemple montré que sur la même dictée d'une dizaine de lignes le nombre moyen de fautes est passé de 10,7 à 14,7, et le pourcentage d'élèves commettant plus de quinze erreurs, de 26 % à 46 % [1]. Or nous observions en 2007 [2] que, pour le premier degré, la dépense par élève, en euros constants, a augmenté de 76 % entre 1980 et 2005. Admettons qu'il n'y ait pas eu de baisse de la qualité de l'enseignement primaire : même en faisant cette hypothèse optimiste, il faut bien constater que le prix unitaire de ce service, à qualité constante, a augmenté beaucoup plus vite que celui des biens et services marchands.

La dépense moyenne par élève du secondaire ayant, quant à elle, augmenté sur la même période de 62 % en euros constants, force est de reconnaître que l'inflation calculée par l'INSEE aurait été plus forte, sur ce quart de siècle, si le prix de l'instruction publique, service qui pèse 6 % du PIB (deux fois plus que l'agriculture !) était incorporé dans l'indice.

Le cas des collectivités locales
Prenons maintenant les collectivités locales. L'INSEE constate que depuis 1990, l'emploi territorial a crû trois fois plus vite que l'emploi total, avec une accélération liée à la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale [3]. Rien que de 2001 à 2006, les effectifs sont passés de 1,668 million à 1,865, soit 200 000 salariés de plus. Certes, il faut tenir compte des transferts de personnel en provenance de l'État, mais à périmètre constant la progression reste considérable.

La question se pose : le citoyen, qui paye ce personnel supplémentaire, en a-t-il pour son argent ? Bénéficie-t-il de plus de services, de meilleure qualité, ou bien ces embauches correspondent-elles, comme dans l'Education nationale, à une baisse de la productivité, et donc, sachant que les traitements moyens ne diminuent pas, à une augmentation des coûts unitaires, c'est-à-dire à une hausse des prix ?

La filière animation constitue un exemple intéressant. Elle comptait 61 000 agents en 2001 ; les effectifs ont atteint 104 500 en 2006 ! Au vu de ces chiffres, ne doit-on pas se demander comment évolue le prix d'une fête de la musique et d'un feu d'artifice du 14 juillet ?

Le cas des prisons
Le projet de loi pénitentiaire attire une fois de plus l'attention sur le surpeuplement des prisons françaises (64 250 détenus pour 53 845 places), et sur les conditions dégradées de détention qu'on y rencontre, contraires à la convention européenne des droits de l'homme. Or, selon l'Institut français de recherches sur les administrations publiques [4], il y avait en 1960 dix fonctionnaires des prisons pour 37 détenus, contre dix pour 18 en 2005. Quelle inflation des coûts de détention, sachant que la qualité du service ne semble pas avoir tellement progressé !

Une comparaison internationale confirme d'ailleurs le caractère particulièrement onéreux de l'incarcération en France : 38 400 € pour une année de détention, contre 27 300 £, soit 29 500 € environ, en Grande-Bretagne, où la surpopulation est évitée (84 000 détenus pour 85 000 places). Et il conviendrait d'ajouter qu'en France, notamment depuis la suppression de la grâce présidentielle collective, qui libérait des places, les juges d'application des peines sont conduits à transformer et raccourcir massivement les peines d'emprisonnement prononcées par les tribunaux parce que, compte tenu des conditions de détention, ils se demandent si leur exécution pure et simple ne serait pas plus criminogène que dissuasive !

Là encore, on est en droit de se demander si les errements à répétition de la politique pénale française ne se sont pas traduits par une importante inflation du prix à payer par le contribuable pour un service dont la qualité laisse fortement à désirer

Prolonger le rapport Stiglitz
Il ne s'agit pas ici de donner une réponse péremptoire à ces questions, dont la liste pourrait être fortement allongée : les données requises pour connaître la vérité sont éparses, ou font défaut, si bien qu'un énorme travail serait nécessaire pour déboucher sur des chiffres fiables. Il s'agit tout bonnement de poser la question : les prix des services rendus par les administrations publics évoluent-ils ou non avec la même sagesse que les prix de marché ?

Le rapport Stiglitz sur la mesure des performances économiques et du progrès social incite d'ailleurs à poser cette question, puisqu'on y lit : Les mesures usuelles peuvent, par exemple, laisser entendre que l'inflation est moindre ou la croissance plus forte que ne le ressentent les individus. Il nous faudrait disposer d'un indice des prix à la consommation élargie englobant le prix que nous devons payer — volens, nolens — en échange des services publics mis à notre disposition.

Quand on lit dans le rapport Stiglitz il se peut que les statistiques habituellement utilisées ne rendent pas compte de certains phénomènes qui ont une incidence de plus en plus grande sur le bien-être des citoyens , comment ne penserait-on pas à l'énorme production en provenance des administrations ?

Les atteintes à l'environnement, par exemple, sont-elles seulement le fait des activités émettrices de polluants et de gaz carbonique ? Une municipalité qui réduit les places de stationnement et la capacité des voies publiques, rendant la vie de plus en plus compliquée à ses administrés, ne fait-elle pas payer aux citoyens des dépenses d'investissement et de fonctionnement ayant pour effet de réduire leur bien-être au lieu de l'améliorer ? Nous ne subissons pas seulement les conséquences désagréables de la délinquance [5], mais aussi celles de la sottise et de la méchanceté politico-bureaucratiques.

Le rapport Stiglitz affirme avec raison : Il est clair que des mesures des performances économiques qui tiendraient compte des coûts environnementaux seraient sensiblement différentes des mesures habituelles. Mais les coûts administratifs auraient pu, et même auraient dû, figurer dans cette phrase à côté des coûts environnementaux.

Terminons en soulignant que le déficit public fournit le moyen de mentir sur le prix des services publics : si les cotisations sociales et les impôts étaient portés au niveau requis pour équilibrer les dépenses des administrations publiques, ils refléteraient alors leurs véritables prix de revient, dont la forte augmentation a été cachée par le recours grandissant à l'emprunt. Les pouvoirs publics pratiquent ainsi de façon croissante la vente à perte – pratique qu'ils interdisent, d'ailleurs avec raison, aux grands distributeurs. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ...

*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'université Lyon III, vice-président de l'Association des économistes catholiques.

[1] La Croix du 9 octobre 2009.
[2] J. Bichot : Enseignement et recherche : on peut faire mieux pour moins cher , Les monographies de Contribuables associés, sept. 2007. Sur ce point, notre étude était entièrement basée sur les chiffres fournis par l'Éducation nationale.
[3] INSEE Première n° 1205, juillet 2008.
[4] Note de Samuel-Frédéric Servière, 7 oct. 2009, disponible sur le site www.ifrap.org ; les chiffres fournis par cette note semblent provenir de Jean-Charles Asselain, L'Argent de la justice, Presses universitaires de Bordeaux, 2009.
[5] Je donnerai en 2010 quelques indications sur le coût, ou plus exactement les coûts, de la délinquance, sujet peu exploré — et difficile — sur lequel je suis en train de travailler.

 

 

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