Réunis à Bruxelles le 28 février, les conventionnels chargés de rédiger la future Constitution de l'Europe ont renoncé à y inclure une référence explicite à l'héritage chrétien des nations européennes. Mais le sujet n'est pas clos.

Vice-présidente du Conseil régional d'Auvergne, et député européen, Élisabeth Montfort organise le 3 avril, avec une dizaine de parlementaires européens, un colloque sur "Dieu et l'Europe" ouvert à tous. Entretien.

Le 28 février, les conventionnels qui réclamaient une référence à Dieu dans la Constitution européenne n'ont pas été suffisamment nombreux pour que leur proposition soit retenue. Que s'est-il passé exactement ?

E.M.- Réunis en session plénière sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, les cent cinq membres de la Convention se sont penchés sur l'article 2 du projet de Constitution, consacré aux "valeurs de l'Union". Cet article affirmait que "l'Union se fonde sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'État de droit, et de respect des droits de l'homme, valeurs qui sont communes aux États membres".

Il aurait été souhaitable de préciser les sources de ces valeurs, parmi lesquelles le christianisme occupe une place de choix. Soixante-sept amendements avaient donc été déposés à propos de cet article. Parmi eux, celui d'un groupe de seize conventionnels démocrates chrétiens, appartenant au Parti populaire européen (PPE). Ils demandaient que l'on ajoute une phrase, inspirée de la Constitution polonaise, qui stipulait que "les valeurs de l'Union européenne comprennent les valeurs spirituelles de ceux qui croient à Dieu comme source de la vérité et de la justice, de la bonté et de la beauté, et de ceux qui ne partagent pas cette croyance, mais qui trouvent ces valeurs universelles dans d'autres sources".

Ces conventionnels demandaient donc, non pas une référence aux valeurs chrétiennes, mais une simple mention de Dieu.

Oui. Mais d'autres sont allés beaucoup plus loin. Ainsi, Gianfranco Fini, vice-président du Conseil italien, a proposé de faire référence aux "racines communes judéo-chrétiennes" de l'Europe. Mais faute de consensus, ni sa proposition, ni celle du groupe des seize conventionnels, n'ont été retenues.

Pourquoi l'opposition à cette référence religieuse est-elle si virulente?

Les opposants craignent une remise en cause de certaines lois, concernant par exemple l'avortement, l'euthanasie, ou la recherche sur les embryons.

Les propositions d'amendement n'ont pas été retenues, le débat est donc clos...

Non, loin de là. On observe au contraire un regain d'intérêt pour ces questions religieuses au sein des débats européens. Ainsi, le Premier ministre polonais, Leszek Miller, pourtant néo-communiste, s'est fait le porte-parole de ceux qui, dans son pays, à commencer par l'épiscopat, réclament une référence à l'héritage chrétien de l'Europe. Par ailleurs, le projet de Constitution sur lequel travaillent les membres de la Convention sera soumis, dans quelques mois, aux chefs d'État et de gouvernement. La question de l'héritage chrétien de l'Europe se reposera à ce moment-là.

Les Français, eux, continuent de défendre une laïcité qui exclut toute référence à un patrimoine religieux européen.

Ils sont pratiquement les seuls, avec les Belges, à refuser toute mention du fait religieux. Mais Valéry Giscard d'Estaing, lui, est moins catégorique. Il n'exclurait pas qu'une référence religieuse soit insérée dans le préambule de la Constitution. Les gouvernements allemand et italien y seraient également favorables. Pour Silvio Berlusconi par exemple, "l'Europe sera évidemment une construction laïque, mais la vraie laïcité reconnaît la tradition chrétienne dans la vie de la société, et donc le rôle éminent des Églises".

Les Turcs, eux, sont de ceux qui défendent la laïcité au sein de la Convention. Cette laïcité ne serait-elle pas un moindre mal, si l'on envisage l'entrée de la Turquie au sein de l'Union européenne?

À mon avis, il n'est pas normal que la Turquie soit représentée au sein de la Convention au même titre que les pays membres de l'Union européenne et que les pays candidats, alors qu'officiellement elle n'est pas reconnue comme candidate. C'est très maladroit sur le plan juridique. De même qu'il est très contestable du point de vue historique et culturel d'envisager son entrée dans l'Europe.

Vous organisez pour votre part un colloque au Parlement européen à Bruxelles, sur "Dieu et l'Europe".

Il s'agit de faire prendre conscience de l'enjeu que représente la reconnaissance officielle de l'héritage chrétien des nations européennes. Il n'est pas question d'exclure les autres religions de la vie européenne ; mais de prendre en compte ce que les nations d'Europe ont eu en commun pendant des siècles, pour qu'elles puissent construire ensemble un avenir qui s'appuie sur ces racines.

C'est particulièrement important pour l'accueil des pays d'Europe centrale et orientale. La Foi chrétienne est l'une des valeurs que nous partageons avec eux. Pendant plus de quarante ans, le joug soviétique a voulu la supprimer. Mais elle est restée bien vivante, et ce serait faire injure à l'identité de ces pays que d'en nier l'existence.

Nous voudrions par ailleurs obtenir, dans le respect de la laïcité, la reconnaissance de la liberté religieuse et un statut juridique pour les religions, ce qui existe déjà dans les États-membres. Car il ne suffit pas d'obtenir une garantie de liberté de culte qui confinerait la religion dans la sphère privée. L'Église catholique a besoin d'une liberté d'action humanitaire, sociale, caritative.

Vous rejoignez la demande de Jean-Paul Il, qu'il a si souvent répétée ces dernières semaines...

Jean-Paul Il a effectivement abordé cette question à de nombreuses reprises depuis janvier 2002. Le 13 janvier dernier, en recevant les ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège, il a exprimé le souhait que soient reconnus, dans la Constitution européenne, la liberté religieuse, la possibilité d'un dialogue structuré entre les gouvernants et les communautés de croyants, et le respect du statut juridique dont les Églises et les institutions religieuses jouissent déjà dans les États membres de l'Union.

Le 16 février également, le Pape a publiquement demandé qu'une référence soit faite aux racines chrétiennes de l'Europe dans le Traité constitutionnel de l'Union européenne : "Une telle référence ne retirera rien à la juste laïcité des structures politiques, mais, au contraire, aidera à préserver le continent du double risque du laïcisme idéologique d'une part, et de l'intégrisme sectaire de l'autre".

C'est cela que nous voudrions promouvoir à travers notre colloque.

Pour finir, nous déposerons une "contribution de fond" aux membres de la Convention, dans le cadre des procédures prévues à cet effet, qui se fera l'écho de nos discussions.

Nous voulons ainsi apporter à l'Europe notre contribution de députés chrétiens qui étions présents au jubilé des parlementaires, à Rome, en novembre 2000. Plus il y aura d'initiatives comme la nôtre, plus la Convention européenne devra tenir compte de nos remarques.

© Famille chrétienne, n°1313, 15 mars 2003.

Colloque "Dieu et l'Europe", le jeudi 3 avril, au Parlement européen à Bruxelles, organisé par une dizaine de parlementaires européens, avec la Fondation de service politique, la Convention des chrétiens pour l'Europe, le mouvement Communion et Libération, et le soutien du nonce apostolique auprès des communautés européennes, Mgr Faustino Sainz Munoz. Parmi les participants français Gérard-François Dumont, Catherine Rouvier, Chantal Delsol, Joël-Benoît d'Onorio.

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