La Passion du Christ de Mel Gibson arrive sur les écrans en France le 31 mars. Le film sortira simultanément dans 520 à 530 salles, a précisé Quinta Communications, la société de production de Tarak Ben Ammar, chargée de la distribution en France.

Des représentants de l'Eglise catholique et de la Fédération protestante ont déjà découvert La Passion lors de projections organisées spécialement à leur intention, "selon les recommandations de Mel Gibson", a indiqué Michel Pascal, porte-parole de Quinta Communications.

Le cardinal Lustiger n'a pas souhaité pour l'instant s'exprimer sur le film lui-même. Lors d'une émission spéciale diffusée mercredi 24 sur la chaîne catholique KTO, il s'est contenté de souligner les limites de la représentation cinématographique de la Passion, comparée au sens de la liturgie chrétienne. Selon l'AFP, la conférence épiscopale ne devrait pas avoir de position officielle. Dans l'hebdomadaire La Vie, le jésuite Paul Valadier s'est dit "atterré" par un film "obscène" (sic), "profondément antihumain et antichrétien". Le pasteur protestant Paulette Marquet a déclaré en revanche à l'AFP que "par rapport à d'autres films sur Jésus, celui-ci n'est pas indigne". Nous publions le témoignage et l'analyse d'un jeune professeur de lettres, qui a vu le film au Québec, le 25 février dernier.

JE L'ATTENDAIS CE FILM. Deux séances uniquement à Saint-Jérôme en ce mercredi des Cendres : la première a fait salle comble à 18h45, des gens ont été refusés. La seconde, dont nous étions, sans être remplie comptait un nombre important de spectateurs pour un horaire tardif. Bon début, c'est certain. La facture américaine avec ses ficelles efficaces s'affiche d'emblée, mais pourquoi pas. Mel Gibson, le héros planétaire de l'Arme fatale, s'adresse avec la Passion du Christ à une jeune génération visuelle avide de sensations fortes, éprise d'occultisme, à qui la vision d'une mort en direct parlera peut-être.

J'ai eu un peu de mal à entrer dans le film : d'abord le gros plan sur la pleine lune, déchiré par un cri strident et qui a l'air de nous introduire dans un film d'horreur fantastique plutôt qu'à Gethsémani ; ensuite la figure du tentateur et du serpent, symboles trop visualisés d'un assaut intérieur. En fait, tout ce qui aura trait à cette figure glauque de l'ange tentateur et qui revient plusieurs autres fois, avec Judas, puis lors de la flagellation, une fois encore lors du portement de croix m'a mise mal à l'aise.

Après ce début un peu difficile, je suis bien restée dans le film. Ce que je comprends, et le réalisateur en fait un soubassement essentiel par delà les maladresses de représentation, c'est que Satan n'a pas désarmé une seule minute lors de la Passion et qu'il tentait Jésus au cœur même de son obéissance au Père.

Stabat Mater

Parallèle à cette figure du démon, la mère de Jésus tout le temps présente. Quel passage fort, ce travelling lors de la flagellation, du Chemin de croix, où l'on voit la figure tentatrice ne pas quitter le Christ dans la foule, et parallèlement, la Vierge Marie, comme en réponse, ne pas quitter non plus le Christ, son fils.

De fait, Mel Gibson inscrit ces douze dernières heures de la vie de Jésus dans l'heure des ténèbres, celle de la lutte de Satan contre le Fils de l'homme. D'où la violence extrême, celle des autorités juives, des soldats bourreaux abrutis de bêtise, de vin et de cruauté. D'où le recueillement extrême de Marie, Marie-Madeleine et l'ahurissement de Jean. Après l'arrestation au Jardin des Oliviers le disciple bien-aimé va prévenir et chercher Marie, et de la nuit au cachot après la condamnation, à la flagellation horrible, enfin à la Croix, la mère de Jésus était là, cherche son fils et le trouve toujours. C'est la grande originalité du film et sa force, que cette Marie-là et dont la critique ignorante ne peut donc pas parler. Avec Marie-Madeleine, la Vierge recueille, éponge avec un linge immaculé le sang de la flagellation. Dans sa rencontre avec son fils lorsqu'il tombe pour la troisième fois, elle écoute ses paroles dites du plus profond de la souffrance : " Voilà que je rends toute chose nouvelle. "

Où que soit son fils, Marie est là : le passage le plus juste et le plus poignant est lorsque Jésus cloué à la Croix par terre, va être élevé de terre ; la caméra suit de même Marie qui affaissée d'abord au même niveau que son fils s'élève en même temps que lui pour finir debout au pied de la Croix dans une attitude infiniment digne. La Vierge des douleurs, Piéta simple, est représentée avec force et concourt à nous montrer le mystère de compassion et de médiation auquel elle est associée.

J'ai vu un Christ aux outrages

J'ai vu un Christ aux outrages, loin de toute mièvrerie sulpicienne, c'est certain ! L'horreur est de toutes les images, sans complaisance ; les détails hyperréalistes ne nous sont pas épargnés. Les supplices durent, les techniques de gros plans et les ralentis dramatisent à l'excès, soutenus par une musique obsédante : les clous s'enfonçant dans la chair de Jésus, le sang coulant, le fouet s'accrochant dans la chair, la flagellation des deux côtés du corps, la croix retournée, l'étirement de la Droite du Christ, symbole de la Miséricorde, et bien d'autres éléments de souffrance extrême, sont volontairement surlignés et l'objet d'images très travaillées.

À l'évidence, le réalisateur cherche une vérité qui secoue la torpeur des chrétiens d'abord, de tous les hommes ensuite, une vérité qui provoque un électrochoc. Film américain du XXIe siècle !

Les moments de violence totale sont balancés par des flashs-back, sans doute trop rapides, extraits de la vie publique, des moments forts, empreints de douceur évangélique : enseignement aux disciples bien sûr, avec notamment le passage essentiel de l'amour des ennemis, mais aussi l'épisode de la femme adultère, les Rameaux, l'annonce du reniement de Pierre, le lavement des pieds, la Cène. Je me demande qui peut comprendre ces passages très allusifs, s'ils s'adressent à une génération ignorant tout des Évangiles. Gageons qu'elle voudra ouvrir ensuite le Livre saint pour comprendre par exemple à quoi renvoie la vision en flash back de Marie-Madeleine épongeant le sang de la flagellation ; retour sur la prostituée pardonnée voyant les pierres ramassées tomber, inutiles, pour la lapider, elle, la femme surprise en flagrant délit d'adultère. La scène, là aussi, est rapide, parcellaire, donne à voir ce qu'a vu, Marie-Madeleine au niveau du sol, en rétréci, puisqu'elle était aux pieds de Jésus.

L'adaptation est toujours en deçà de l'œuvre

Les moments que je trouve parmi les plus réussis, révélateurs d'une vraie finesse de fond, c'est, entre autres, le reniement de Pierre. Pris dans une foule qui le harcèle et le violente, on le voit basculer de sa fidélité velléitaire à une peur qui grandit jusqu'aux trois " non ", jusqu'au regard échangé avec son Seigneur, jusqu'à ses larmes et sa fuite. L'épisode est rapide, dense, tellement vraisemblable.

Très attachante la scène de Simon de Cyrène où ce grand gaillard désigné accepte, d'abord malgré lui, d'aider Jésus dans son calvaire, en affirmant : " Qu'on sache que je suis innocent de tout crime et que je porte la croix d'un condamné. " Magnifique figure, Simon termine le long parcours et quitte le Christ en pleurant comprenant qui est l'innocent.

Très juste aussi, la mort de Jésus sur la croix traitée avec un certain art : le chant d'Isaïe est en acte et le regard du réalisateur, offre au spectateur le visage de Jésus, sous plusieurs angles, jamais repoussant, le visage de Jésus à aimer. Les striures de sang, les tuméfactions, tout concourt à l'amour de la croix que lui-même, Jésus, n'a cessé d'avoir dès le début de son portement.

Discutable, voire grotesque à ce moment précis pour un esprit français, la larme qui tombe du ciel, de cet œil d'un Père qui se taisait jusque-là, larme par laquelle soudain remonte, effets spéciaux aidant, la figure du démon terrassé et qui rugit vaincu par le sacrifice ultime.

J'ai aimé les langues choisies : l'araméen et le latin. Cela donne une beauté, une profondeur au film un beau contrepoint aux effets spéciaux souvent appuyés.

Deux déceptions : premièrement, la fin, où au sépulcre le spectateur assiste au suaire s'affaissant, se vidant du corps déposé. À côté du linge, le Christ de profil est assis, se lève, et l'on voit en dernière image sa main avec la marque du clou. Comme pour le spectacle de Robert Hossein, Jésus, La Résurrection, la victoire sur la mort paraît très ordinaire et banale. J'attendais une lumière, une transfiguration qui dans les deux cas n'est pas là. Là, étrangement, pas d'effets spéciaux.

Deuxièmement, la figure de saint Jean, qui là comme dans d'autres œuvres artistiques paraît un peu dépassé, lui pourtant que les Écritures ont donné comme le bien-aimé et qu'on imagine autrement qu'à la traîne.

Ce qui est certain, c'est que la vision théologique de Mel Gibson est juste, ni intégriste, ni antisémite. Il représente avec une culture qui est la sienne, celle de l'époque moderne dans laquelle il vit, la foi de l'Église ; sa vision insiste sur le Salut par la Croix. L'Incarnation, faudrait-il le rappeler, n'a de sens qu'en lien avec la Rédemption et la Résurrection. Il est certain que la place des enseignements du Christ, réduite à la portion congrue dans le film, n'aide pas à donner sens à tant de cruauté déchaînée sur le Juste, l'Oint du Seigneur. Le chrétien averti saura sans doute interpréter grâce aux retours en arrière, mais les autres, sauront-ils y voir autre chose qu'une violence gratuite ?

Je reste confiante cependant, sûre que l'Esprit-Saint envoyé aux quatre coins du monde par ce formidable media agira au-delà des limites des images, au-delà des limites inhérentes à toute adaptation d'œuvre littéraire au cinéma ; l'adaptation est toujours en deçà de l'œuvre : a fortiori celle de la Bible et de son mystère insondable.

Je garde en mémoire cette discussion avec un ami juif qui, après un premier temps de discussion vive, et après une écoute vraie où je mettais en avant la culpabilité de chacun d'entre nous, le Salut du Christ voulu pour tous, a conclu en disant : " J'irai voir ce film par amitié pour vous et je vous promets que si l'on a fait du tort injustement à cet homme, je le reconnaîtrai. " J'ai aimé ce " on " qui, ce soir-là, commençait enfin à nous unir.

À Saint-Jérôme, Québec, Canada, le 25 février 2004.

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