Nos coups de coeur
Michel Déon, né en 1919, académicien depuis 1978, se souvient d'une visite à la librairie du Divan, place Saint-Germain-des-Prés à Paris, voilà plus de cinquante ans. Il précise, par politesse orgueilleuse ou fataliste : On le voit, j'appartiens à la préhistoire : la place a été rebaptisée (sans succès d'ailleurs) place Jean-Paul-Sartre-et-Simone-de-Beauvoir et la librairie du Divan remplacée par une boutique de fringues chic.
Le propos en dit long. Michel Déon est un fidèle. À Maurras, par exemple, qu'il a suivi jusqu'au bout, durant l'Occupation, à l'Action française, où il était secrétaire de rédaction sous son véritable patronyme : Édouard Michel.
Privé pour deux ans de carte de presse à la Libération, l'écrivain qui ploie désormais sous les honneurs, se considère pourtant toujours comme une sorte de paria. Et il ne peut s'empêcher de cogner sur les nomenklaturistes de la République, de Jean-Paul Sartre à François Mauriac, lequel cumule trois fautes à ses yeux : la résistance convenue, l'anti-colonialisme, le gaullisme... Mais dans le même temps, Michel Déon est trop amoureux de la vie pour se gâcher l'existence. La France est réduite à peu de chose ? Il s'installera aux États-Unis d'Amérique, au Portugal, en Grèce et, depuis 1974, en Irlande.
Michel Déon en a profité pour bifurquer vers l'essentiel, la littérature. Son anticonformisme lui aura fait préférer l'art à toutes les boutiques de fringues chic de Saint-Germain-des-Prés (même s'il n'est jamais pris en défaut d'élégance)... Il rend donc hommage à ses auteurs et artistes fétiches parmi lesquels Homère, Stendhal, Toulet, Conrad, Larbaud, Braque, Giono, Poussin, Morand. L'écrivain, qui sait ses jours comptés, salue les poètes qui l'ont nourri. Il leur doit bien une lettre de château, dans ce style incisif comme un coup de fouet nostalgique, ces phrases élégantes, vives et profondes, qui portent sa griffe : Nos plus ineffaçables chagrins sont d'enfance. Le reste de l'existence se passe à les défier ou à redresser des ruines.
Luc Pinson